SOCIÉTÉ: Lespri Moris an mars

Les actions citoyennes se multiplient dans le pays. Dans plusieurs secteurs, des Mauriciens s’engagent et se battent pour que les choses changent, pour que notre société prenne un nouveau départ. On peut parler de courage, d’altruisme. Ou même d’utopie, pour les plus cyniques.
Mais qu’est-ce qui a décidé ces simples citoyens à se lancer dans la bataille ? Nous avons interrogé Jeff Lingaya, Philippe Forget, Nilen Vencadasmy et Kim Decotter pour tenter de comprendre leurs motivations.
La première réaction est unanime : agir est une évidence ! “Cela m’a paru logique. Je ne pouvais pas rester assis à ne rien faire”, confie Jeff Lingaya. “Il m’a toujours paru normal de prendre position”, ajoute Nilen Vencadasmy. Philippe Forget confirme : “On s’engage toujours de manière citoyenne pour les mêmes raisons. On dit, n’est-ce pas, qu’une idée qui ne devient pas mot est une mauvaise idée, et qu’un mot qui ne se transforme pas ensuite en action est un mot vide de substance.”
Dans des contextes différents, ces quatre citoyens engagés ont commencé par prendre conscience de la situation qui prévalait dans leurs vies de tous les jours, au sein de leur entourage. Ou encore se sont rendu compte de la détresse des autres, à l’instar de Jeff.
Prendre conscience.
Avec cette prise de conscience, il leur a semblé inconcevable de rester insensible. Ils ont alors ressenti ce que l’on pourrait appeler un gros ras-le-bol. Une sensation profonde qui leur a poussé à se dire qu’ils ne pouvaient plus tolérer certaines choses. “À force de rendre visite aux grévistes d’Infinity, j’ai été touché par leur détresse. En y allant tous les jours, je suis devenu proche d’eux, et leur situation m’a littéralement révolté. Je ne pouvais pas accepter ça et laisser passer une telle injustice !”, se rappelle Jeff Lingaya.
Kim Decotter tient à peu près le même discours : “On ne peut laisser des leaders qui n’ont rien à faire de la population se comporter en toute impunité, et rester tranquille ! On se sent obligé d’agir, parce qu’on ne peut pas laisser le pays aller à la dérive, alors que la population paie les pots cassés.”
Nilen Vencadasmy a livré de nombreux combats au long de sa vie : au collège, à l’université, et désormais dans sa vie d’adulte. Selon ce “rebelle par nature”, lorsqu’on voit que les choses ne tournent pas rond, on a la volonté de faire en sorte qu’elles changent. “Je ne peux pas accepter que l’on me force à choisir un système communal. Je ressens le besoin de renouveler un système de penser.”
Philippe Forget nous parle de ce même besoin de prendre position. “Dans le cas du Block 104, j’ai agi spontanément, sans les 103, presque sur un coup de tête, alors que je suis plus réfléchi en général. À la veille du Nomination Day, il m’est apparu nécessaire de faire évoluer mon discours de plusieurs décades contre le compartimentage communal et aberrant du système électoral. J’ai donc fait le plongeon.”
Réflexion.
Ce besoin viscéral de changer les choses n’est pas pour autant un acte irréfléchi. Car une réflexion profonde est obligatoire avant de se lancer dans l’arène. Philippe Forget nous l’explique : “Il faut d’abord prendre conscience, ensuite en parler, partager et structurer sa pensée, et enfin agir quand l’occasion se présente ou que la conviction en son idée devient suffisamment forte.” Sans cette réflexion, l’action citoyenne demeurerait au stade de revendication, sans apporter de véritable solution. “Changer notre pays, ce n’est pas seulement être ensemble et revendiquer”, souligne Kim Decotter. “Avant de changer les choses, il faut que l’on change nous-mêmes.” Nilen Vencadasmy confirme : “Il faut toujours se remettre en question pour changer les choses dans le bon sens. C’est ce que l’on appelle évoluer.” Pour tous ces citoyens engagés, ce terme est un mot-clé : “L’évolution est primordiale !”, soutient Jeff Lingaya. “En particulier, l’évolution de la mentalité !” Comme le confie Nilen Vencadasmy, “le but est de progresser”.
Croire en nous.
C’est l’amour de la patrie qui incite les citoyens à s’engager. “J’aime mon pays, et je veux apporter ma pierre à l’édifice”, déclare Nilen Vencadsamy. “Je réfléchis en termes d’unité nationale. Je sens que mon pays va mal, qu’il a un besoin urgent de sérum ! Et comme j’ai mal pour mon pays, je veux faire quelque chose pour l’aider à évoluer.”
Selon Kim Decotter, les jeunes sont fatigués; ils ont envie de respirer. Ce qui les étouffe, c’est de ne pas pouvoir faire des choses concrètes. “On ne sait pas à qui s’adresser. Tout le monde est un peu égoïste. Maurice est un beau pays, dans lequel on se vante de pouvoir vivre tous ensemble. Mais dans la réalité, ce n’est pas ça !” Ils ont donc décidé de montrer l’exemple : “Il ne faut pas se dire que les autres vont le faire”, souligne Kim. “Si tout le monde croit que les choses ne changeront pas, cela ne bougera pas. Il faut croire en nous-mêmes. Je crois en moi, mon voisin, mes collègues, les Mauriciens. On vit ensemble, et ensemble on peut faire beaucoup ! J’agis pour l’amour de mon pays, pour que mes enfants à venir vivent dans une île Maurice plus juste.”
Humains.
Il ne s’agit pas seulement de mauricianisme. Nous ne devons pas oublier que nous sommes avant tout des êtres humains. “En tant qu’humain, je me sens obligé de réagir”, confie Jeff Lingaya.“Il faut arrêter de se dire que cela ne nous concerne pas. Nous sommes tous liés dans notre humanité. Si aujourd’hui, quelque chose arrive à quelqu’un, demain, cette même chose peut aussi bien m’arriver.”
Car dans un monde où tout être humain demande à posséder les mêmes droits que son prochain, chacun d’entre nous est égal à l’autre, sans aucune distinction. Lors de son initiative au sein du Block 104, Philippe Forget a tenu le même discours : “Ce matin-là, je faisais ma prise de sang de routine et j’ai déclaré à la radio qu’à ma connaissance, tous les sangs se valaient, que l’humain en question soit religieusement différent (hindou, musulman), racialement distinctif (chinois) ou “ce qui reste” (“population générale”). C’est tellement évident ! Sauf pour nos apprentis sorciers, qui ne veulent pas nous faire grandir, préférant être au chevet (et si possible, profiter) de nos fragilités et de nos faiblesses.”

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