Résidence Bois-Savon, gérée par la Sécurité sociale : Les veuves ignorées de l’État

Quatre octogénaires vivent en isolement dans des conditions remplies de manquements Sur 24 maisons, 20 sont vides et sont dans un état d’abandon

Tandis que de récents cas d’agressions, y compris mortelles, envers des personnes âgées, vivant seules, ont rappelé à quel point ces dernières sont vulnérables, une vingtaine de maisons destinées aux veuves et gérées par la Sécurité sociale sont vides depuis des années ! Ces maisons du complexe Résidence Bois-Savon, non loin d’Abercrombie, avaient été construites il y a 26 ans pour reloger des veuves menacées d’expulsion sur les terres de l’État et harcelées par des délinquants peu avant 1990. Habitées puis vidées au fil des années après le décès des occupantes, les maisons sont tombées dans l’abandon. Seules quatre octogénaires, peu autonomes et dépendantes, y vivent encore dans des conditions qui devraient faire honte à l’État ! La cour de Résidence Bois-Savon manque d’entretien. Dans les maisons, l’eau courante, bien qu’accessible, est aléatoire.

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Les pensionnaires doivent faire chauffer l’eau pour leur bain. Deux des pensionnaires ne pouvant s’occuper de leur maison payent une aide-ménagère pour s’en acquitter. Hormis les rares visites d’un ou deux proches, elles vivent recluses, aucune activité n’est prévue pour elles. Pourtant, Résidence Bois-Savon est doté d’un centre récréatif ! À la nuit tombée, enfermées seules dans leurs maisons, elles n’ont que le téléphone pour appeler à l’aide, à condition qu’elles en aient la force, s’il leur arrive un souci.

Ce n’est pas toujours le cas. Le bouton d’alarme dans leur chambre ne fonctionne plus. Sur place, nous avons rencontré de vieilles dames qui nous ont confié leur tristesse face au poids de la solitude. Si notre présence a fortement dérangé des préposées de la Sécurité sociale, toutefois, au lendemain de notre passage, le problème d’éclairage dans les allées de la résidence a été remédié. Mais il reste encore beaucoup à faire pour permettre aux pensionnaires de Bois-Savon de vivre dans des conditions plus dignes.

Il n’y a rien à l’entrée de Résidence Bois-Savon pour donner une atmosphère accueillante et plaisante aux lieux. Si la large plaque sur le mur d’entrée, côté extérieur, brille, c’est parce qu’elle renvoie les éclats des rayons du soleil, elle est bien la seule chose qui scintille à Résidence Bois-Savon. Le bureau de l’agent de sécurité n’a visiblement pas été rafraîchi depuis un certain temps. L’on y croise une employée assise à même le sol, take-away en main, à sa pause déjeuner. Ce bureau qui porte des traces de poussière est à l’image des quelques 24 unités résidentielles, à l’état d’abandon, de la résidence. La cour, entretenue sommairement, est bien loin d’être un espace verdoyant embelli par les bons soins d’un service de jardinage et digne d’un havre de paix pour les aînées.

À l’origine, le concept de « maison pour veuves » avait pour objectif de permettre aux veuves de vivre les années qui leur restait paisiblement dans le bonheur et en communauté pour les éloigner de la solitude ainsi que ses inconvénients, à l’instar de l’insécurité. Aujourd’hui, si elles sont à l’abri des risques d’agression, elles sont cependant livrées à une solitude pesante et une vie oisive. Pourtant, dans l’enceinte, à l’entrée même de Résidence Bois-Savon, un centre récréatif propose des activités pour des personnes retraitées. Le jour de notre visite, des femmes et des hommes quittaient le centre animé, tout sourire après une activité de remise en forme. 24 maisonnettes au toit en tôle profilée pastel, pali par le temps, alignées en rectangle font grise mine. Des fenêtres sans rideaux laissent entrevoir des pièces vides des maisons qui ne sont plus habitées. Ces maisons, d’apparence encore en bon état, manquent cruellement d’entretien. Depuis le décès de leurs occupantes, elles n’ont plus accueilli de veuves.

Pas d’eau chaude

Les pensionnaires qui vivent encore à Résidence Bois-Savon ont créé leur univers dans la maison qui leur a été attribuée il y a presque une vingtaine d’années. Toutes identiques, les maisons sont composées de deux pièces, d’une cuisine et d’une salle de bain. Si les résidentes ne payent pas la location et l’eau, elles s’acquittent des frais d’électricité et du téléphone. Toutefois, cela fait un certain temps déjà depuis que l’eau courante ne coule plus avec la pression nécessaire pour que les pensionnaires puissent obtenir de l’eau chaude, malgré le chauffe au solaire. « Le problème avait été signalé » nous affirme-t-on, mais rien n’a été fait pour y remédier.

Une bénévole de 84 ans leur rend visite

Depuis, une des résidente rencontrée nous raconte qu’elle fait chauffer son eau de bain dans sa cuisine. Elle soulève alors le récipient d’eau chaude pour le transporter dans sa salle de bain. Elle a 84 ans. Si elle parvient à faire la cuisine, en revanche, elle ne peut s’occuper de l’entretien de sa maison. Elle a trouvé une femme de ménage pour se charger de cette tâche. Cette dernière s’occupe également de l’entretien de la maison d’une autre résidente, âgée de 89 ans et complètement dépendante d’elle y compris pour son bain et la préparation de ses repas. Une fois par semaine, l’aide-ménagère lui fait faire une promenade à l’extérieur de la résidence.

Comme personne n’est plus en état de sortir, les résidentes de Bois-Savon vivent repliées sur elles-mêmes. La visite de leurs proches, c’est-à-dire leurs enfants, déjà âgés, ou un frère est un des seuls moments où elles peuvent interagir avec le monde extérieur. Elles reçoivent aussi la précieuse visite d’une bénévole âgée de 84 ans, de l’organisation non-gouvernementale Caritas. Malgré son grand âge, cette dernière poursuit ses activités après des années de bénévolat auprès de Caritas. Pour les pensionnaires de Résidence Bois-Savon, Edna est plus qu’une présence, un repère. Un médecin et un officier de la Sécurité sociale leur rendent également visite. Il y a encore quelques années, avant que les maisons ne se vident, les pensionnaires se rassemblaient souvent à l’extérieur pour discuter, passer un moment ensemble… Mais le décès des autres veuves a laissé un vide dans le quotidien de celles qui sont restées. Les plus jeunes membres de leur famille respective ne prennent plus de leurs nouvelles.

Bien avant l’arrivée de la nuit, chacune est cloîtrée chez elle, à regarder la télévision, écouter la radio avant de s’endormir. Et si par malheur le soir il leur arrive un souci de santé, si elles n’ont pas la possibilité d’utiliser leur téléphone, personne ne saura qu’elles ont besoin d’aide. Le bouton d’alarme qui est installé à côté de leur lit ne fonctionne plus. Une des pensionnaires confie être sortie, une fois, en pleine nuit pour aller trouver de l’aide auprès de l’agent de sécurité, car elle ne se sentait pas bien. L’absence d’éclairage dans les allées aux pavés qui ne sont plus de niveau et subissent la force des racines d’arbres, n’arrange pas les choses. Pas d’infirmerie non plus à Résidence Bois-Savon. Il est plus pratique et rapide pour les pensionnaires de compter sur leurs proches si elles doivent être transportées en urgence dans un établissement de santé.

Silence des authorités

La rénovation des maisons de Résidence Bois-Savon, projet financé par le Luxembourg et inauguré en 1998, serait dans les projets du ministère de la Sécurité sociale, comme l’indique un appel d’offres (MUT Ref No : 97546327). Invité à commenter sur cet exercice et les conditions de vie des dames âgées de son projet, le ministère de la Sécurité sociale est resté silencieux. Toutefois, celui-ci a pris contact avec une visiteuse et accompagnatrice de Caritas (âgée de 84 ans, voir plus haut) pour la sommer de s’expliquer sur la présence de Week-End à Résidence Bois-Savon. Pour sa part, la directrice de Caritas Maurice, Patricia Adèle Félicité, explique que la bénévole de l’ONG est une habituée de Résidence Bois-Savon et connaît très bien les pensionnaires pour les avoir côtoyées depuis des années. « À 84 ans, elle est encore très active et il est normal qu’elle continue à voir les résidentes qui sont aussi nos bénéficiaires », insiste Patricia Adèle Félicité.

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