Un monde imaginaire

J’ai imaginé un monde qui, pour sûr, ne peut pas exister. C’est un lieu où peu d’entre nous voudraient y vivre, car il ne fait pas si bon d’y crécher. Mais faisons comme s’il existait, le temps de ces lignes farfelues.

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Dans ce monde, les gens sont faits de sucre. C’est difficile pour eux de s’exposer à la pluie et ils sont devenus craintifs dès que des averses pointent le bout du nez. Par précaution, ils apprennent à leurs enfants qu’il vaut mieux rester chez soi en cas de grosses pluies, de peur de fondre et de disparaître, dilués dans une flaque d’eau.

Par ailleurs, les habitants de ce monde ont perdu l’habitude de faire la conversation, de parler de la pluie et du beau temps (comme c’est le cas pour nous ces jours-ci !) et ils oublient même de se regarder. Les dialogues commencent à se dissiper, laissant la place à un silence d’âmes plongées dans des images instructives ou sans aucun intérêt (comme regarder quelqu’un faire le pitre !). Ces images reflètent parfois aussi les intérêts propres du spectateur (Moi ! Moi j’aime ! Moi je veux !) et invitent subrepticement à se refermer dans son petit monde.

Les lieux qui sont chez nous bruyants et animés sont là-bas silencieux : c’est un peu comme un silence de mort ! Les gens sont quelque peu apathiques et me font penser aux iguanes, statiques, le regard vif fixé sur… rien du tout.

Que se passe-t-il donc là-bas ?

Tous ont la tête baissée vers leur paume de main. Ils la regardent les yeux perdus sur un écran. L’attention braquée dessus, ils sont scotchés sur ce qu’ils voient et entendent, et sont à l’affût de ce qu’ils ne doivent surtout pas rater. Il s’agit bien souvent d’infos et de sujets sur la vie en général, ce qui, ma foi, est bien intéressant ! Mais défilent aussi des bêtises à la pelle…

Dans ce monde imaginaire, je vois des couples assis dans des restaurants, face à face, sans même se voir ni se parler. Ils passent du temps ensemble, mais de manière individuelle.

Je croise également des gens qui marchent sans regarder devant, ni à droite ni à gauche. Ils ont la démarche d’un timide qui trace sa route tout en fuyant le regard des autres. Les nuques sont tellement courbées qu’elles ont du mal à se relever.

De plus, j’entre dans un magasin de téléphones portables et les deux vendeuses ont, elles aussi, la tête baissée. Elles scrutent leur paume de main, dans une terrifiante absence alors qu’elles sont bien présentes, là, dans le magasin, affalées sur des stools en plastique blancs. Elles ont sans doute égrainé toutes les conversations et partages possibles pour ne plus avoir le désir de papoter toutes les deux ensemble. Pas de bavardage, pas un regard ni aucun intérêt pour les clients potentiels ! Je repasse devant la vitrine trente minutes après. Même position, même expression, même scénario. Rien, niet, nada, nothing ! Tous leurs sens sont comme inhibés.

Ah oui, une autre scène cocasse de ce monde imaginaire. J’attends mon tour à une caisse lorsque, lors d’un petit pas de danse vers l’arrière, j’écrase malencontreusement le pied d’une jeune fille. Je m’excuse avec empressement. Aucune réaction ! Elle ne me voit pas, ne m’entend même pas et n’a pas non plus senti mon talon aiguille sur ses orteils. Sa tête est baissée et elle a des trucs noirs dans ses oreilles.

Plus loin, en passant devant une maison style créole en bordure de route, j’entends un boucan pas possible comme si les sept nains venaient de se mettre à table, après le travail, autour d’un 7-kari. Je fais ma curieuse et je regarde à l’intérieur. Je vois un homme — Grincheux ! — et son fils — Atchoum ! — assis devant le grand écran. Ils sont enthousiasmés de regarder ensemble un match de football légendaire. Au moins, ici, ça discute, ça crie et ça s’exprime. Un échange bien sain dans ce monde bizarre. Mais ce qui est surprenant, c’est que non seulement ils regardent la télé, mais aussi dans la paume de leur main. Un œil attentif sur le grand écran et l’autre plus furtif sur le petit. Gérer deux écrans à la fois, faut quand même le faire !

Dans ce monde-là, il n’y a pas que le petit écran dans les paumes de main qui interpellent. Il y a aussi toute une bande de ti-komik.

Pinocchio s’affiche partout avec son long nez (si long, que je me demande comment il fait quand il éternue.) L’histoire initiale raconte que son nez s’allonge lorsqu’il ment, mais il finit par se repentir devant son créateur, Gepetto. Ce qui fera de lui un être de chair et de sang. Ce qui me fait penser que tout n’est pas perdu dans ce monde imaginaire. Ne perdons donc pas espoir pour le petit homme en bois au long nez ; même le bon larron, qui était un bandit notoire à l’époque, a changé son cœur (ses mœurs) à la dernière minute.

Continuons notre petite découverte sur cette terre fabriquée de toutes pièces. On y voit des colosses, ou serait-ce des molosses ? — se pavaner dans de belles et grosses cylindrées. D’imposantes baraques poussent ailleurs que dans les quartiers huppés.

Et puis, et puis… celle-là n’est pas mal non plus ! Dans cet univers énigmatique, il y a des bambins qui chantent la main sur la poitrine “As one people, as one nation” tout fiers de ce pays et de leurs origines. Et en même temps, ils font de la discrimination tout haut et tout fort, oubliant que l’élite (si élite elle l’est) se doit en premier lieu d’être des exemples et ne doivent surtout pas inviter à des propos racistes.

Mais tout cela n’est possible que dans ce monde imaginaire.

Ici, dans notre pays qui fête aujourd’hui ses 55 ans d’indépendance, nous sommes bien loin de voir les téléphones cellulaires empiéter sur nos relations humaines. Nous sommes aussi protégés des personnages de dessins animés, et chez nous, point de molosses, nous n’avons que des beaux gosses qui chantent l’unité, sans dénigrer une communauté. Ouf ! Même si nous sommes un peu à fleur de peau avec de tout petits petits scandales qui poussent comme des champignons, nous n’avons, à Maurice, pas besoin de faire la peau à personne.

À bon entendeur, salut !

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