Solidarité nationale ?

— Ayo, toi, je viens de faire une expérience traumatisante.

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— Ne me dis pas que tu as été en consultation dans un hôpital public ?

— Ma tête est piquée, mais pas à ce point. Surtout quand on entend ce que l’Audit dit sur les hôpitaux !

— Mais quelle expérience traumatisante tu as eu comme ça ?

— J’ai été accompagner une vieille personne dont je m’occupe au bureau de la Sécurité sociale.

— Qu’est-ce qu’elle avait besoin d’aller faire là-bas, cette vieille personne ?

— Elle avait besoin d’aller déposer un document pour la pension de sa sœur, qui est en Australie. Comme elle ne savait pas ce qu’il fallait faire, je suis allée avec elle pour l’aider.

— Tu aurais dû avoir téléphoné pour savoir dans quel bureau aller pour gagner du temps.

— J’ai essayé, mais le numéro qui est dans l’annuaire sonne sans que personne ne décroche.

— C’est comme dans la chanson Gaston y a l’téléfon qui son, mais y a jamais person qui y répond !

— C’était moins drôle que la chanson, je peux te dire. Donc, on est allées au grand bureau de la Sécurité sociale à Rose-Hill après avoir marché sous un soleil de plomb.

— C’est pas trop loin depuis la gare d’autobus de Rose-Hill.

— Tu te trompes. À Rose-Hill, les bus ne s’arrêtent plus sur la gare maintenant.

— Mais pourquoi ? On a refait la gare d’autobus, non ?

— Mais depuis qu’il y a les travaux du métro deuxième phase, il y a toutes sortes de déviations. Le bus t’arrête maintenant sur la grand-route et tu dois traverser toute la ville jusqu’au bureau. Et comme la vieille que j’accompagnais marche un peu doucement-doucement, on est arrivées au bureau à midi moins cinq.

— Juste à temps !

— Tu rêves. Les grilles étaient déjà fermées pour le lunch time des employés.

— Qu’est-ce que vous avez fait alors ?

— On a fait comme la petite foule qui était là. On a attendu la fin du lunch time des fonctionnaires.

— Il y a un endroit pour attendre là-bas ?

— Il y a des bancs, mais tellement sales qu’il valait mieux rester debout. Heureusement qu’il ne pleuvait pas.

— Qu’est-ce qu’il y avait là comme personnes ?

— Un peu de tout, surtout de vieilles personnes qui venaient pour des histoires de pension. Il y avait d’autres personnes qui étaient venues pour passer devant un board médical.

— Pour quoi faire ?

— Pour avoir droit à une pension d’invalidité, il faut que tu passes devant un board médical. Et puis il y avait des gens qui venaient faire leur ID ou tirer un acte de naissance.

— Tout ce beau monde-là a attendu ?

— Mais tu est obligée, toi. Sinon, il aurait fallu revenir le lendemain et remarcher sous le soleil, parmi les embouteillages, le bruit et la poussière des travaux du métro. Il valait mieux attendre.

— Comment vous avez fait pour passer le temps ?

— On a cause-causé avec les gens qui étaient là et certains étaient venus de très loin pour faire leurs démarches. Il y a une dame qui ne savait pas qu’il fallait amener ses documents originaux et qui a du retourner chez elle pour les chercher.

— Mais pourquoi on ne donne pas ces renseignements-là au téléphone ? Ça éviterait aux gens de se déranger pour rien.

— Il faut pour ça qu’il y ait quelqu’un de la Sécurité sociale qui réponde au téléphone. Mais je te l’ai déjà dit, le téléphone sonne dans le vide là-bas.

— Et le gouvernement ose dire qu’il est un « caring government » pour les vieux…

— C’est ce qu’il prétend. Vers midi et demi, comme ça, un securicor est arrivé et il classe la foule en deux : ceux qui avaient un numéro et les autres.

— Mais quel numéro ?

— Il paraît qu’avant le lunch time, il fallait prendre un numéro pour pouvoir entrer dans le bâtiment. La moitié des personnes n’avait pas de numéro, alors on a fait deux queues.

— Il fallait dire au securicor que vous alliez déposer un document.

— Mais tu sais comment sont ceux qui ont un petit pouvoir ! Il n’écoutait personne et voulait que tout le monde fasse la queue pour entrer dans le bâtiment et aller faire ses démarches.

— Personne n’a protesté ?

— Tu sais comment sont les gens à Maurice, ils causent beaucoup derrière, jamais devant. Mais les vieilles personnes qui étaient debout depuis midi avaient peur que si elles protestaient on les empêche d’entrer. Elles sont restées tranquilles.

— Toi aussi ?

— Écoute, j’ai essayé de rester tranquille. Mais quand le securicor a fait passer devant des personnes qui n’étaient pas dans la queue, mon tata est monté dans la tête.

— Qu’est-ce que tu as fait comme ça ?

— J’ai poussé la personne qui était avec moi et on est entrées.

— Le securicor n’a rien fait ?

— J’ai crié qu’on n’avait pas le droit de traiter les vieilles personnes comme ça et que j’allais téléphoner à une radio. Et sans regarder ni devant ni derrière, on est entrées dans le bâtiment.

— Le securicor n’a pas essayé de t’arrêter ?

— Il a vu à quel point j’étais en colère et il n’a pas essayé.

— La vieille personne a fini par remettre son document à l’officier concerné ?

— Oui, mais il a fallu attendre dans une salle remplie où il n’y a pas d’accueil, pas d’information, où il faut que tu ailles taper à plusieurs portes avant de trouver la bonne. Je suis sortie de là traumatisée. Je ne savais pas qu’on maltraitait comme ça les gens qui ont besoin des services de la Sécurité sociale et de la Solidarité nationale.

— D’après ce que tu me dis, on devrait plutôt parler de maltraitance nationale !

— Exactement !

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