Cette année, où en sommes-nous ? On parle souvent des droits des femmes, mais trop peu de la surcharge qui pèse sur elles au quotidien. Entre travail, famille et pressions sociales, l’équilibre reste un défi. À l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, ce samedi 8 mars, Le Mauricien.com a recueilli les témoignages de femmes qui croient en ce changement.
Karola Zuël, créatrice de contenus sur l’éducation sexuelle en Kreol : « Avant d’être mère, épouse, fille, belle-fille ou belle-sœur, vous êtes avant tout femme »
« C’est très bien de parler des droits des femmes et de nous encourager à militer pour ces droits. Mais on ne s’attarde jamais sur la charge mentale qu’elles portent au quotidien. Cet équilibre devient quasi impossible entre vouloir une carrière, avoir des enfants, se marier ou voyager.
Les femmes que je côtoie au quotidien et à travers mes plateformes me font comprendre que, bien souvent, elles font un choix (au détriment d’un rêve ou d’une ambition) simplement pour répondre aux attentes de la société et être perçues comme « enn bon fam ». Mais que signifie vraiment être « enn bon fam » ? Une « enn bon mama » ? Cela revient trop souvent à faire passer les autres avant soi, au prix de son propre bien-être et de sa santé mentale.
Avant d’être mère, épouse, fille, belle-fille ou belle-sœur, vous êtes avant tout FEMME. Mais nous apprend-on réellement à être femme ? Ou devons-nous tout découvrir par nous-mêmes, à travers les réseaux, les livres, les articles ?
La réflexion que j’invite les femmes à mener est la suivante : à quel moment brisons-nous ce cycle où la femme finit par perdre son statut de femme, écrasée sous le poids de ses responsabilités ? ».
Ranini Cundasawmy,Championne du Kun Khmer : « Vous êtes capables de tout ! »
« À toutes les femmes de l’île Maurice : Chaque jour, vous jonglez entre mille responsabilités – travail, famille, attentes sociales – et pourtant, vous avancez avec force et courage. Vous êtes capables de tout ! Aucun rêve n’est impossible, aucune ambition n’est trop grande. Vous portez en vous une puissance immense, une lumière qui ne demande qu’à briller. Ne laissez jamais la fatigue ou le doute éteindre votre flamme intérieure.
La route peut être difficile, les défis nombreux, mais sachez que chaque pas, si petit soit-il, vous rapproche un peu plus du but que vous vous êtes fixé. Restez fermes dans votre détermination, entourez-vous de celles et ceux qui vous soutiennent et vous renforcent, mais surtout, croyez en vous.
Soyez fières de vos victoires, même infimes, car elles bâtissent, pas à pas, la femme forte et inspirante que vous devenez. Vous n’êtes pas seules. Vous êtes puissantes. Vous êtes capables.
Continuez d’avancer, avec le cœur et la volonté qui vous définissent en tant que guerrières du quotidien, en force et en bienveillance ».
Jenny Botte, Administratrice sociale, conseillère village et chercheuse en systèmes des performances des ONG: « Vous êtes la force silencieuse d’une famille »
« En cette Journée internationale de la femme, rendons hommage à ces femmes battues dont la force, l’amour et la détermination sont les seules fondations solides pour avancer. Aux femmes célibataires et veuves qui élèvent seules leurs enfants. Sans oublier les grands-mères qui, par obligation familiale, prennent en charge leurs petits-enfants.
Chapeau à ces mères courageuses qui se battent pour leurs enfants plongés dans la drogue, ainsi qu’à ces femmes engagées dans le social. Vous êtes la force silencieuse qui façonne l’avenir des générations futures et de cette société ».
Prisheela Mottee,Présidente et fondatrice de l’association Raise Brave Girls:
« La pression sociale et culturelle peut freiner notre développement personnel »
« La femme joue souvent plusieurs rôles dans la société, et malheureusement, beaucoup de ces rôles sont définis par des attentes sociétales très marquées. Dans une société patriarcale, ces rôles sont parfois imposés d’une manière qui limite la liberté individuelle des femmes.
Elles sont souvent perçues comme des « mères parfaites », des « épouses idéales », des « professionnelles performantes », tout en subissant une pression constante pour correspondre à des normes de beauté, de comportement et de réussite.
Ces attentes sont non seulement irréalistes, mais elles créent aussi une pression énorme pour atteindre un idéal souvent inatteignable. Cela peut engendrer un sentiment de culpabilité ou de manque de valeur lorsqu’une femme n’arrive pas à tout faire parfaitement. Cette pression sociale et culturelle peut freiner son développement personnel, son épanouissement et sa capacité à s’accepter telle qu’elle est.
C’est l’une des raisons pour lesquelles le temps pour soi est essentiel, mais malheureusement, c’est souvent l’une des premières choses que l’on néglige dans un emploi du temps déjà trop chargé.
Prendre du temps pour se reconnecter à soi-même permet non seulement de se ressourcer, mais aussi de mieux gérer les pressions extérieures. C’est une manière de préserver sa santé mentale, de nourrir sa créativité et de se rappeler ce qui est important pour soi, au-delà des attentes sociales et familiales.
L’association Raise Brave Girls met l’accent sur la découverte de soi et le self-care. Elle offre un espace essentiel aux filles et aux femmes pour se reconnecter à leur propre identité, leurs besoins et leurs valeurs. À travers des ateliers de leadership, elles y trouvent des outils pour mieux faire face aux défis du quotidien, qu’ils soient d’ordre social, familial ou professionnel ».
« Être femme à Maurice, c’est naviguer entre défis et victoires. Dans le milieu social où je travaille et où la santé sexuelle est enseignée, trop de femmes ignorent encore l’existence du condom interne. En général, beaucoup de femmes se laissent convaincre que le plaisir masculin prime sur leur protection. Trop subissent le chantage à la réputation, piégées par des vidéos et des photos utilisées contre elles. Trop grandissent dans des foyers où la violence est banalisée, où les mères perpétuent des schémas toxiques en blâmant leurs filles, sœurs, belles-filles ou en leur inculquant la soumission comme condition de survie.
On parle peu des complications liées à la sexualité féminine, comme le vaginisme, pourtant vécu par tant de femmes traumatisées, et encore moins des douleurs menstruelles sévères, comme l’endométriose ou le SOPK, qui ne sont pas toujours prises en compte dans le monde du travail, conçu pour un rythme masculin.
Mais à côté de ces réalités, il y a aussi des femmes qui s’élèvent, qui s’entraident, qui brisent les tabous. Des femmes qui créent des espaces de bien-être, qui défendent les droits des LGBTQ+, des travailleuses du sexe, des survivantes de violences. Des enseignantes, avocates, militantes, artistes, entrepreneures, médecins, ainsi que des mamans, jeunes filles, femmes divorcées, toutes engagées à bâtir un monde plus juste.
À la Young Queer Alliance, nous voyons cette force chaque jour : des femmes cis et trans qui se soutiennent, qui apprennent ensemble à s’accepter et à s’aimer. Nous aidons les femmes trans à s’épanouir, à affirmer leur identité, à se sentir belles et légitimes. Je rends hommage à toutes celles qui ne se laissent pas faire, qui dirigent, qui innovent, qui osent parler. Celles qui voyagent et vivent seules, qui écrivent, qui chantent, qui peignent, qui changent le monde à leur manière. Celles qui, dans l’ombre ou sous les projecteurs, portent haut les valeurs de solidarité et de résilience.
Être genderfluide et née femme, c’est une richesse que je chéris profondément. Mon côté féminin est une force, et je suis fière d’appartenir à cette grande sororité de femmes puissantes, diverses et lumineuses. Car oui, malgré tout, être femme à Maurice, c’est aussi être espoir ».
Anne Murielle Ravina, Miss Universe Mauritius 2021: « L’émancipation n’est pas un privilège, c’est un droit »
« Une journée où nous célébrons celles qui ont osé briser les chaînes de l’injustice, celles qui ont lutté pour des droits que nous considérons parfois comme acquis. Grâce à leur courage, nous avons avancé. Mais l’émancipation ne s’arrête pas à quelques victoires. En 2025, tant de choses restent à consolider : l’égalité réelle, le respect, la liberté de choix et la reconnaissance des femmes dans toutes les sphères de la société, l’élimination de la violence et des féminicides.
S’émanciper, c’est refuser de se taire face aux inégalités. C’est oser rêver sans limites, s’imposer sans excuses et avancer sans peur. En cette journée du 8 mars, nous allons honorer celles qui ont ouvert la voie et nous engager à bâtir un avenir où chaque femme pourra pleinement être maîtresse de son destin.
Cependant, il existe aussi des réalités qui freinent les femmes. Les violences contre les femmes : un frein à l’émancipation, à mon avis.
Comment parler d’émancipation quand tant de femmes vivent encore sous la menace de la violence et tant de femmes en sont victimes ? Qu’elle soit physique, psychologique, économique ou sociale, chaque forme de violence est une entrave à la liberté, une contradiction brutale aux droits fondamentaux.
L’émancipation signifie pouvoir marcher sans peur, s’exprimer sans crainte, choisir sans contrainte. Or, tant de femmes sont encore réduites au silence, enfermées dans des cycles de souffrance qui les empêchent d’exister pleinement.
Nous ne pouvons pas célébrer l’émancipation sans dénoncer ces violences qui persistent. Nous devons les combattre avec force, exiger des lois plus strictes, un soutien accru aux victimes, une éducation qui déconstruit les stéréotypes et une prise de conscience collective.
Tant qu’une femme sera victime de violence, nous n’aurons pas fini de nous battre.
L’émancipation a un sens immense aujourd’hui ; il ne faut pas que nous la voyions seulement par écrit ou pendant les journées du 8 mars annuellement. L’émancipation, c’est la clé d’un monde plus juste, pour toutes et pour tous.Une pensée à celles qui ont perdu leur vie; quel prix injuste du combat.
Elles avaient des rêves, des ambitions, des espoirs. Elles étaient mères, filles, sœurs, amies. Mais leur lumière a été éteinte par la violence, l’injustice, l’oppression. Ces femmes, victimes de féminicides, de maltraitance, d’inégalités mortelles, ont payé de leur vie ce que d’autres prennent pour acquis : le droit d’exister librement.
Chaque femme arrachée à la vie par la haine et la brutalité est une blessure dans notre humanité. Nous leur devons plus que des larmes et des hommages. Nous leur devons la promesse d’un monde où plus aucune femme ne sera sacrifiée sur l’autel du patriarcat et de la violence.
Ne les oublions pas. Ne restons pas silencieuses. Femmes, continuons à nous battre, à dénoncer, à protéger, à éduquer. Parce qu’aucune femme ne devrait mourir simplement parce qu’elle est une femme ».
Abby Domun, Femme transgenre,assistante sociale chez Young Queer Alliance :
« Il est temps de déconstruire ces idées et de briser ces barrières invisibles »
« En cette Journée Internationale des Droits des Femmes, rappelons que la force, le courage et la détermination n’ont pas de genre. Trop souvent, nous entendons des expressions comme « travay zom », insinuant que certaines tâches ou professions ne seraient pas adaptées aux femmes, ou encore « li pe fer so fifi », réduisant la féminité à une prétendue faiblesse. Ces mots ne sont pas anodins : ils perpétuent des stéréotypes qui limitent l’émancipation des femmes et freinent l’égalité.
En tant que femme trans, j’ai une expérience particulière du genre. J’ai appris à naviguer entre les attentes et les normes imposées par la société, et je suis témoin de la manière dont le langage, à Maurice, reflète et renforce le patriarcat. Ayant étudié la langue, je vois comment les mots façonnent notre réalité et influencent la manière dont nous percevons les femmes et leur place dans la société.
Mais nous savons que les femmes, cis et trans, portent le monde sur leurs épaules. Elles construisent, dirigent, innovent et accomplissent des travaux physiques tout autant que des tâches intellectuelles. Associer la féminité à la fragilité, c’est nier la puissance et la résilience que chaque femme porte en elle.
Il est temps de déconstruire ces idées et de briser ces barrières invisibles. Le progrès passe aussi par notre manière de parler et de penser le monde. Chaque femme mérite d’être reconnue pour ses compétences, sans être enfermée dans des rôles imposés par la société.
Aujourd’hui, célébrons chaque femme qui refuse ces limitations, qui s’affirme et qui contribue à bâtir un avenir plus juste. Ensemble, changeons les mots pour changer les mentalités ».
Yogita Baboo, syndicaliste : « Si j’avais été un homme, mon cas aurait-il été traité différemment ? »
« Mama papa, un ancien séga de Michelle Virahsawmy, parlait de « garson premie lot, tifi deziem lot »…Quarante ans plus tard, est-ce que les choses ont vraiment changé ?
Vivons-nous dans une société qui donne réellement les mêmes chances à tout le monde ? Chaque année, nous célébrons la Journée de la femme, nous faisons semblant d’essayer d’améliorer leur condition dans un monde moderne. Mais y a-t-il un véritable progrès ?
Aujourd’hui, même si les femmes ont accès à l’éducation et réussissent souvent mieux que les hommes, elles restent pénalisées à ce carrefour où elles doivent choisir entre leur carrière et leur famille. Il n’existe toujours pas assez de facilités pour encourager celles qui ont une famille à s’épanouir pleinement dans leur métier.
Dans notre société mauricienne, on parle beaucoup de la valeur de la femme, de la nécessité de la faire avancer, d’autant plus que les femmes représentent 52 % de la population. Pourtant, je me retrouve encore à attendre que justice me soit rendue.
Si j’avais été un homme, mon cas aurait-il été traité différemment ? Quand je vois la manière dont j’ai été licenciée, du jour au lendemain, sans même un mois de préavis, la question se pose.
D’un autre côté, je vois des syndicalistes et d’autres employés masculins simplement suspendus avec salaire pendant plus d’un an ! Conclusion : il est plus facile de faire du tort aux femmes dans une société toujours dominée par les hommes.
Et pourquoi cette lenteur soudaine pour me rendre justice ? Des hommes ont été licenciés et pourtant, ils ont été réintégrés chez Air Mauritius un rien de temps !
Notre société veut-elle réellement promouvoir le développement et l’indépendance des femmes, ou continue-t-elle simplement à faire de beaux discours sans rien changer en profondeur ? ».
Hondoline Collet-Guillaume, facilitatrice de Cercles de femmes : « Les femmes sont vues comme des soutiens indéfectibles pour leur entourage, mais qui prend soin de nous ? »
« En tant que facilitatrice de cercles de femmes à Maurice, cela fait quatre ans que je m’engage à rassembler les femmes autour de thématiques qui nous touchent profondément. Ces rencontres, souvent en pleine nature, sont des moments précieux où nous pouvons parler de notre corps, de nos règles, de notre santé mentale, et de notre bien-être. Nous, femmes, sommes comme la lune, en constante évolution, traversant différentes phases à chaque cycle. Ces espaces nous permettent de comprendre notre corps, d’écouter nos émotions et de célébrer notre puissance féminine. Aujourd’hui, je souhaite prendre un moment pour évoquer une réalité souvent ignorée : la surcharge que les femmes portent au quotidien. Bien qu’on parle fréquemment des droits des femmes, on parle rarement de la pression constante qui pèse sur elles .Nous portons de nombreuses casquettes, souvent sans le temps ou l’espace pour nous poser, pour nous écouter, pour prendre soin de nous-mêmes.
Les femmes sont souvent vues comme des soutiens indéfectibles pour leur entourage, mais qui prend soin de nous ? Qui nous voit dans toute notre vulnérabilité, dans notre humanité ? C’est pourquoi il est essentiel de créer des espaces comme ceux que nous cultivons ensemble – des cercles où chaque femme peut déposer son masque, être écoutée et honorée dans sa totalité. Que ce soit à travers la danse, la méditation, le journaling, l’art-thérapie, ou encore la musicothérapie, ces moments nous offrent la possibilité de nous reconnecter à nous-mêmes et de puiser dans la force collective de la sororité. Les femmes, dans leur diversité, possèdent une puissance inestimable.
Cependant, cette puissance ne peut se manifester que si nous nous donnons la permission de nous reposer, de nous écouter, et de prendre soin de notre corps et de notre esprit. C’est un rappel fondamental : nous avons le droit de nous accorder des moments de pause, de réfléchir à notre bien-être et de célébrer nos cycles, tout comme la lune. Ce message est un appel à chaque femme : vous êtes assez, vous êtes puissantes, vous êtes complètes. Ensemble, nous avons le pouvoir de créer un monde dans lequel chaque femme est vue, entendue, et respectée dans toute sa complexité ».