DROGUES DE SYNTHÈSE—« PRIORITÉ: Informer sur les composantes de ces produits »

Une foule d’interrogations subsistent chez les travailleurs sociaux engagés dans la lutte contre la toxicomanie. Depuis quelque temps maintenant, le profil du toxicomane est en perpétuelle transformation ; les nouvelles populations ciblées sont « les jeunes, ados pour la plupart », estiment Danny Philippe, de l’ONG LEAD, et Imran Dhannoo, directeur du Centre Idrice Goomany (CIG). Après la première arrestation d’un jeune de 19 ans en fin de semaine dernière pour possession de Black Mamba, une drogue de synthèse produite en laboratoire et obtenue via courrier, de nouvelles questions émergent, entre autres : « Quelles sont les composantes du Black Mamba ? » « Comment ce produit se retrouve-t-il classé comme “drogue” en l’absence de ces détails ? »
Danny Philippe et Imran Dhannoo sont catégoriques : « Nous, travailleurs sociaux, n’avons à ce jour jamais vu ni touché ce qu’on appelle le “Black Mamba”. Nous en avons entendu parler via les patients et ceux qui visitent nos centres. Mais aucun d’eux ne nous a jamais montré ce produit… Ils nous le décrivent, mais sans plus. » Le responsable de LEAD, Danny Philippe, ajoute : « Les jeunes qui en ont consommé ne vont bien évidemment pas nous le dire ouvertement ou en face, ni circuler avec sans précautions ! Ils optent pour une méthode plus classique : “Mo ena enn kamwad kinn pran tel zafer…” “Linn gayn koumsa” ; “linn ressenti koumsa”… » « En réalité, quand un jeune nous évoque cette “expérience”, nous nous rendons compte qu’il s’agit de lui et non d’une tierce personne. Mais il préfère se mettre à couvert… »
Le Black Mamba, explique encore Danny Philippe, « ne se mange pas, ni se boit, ni se l’injecte-t-on. Selon ce que nous avons appris, c’est un produit qui se fume… » À partir de certains détails diffus recensés par des jeunes « ayant eu un contact direct avec le produit, ainsi que de par nos lectures et nos documentations personnelles sur le sujet, notent nos deux interlocuteurs, ce qu’on appelle le “Black Mamba” se présente sous forme d’herbes séchées. Certains sont commercialisés dans de petits sachets en plastique transparent. Mais il existe aussi une version vendue en fiole ».
Ce qui inquiète Danny Philippe et Imran Dhannoo, « c’est le fait que ces produits, qu’il s’agisse de Black Mamba, de Bath Salts, de Spice, d’Annihilation ou de Salvia, pour ne citer que quelques-unes des appellations sous lesquelles ils sont commercialisés, sont disponibles via commande sur internet. N’importe qui peut s’en procurer et ceux qui les commercialisent ne sont pas stupides : ils savent déguiser le produit, le mettre dans des emballages qui défient tout soupçon ! » D’où leur demande : « À partir de la saisie qui a été réalisée en fin de semaine dernière à Petit-Raffray, les autorités ont de quoi étudier, décortiquer le produit. Les services de Forensics doivent communiquer les résultats de leurs recherches pour que l’on puisse savoir que faire quand on a affaire à un consommateur de ces drogues de synthèse. » Dans le même souffle, ils estiment « important de former des douaniers et des préposés des postes ». (Voir plus loin)
Les « dangers » que représente la consommation de ces drogues de synthèse, aussi appelées « legal high », définition du UNODC (United Nations on Drugs & Crime), soit « nisa legal », sont divers : « Ces produits sont chimiquement modifiés dans les laboratoires, explique Danny Philippe. J’ai cru comprendre qu’on vaporisait quelque chose sur les herbes… Les effets, selon ce que l’on nous a rapporté, sont extrêmement puissants. Certains, dépendant des doses ingérées, endorment le sujet, d’autres les rendent léthargiques et d’autres encore, les font perdre le contrôle totalement. Certains produits ont aussi des effets hallucinatoires. »
Ce qui amène Imran Dhannoo à rappeler que « si les ados représentent la cible parfaite, c’est parce qu’ils sont en perpétuelle quête de “nisa” spontané ; de plaisirs multiples… Le fait de perdre le contrôle de soi leur est très attirant ; d’où leur volonté à consommer ces produits. »
Mais, soulignent nos deux interlocuteurs, « en l’absence totale d’informations concernant les composantes de ces drogues de synthèse, comment s’y prendre ? Les dangers (voir plus loin) sont évidemment encore plus grands ». Dans le même ordre d’idées, poursuivent les deux travailleurs sociaux, « sur quelle base arrêter une personne qui se trouve en possession de Black Mamba ? Ce produit n’étant pas répertorié dans les clauses de la Dangerous Drugs Act, parce qu’on n’en connaît pas les composantes, comment le catégoriser comme drogue ? »
Danny Philippe et Imran Dhannoo rappellent que « les drogues de synthèse sont arrivées chez nous depuis ces deux ou trois dernières années. C’est par le biais des jeunes qui fréquentent nos centres que nous en avons entendu parler et que nous avons commencé nos propres recherches. Il est impératif, dans l’ignorance de détails réels et concrets, de communiquer le plus possible sur ces produits afin de mettre en garde les populations ciblées, soit les jeunes ».
Danny Philippe fait remarquer que « l’Europe fait face à une grosse crise, avec l’avènement de ces produits qui changent de définition perpétuellement. Sachant, par exemple, que le THC contenu dans le cannabis est une substance illégale, ces fabricants de drogues de synthèse contournent le problème. » Imran Dhannoo va plus loin : « L’Angleterre a carrément un énorme problème avec le Black Mamba. Le produit est vendu sur le net ; apparemment il est même disponible sur e-bay ! » Sachant, disent-ils, que « les moyens de communications entre l’Europe et Maurice sont très faciles, il serait prudent d’élaborer rapidement des mesures de sécurité ».
Les deux travailleurs sociaux expliquent comment « les fabricants de drogues de synthèse optent plutôt pour des produits disponibles légalement sur le marché et en font des mélanges. De ce fait, comment et pourquoi arrêter, interpeller ou condamner quand les ingrédients sont licites ? C’est tout un arsenal de moyens nouveaux qui se présente à nous. Il nous faut tous, les partenaires concernés — scientifiques, médecins, police, avocats… — oeuvrer ensemble sur ce coup-là, avant que la bombe ne nous explose en pleine figure ! »

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