Xavier-Luc Duval : “Il y a urgence…”

Aujourd’hui, il y a deux Ile Maurice : ceux qui sont les chatwas fortunés et tous les autres
Le coût de la vie, le pouvoir d’achat, le confort de vie jugé  insuffisant et la drogue sont  un cocktail dangereux et c’est pourquoi les gens quittent le pays
Au Parlement, le gouvernement actuel est réfractaire à cette transparence, alors que c’est la base même de la démocratie
Le Speaker n’a pas réussi, mais la tendance a été d’essayer de faire ombrage aux PNQ
Il y a effectivement des lois contre lesquelles je me suis violemment opposé, comme le FCC Bill

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Pour la dernière interview de 2023, Week-End a sollicité le leader de l’Opposition qui, dans une discussion franche, dresse un tableau alarmant de la situation à Maurice. Et surtout son inquiétude de constater l’exode des Mauriciens en quête d’un avenir plus prometteur. Xavier Duval souligne également les défis rencontrés au Parlement, pointant du doigt un gouvernement réfractaire à la transparence démocratique. Il y a urgence, dit le leader du PMSD, qui, malgré ces défis, reste optimiste pour la prochaine année. Une année, qui, dit-il, sera celle des élections et aussi celle de l’espoir, avec l’opposition PTr-MMM-PMSD.

Xavier Duval, quel regard portez-vous sur l’année 2023 qui se termine ?
En cette fin d’année, tous les Mauriciens en bonne santé et ayant un toit sur leur tête doivent être heureux. J’ai une pensée spéciale pour ceux malades et moins fortunés. Ayant dit cela, je pense honnêtement que, dans de nombreux domaines, les choses ont continué à se détériorer à Maurice. Cela m’inquiète terriblement. Le coût de la vie, le pouvoir d’achat et le confort de vie sont jugés insuffisants par de nombreux compatriotes qui envisagent de quitter le pays à la recherche d’un meilleur avenir. Ils préfèrent partir d’autant plus que le fléau de la drogue représente une vraie menace pour eux et leurs enfants. Aussi, la baisse de la qualité de l’éducation (il n’y a qu’à voir le taux de plus de 90% d’échec à l’extended programme), le déclin social, environnemental, et culturel contribuent à l’inquiétude des Mauriciens. L’homme n’est pas seulement un être de manger-boire. Il faut aussi nourrir son esprit culturel et aujourd’hui à Maurice, les gens ne peuvent pas s’épanouir. Tout cet ensemble est un cocktail dangereux et c’est pourquoi les gens quittent le pays. Et c’est embêtant car il est crucial de reconstruire Maurice en motivant les jeunes, en misant sur leur maîtrise de la technologie, leur éducation et leur courage. Il nous faut enrayer ce découragement et refaire de Maurice un plaisir de vivre. Il y a urgence.
2023 a, donc, été une année sombre…
Je ne souhaite pas véhiculer cet aspect négatif en cette fin d’année. Je dirai plutôt que nous n’avons pas relevé les défis que nous avions dans la majorité des secteurs, comme la méritocratie, la lutte contre la drogue, l’éducation, la culture, et la corruption… Nous nous dirigeons vers une mauvaise direction. Aujourd’hui, il y a deux Ile Maurice : ceux qui sont les chatwas fortunés et tous les autres. Et de plus en plus, on le ressent. Aujourd’hui, on ne peut pas progresser à Maurice sans backing, sans l’appui d’un ministre… Et pour ceux qui sont courageux, c’est malsain et ils n’acceptent pas cela. D’où l’exode. Il nous faudra dès le prochain gouvernement enrayer cela.  Le pays ne peut pas se permettre de perdre ses meilleurs éléments et cela par milliers. Nous avons la chance d’avoir 1,3 millions d’habitants, tous avec d’énormes talents. C’est à nous de les valoriser et de leur donner leur place et d’utiliser les compétences à bon escient.
Au cours de cette année au Parlement, vous avez été plutôt convaincant comme leader de l’opposition qui a embarrassé le gouvernement et résisté aux abus du Speaker à votre encontre.
Le Parlement est notre institution suprême où le peuple, à travers ses représentants, demande des comptes au gouvernement, de faire la lumière sur ses actions, pour obtenir des réponses claires, précises et franches sur ce qui est fait de l’argent public… et assurer la transparence démocratique. Malheureusement, le gouvernement actuel est réfractaire à cette transparence, alors que c’est la base même de la démocratie. La vocation du Parlement n’est pas pour être un rubber stamp du gouvernement. Or, nous avons vu, la nation entière a vu, que cette transparence embarrasse le gouvernement. C’est un gouvernement cachottier à tous les niveaux, qui refuse de donner les documents sous prétexte que c’est confidentiel. Le Speaker n’a pas réussi, mais la tendance a été d’essayer de faire ombrage aux PNQ. Par contre, il a largement réussi à rendre les PMQT caduques, et faire que les questions parlementaires deviennent un joke parce qu’il ne permet pas de questions supplémentaires… Personne ne doit sous-estimer la difficulté d’être dans l’opposition en 2023. On a eu un peu plus de chance avec les PNQ parce que, là, le grand public regarde et le gouvernement hésite à exagérer. Mais le but est d’empêcher les députés et le public de connaître la vérité sur ce qui se passe. Comment peut-on avoir une démocratie sans transparence ? Tout cela est un ensemble qui montre que le gouvernement a terriblement peur de la transparence et du Parlement. Et, de ce fait, de jour en jour, il détruit notre démocratie.
C’est la raison pour laquelle vous avez dû faire des conférences de presse pour mieux expliquer vos actions au cas par cas ?
Depuis que je suis leader de l’Opposition, je traite les PNQ comme une entrée en matière. Et je démontre que je n’ai pas peur et je viens dire exactement ce qui se passe. Le ministre interpellé essayera généralement de perdre du temps et tergiverser. Ce n’est que dans les conférences de presse qu’il nous est possible de mieux expliquer, souvent en créole, le pourquoi du comment.
Pensez-vous qu’il faille revoir les Standing Orders et les pouvoirs du Speaker ?
Absolument. Le Speaker opère un peu comme dans un genre de vacuum légal avec la séparation des pouvoirs et les juges qui hésitent à se mêler des affaires du Parlement. Dans le passé, comme je l’ai démontré à travers des chiffres d’expulsions, les autres Speakers avaient quand même une retenue, un sens de la démocratie, de la justice, du fairness. Celui-là, c’est tout le contraire. Cela nous a démontré les failles de notre système que demain, il faudra revoir… Par exemple, quels doivent être les vrais pouvoirs du Speaker, quelles seront les limites de ses pouvoirs, élargir l’accountability du gouvernement à travers des comités  parlementaires, comment permettre des débats emmenés par l’Opposition en urgence ?  Des réformes sont évidemment nécessaires pour restaurer le rôle du Parlement en tant que rempart démocratique, contre l’incompétence, la corruption, le népotisme. Mais ce rôle-là ne peut pas être pleinement joué par le Parlement actuellement à cause du Speaker, qui se croit tout permis, de tout cacher, de tout détruire. Il ne faut pas que les Mauriciens se disent que c’est normal. Il faut préserver notre capacité d’être choqués.
L’autre abus du gouvernement au Parlement, ce sont ces longues réponses du PM aux PMQ et des ministres aux PQ qui ne permet pas le jeu démocratique de l’interpellation et de la réponse au PM ?
Exactement, les Standing Orders sont clairs, un PM ou un ministre n’a pas le droit de faire un statement qui est controversial. Mais aujourd’hui, le PMQT et les PQ sont utilisés pour des statements. Le rôle du Parlement a été détourné et c’est à peu près une caisse de savon pour le Premier ministre et ses ministres.
Y-a-t-il des lois votées par la majorité cette année contre lesquelles vous êtes vraiment opposés ? Pourquoi ? Pensez-vous qu’elles sont dangereuses pour Maurice ?
Il y a, effectivement, des lois contre lesquelles je me suis violemment opposé, comme le FCC Bill. Il y a aussi eu cette tendance où chaque semaine, nous avons été mis face à de nouvelles contraintes, de nouvelles règles, de nouvelles lois pour entraver, que ce soit les citoyens mauriciens dans leur vie quotidienne, ou les petites entreprises dans leur fonctionnement. Et tout ceci ne fait que feed la corruption, les chatwas, les lèche-bottes.
Par exemple, par rapport au Fisheries Bill. Il y a 45 instances où on a besoin d’un permis du ministre et pas une seule instance pour contester au niveau légal un refus, un retrait de permis. C’est impensable qu’on puisse mettre tous les secteurs de la pêche dans un étau, au bon vouloir du ministre. Cela n’est pas démocratique. C’est un peu la même chose pour les agriculteurs, quand on est venu leur dire qu’ils seront mis en prison si jamais ils osent vendre des légumes à l’encan en dehors de Wooton. Toutes les semaines, il y a eu des lois  présentées qui ont ajouté aux contraintes pour le peuple. Nous avons pris un mauvais penchant avec des lois très néfastes pour le pays, et constamment de nouvelles règles de jeux. Et aujourd’hui, pour obtenir un permis, il faut aller supplier un ministre ou un président de District Council. Nous ne sommes pas toujours contre certaines lois, mais il faut des gardes-fous, des barèmes, des paramètres …
Ce qui ressort aussi cette année au Parlement, c’est qu’il semblerait qu’il y ait une très bonne entente entre les partis de l’Opposition au sein de l’hémicylce.
Il y a une excellente entente entre tout le monde, que ce soit le PTr, le PMSD, le MMM, et M. Bodha. On s’entend tous très bien, il y a une bonne synergie. Nous sommes conscients de nos responsabilités, et je dois dire – et je le dis très sincèrement –, je suis toujours émerveillé du niveau de compétences, de compréhension des dossiers et de la qualité des discours et d’élocution des membres de l’Opposition. C’est, peut-être, la meilleure chose qu’on a vu cette année-ci pour le pays. C’est l’espoir que l’on peut avoir de cette nouvelle génération de députés qui sont avec nous sur les bancs de l’Opposition. C’est vraiment fabuleux de les écouter parler ! C’est extrêmement porteur pour l’avenir, à comparer avec la médiocrité des backbenchers du gouvernement.
Cette entente est-elle de même pour l’alliance de l’Opposition PTr/MMM/PMSD ? Certains de vos adversaires disent que vous êtes mal à l’aise et que vous êtes parfois à l’écart des deux leaders historiques. Qu’en dites-vous ?
Pas du tout. Nous sommes complémentaires. Nous avons des discussions intéressantes et franches. On s’entend bien. Chacun a son point de vue, chacun a un apport intéressant dans les discussions. Il n’y a pas de soucis à se faire. On est surtout conscient de la situation dans le pays, des responsabilités qui nous incombent et du fait que la population compte sur nous.
Et en face, le GM, vous en pensez quoi ?
Je vois un gouvernement qui n’est pas socialiste, qui n’est pas capitaliste. C’est un gouvernement populiste. C’est un gouvernement qui fera tout pour s’agripper et rester au pouvoir, qui a eu deux mannes, c’est-à-dire l’argent de la BOM qui a causé une forte dépréciation de la roupie, mais a tout de même été pris. Et ils ont encouragé l’inflation qui est le meilleur ami du ministre des Finances. Il y a Rs 71 milliards en plus que le gouvernement recevra dans le Consolidated Fund – plus qu’avant le Covid –, il y a aussi l’argent des special funds, des dizaines de millions… Tout ceci a été gardé dans un war chest qui est aujourd’hui grand ouvert et c’est sans pudeur que cet argent est utilisé pour faire croire aux Mauriciens que nous vivons dans un eldorado. En face, il y a énormément d’incompétence, de corruption, de népotisme. Et ce que nous voyons aujourd’hui n’est qu’une infime partie de ce qui se passe en fin de compte.
2024, c’est ce soir, qu’est-ce que vous attendez de cette année ? Sera-t-elle celle des élections ? Ou faudra-t-il attendre jusqu’à la dernière limite en début 2025 ?
2024 sera l’année des élections. Je pense que l’inflation sera très forte et le gouvernement a tout intérêt à organiser rapidement des élections pour éviter que les citoyens ne réalisent que leurs avantages seront rapidement érodés par l’inflation. C’est ça qui fait que nous allons voir d’autres mesures populistes. Or, aucun gouvernement populiste n’a duré dans le long terme. L’Histoire le prouve. Le populisme n’est pas une politique durable.
Dans quel mood l’Opposition PTr-MMM-PMSD entamera-t-elle cette nouvelle année?
C’est clair, on part pour gagner. Ce que nous avons accompli de plus important en 2023 est notre programme avec l’apport d’une belle équipe des trois partis. Nous avons un programme solide et des solutions pour améliorer la qualité de vie à Maurice. Nous venons avec des solutions capables de faire une révolution à Maurice en terme de qualité de vie, en terme de lutte contre la drogue, en terme d’amélioration de l’environnement… Sur tous les plans. Nous sommes prêts pour une autre île Maurice meilleure.
Avez-vous un message pour les Mauriciens en 2024 dans la conjoncture actuelle ?
Nous entamons une nouvelle année avec de nouveaux défis et le peuple peut nous faire confiance pour faire que Maurice redevienne ce qu’elle était, un pays paisible, un pays prospère, avec un environnement sain, où la drogue aura été maîtrisée, et la délinquance aussi, où la police ne sera plus une police politique, où les fonctionnaires ne seront pas là uniquement pour faire plaisir… Avec ce programme pour l’avenir que le PTr-MMM-PMSD a élaboré pour notre pays, nous allons relever le défi d’offrir des solutions incroyables à la population. Nous avons démontré notre sincérité et 2024 sera l’année de l’espoir.  Je souhaite une bonne année à tous les lecteurs de Week-End et à la nation mauricienne.

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