Carnet de camille : La malle à Milly

Elle est là, posée dans un coin d’une brocante, un peu en retrait, comme si elle n’attendait plus personne : une vieille malle en bois et en cuir usé, avec comme protection dans les coins du laiton terni. Elle porte les traces du temps : une éraflure sur le côté, un coin cabossé, des étiquettes sur lesquelles on pouvait encore lire  — “Melle Chevalin – Hte Loire”, “Pan America”, “Royal Hotel” et de l’autre côté de la malle « Nice », « Vienne », « Avril 1861 ».

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Je ne sais pas pourquoi, mais cette grosse boîte m’attire et je m’accroupis devant elle, sans trop savoir pourquoi. Je soulève le couvercle qui grince doucement, comme un soupir, comme une expression de soulagement pour signifier qu’enfin une personne s’intéresse à elle.

Et là, tout est là. Un monde en veille, figé, soigneusement rangé dans le ventre silencieux de cette malle.

Sur le dessus, posé comme une invitation à commencer un voyage atypique, un dessin. Au crayon, sur un papier jauni, un nu dessiné avec tendresse et délicatesse. Les courbes arrondies de la jeune femme affaissée sur un lit laissent entrevoir le rayon de soleil qui illuminait la pièce. Au bas de la page, écrit en lettres enlacées, Milly. Je découvre un autre dessin. C’est celui de la même femme, assise cette fois dans un champ, un carnet sur les genoux. Les traits de crayon sont légers, presque timides. La dame regarde au loin la forêt aux allures sereines, tranquilles, imposantes et enchanteresses. Son regard est doux, mais assuré. Cette femme semble déterminée dans sa fragilité. Ses cheveux épousent le vent qui souffle à cet instant. Au bas de la page, il est à nouveau écrit, Milly. J’en déduis que c’est son prénom. 

Au moment où je regarde ce visage, le vent frais de mai agite mes cheveux. Le murmure du vent souffle au-dehors, mais aussi au-dedans de moi.

Juste en dessous, enveloppé dans un morceau de lin, un petit crucifix en bois sombre. Simple, poli par le toucher. Usé par la prière et les frottements des doigts. Je tiens alors dans la paume tout le poids des cris, des larmes et des psaumes fredonnés de cette femme inconnue. Je tiens aussi son espérance, ses combats et ses supplications. Ce crucifix qui ne m’appartient pas raconte quelque chose de très intime. Sa présence dans cette malle évoque les souvenirs que Milly ne voulait pas jeter.

Une pochette cartonnée protège quelques disques vinyle. Les pochettes sont légèrement gondolées, mais les visages des chanteurs, eux, sont restés intacts. Une voix me frôle l’oreille ou alors est-ce une valse ou une chanson d’adieu trop souvent écoutée ?

Enfouis tout au fond, des bibelots sans importance. Un chien en porcelaine, un petit moulin à vent miniature et un enfant tenant un parapluie. Des objets sans valeur, des choses qu’on garde sans savoir pourquoi, juste parce qu’elles ont été là depuis toujours.

Enfoncée contre la paroi intérieure, une canne. Légèrement tordue, avec une poignée en argent piqué. Elle semblait fatiguée, comme une compagne de route qui aurait trop marché. Elle avait été utile et avait accompagné quelqu’un, longtemps !

Dans une petite boîte en velours bleu, j’ai trouvé une paire de boucles d’oreilles. Délicates, un peu ternies. J’ai pensé que Milly les avait mises pour danser. Pour plaire. Pour ajouter à sa beauté peut-être. Je me l’imagine marchant avec élégance, la tête haute et les cheveux relevés en chignon. Je fouille encore et découvre une broche en forme de feuille travaillée avec minutie.

Soigneusement pliée dans du papier de soie, une robe en dentelle. Ivoire, légère, presque transparente. J’imagine bien qu’un jupon était porté dessous. Rien que toucher ce tissu magnifiquement cousu me fait frissonner. Elle sent un peu la lavande et beaucoup le passé. Je n’ai pas osé la déplier entièrement. Elle avait probablement appartenu à un jour particulièrement heureux. J’effleure la dentelle et des images du passé défilent dans ma tête. Serait-ce la robe de ses noces ? Ou alors l’a-t-elle portée lors d’un bal ou d’un déjeuner sous des saules pleureurs près d’un lac ?

Je reste là, longtemps, les mains posées sur le bord de la malle. Comme si j’avais ouvert un livre sans fin, un journal sans mots. Chaque objet me regarde, attentivement, sans bruit. Comme s’ils avaient attendu qu’on les écoute encore une fois. Une dernière fois.

Un dernier regard et je vois, posée au fond un petit coffre doré qui semble contenir un trésor. Dedans roulée comme un parchemin, une tunique d’un brun pourpre. Je la déroule et la pose sur ma poitrine pour voir si elle me sied. Je ferme alors les yeux et je suis transportée en dehors du temps. Cette tunique semble renfermer tellement de choses qui me dépassent que je m’empresse de la replacer telle qu’elle était. Les émotions et les sentiments me percutent avec douceur. Je ne comprends pas trop ce qui m’arrive, mais elle est comme une armure que j’ai posée sur moi. 

Je serai bien repartie avec cette malle aux souvenirs. Mais est-ce bien sage de s’approprier des souvenirs d’une autre ? Est-ce vraiment nécessaire de vivre accrochée à l’intimité d’autrui ?

Au moment de refermer la malle de Milly, une toute petite photo en blanc et noir d’elle se détache du dessous du coffre doré. À l’arrière est écrit : Melle Catherine Chevalin, 8 rue du Passé Retrouvé, Milly-la-Forêt, France.

Milly n’est donc pas son prénom, mais fait référence à Milly-la-Forêt, l’endroit où elle a vécu. Je jette la photo dans la malle, referme celle-ci et quitte la brocante avec les souvenirs de cette jeune femme du passé, Catherine, rencontrée d’une certaine manière aujourd’hui entre des objets oubliés. 

Un brin de je-ne-sais-quoi me redonne courage et surtout beaucoup d’espérance. Mon cœur est en joie et un baume apaisant m’accompagne. Et dire que tout cela vient de la malle à Milly !

 

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