Rodrigues : coup de chapeau à Mgr Michel Moura, un homme des îles

  • Cérémonie d’ordination avec une touche rodriguaise sans égale, que ce soit dans le ton, la couleur ou le son
  • Le cardinal Piat : « Être pasteur n’est pas un métier, mais une histoire d’amour… »

La cérémonie d’ordination épiscopale du 2e évêque à la tête du vicariat apostolique de Rodrigues a été un coup de chapeau à Mgr Michel Moura, un homme des îles. Que ce soit le cardinal Maurice E. Piat, évêque émérite, ou encore le père Gérard Mongelard, qui a cheminé longuement aux côtés du nouveau prélat de Rodrigues, on sent les îles de l’océan Indien au bout de ses doigts. Et avec conviction. Au nonce apostolique, Mgr Tomasz Grysa ajoutera son grain de sel en affirmant en kreol que Mgr Michel Moura est « un Rodriguais parmi les Rodriguais ». Cela, non seulement en raison de son parcours pastoral, mais également de par ses affectations professionnelles dans les îles de l’océan Indien.

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Ainsi, le cardinal Piat, avec une pointe d’humour, en dépit de la profonde ferveur régnant en la circonstance, n’a pas manqué de souligner l’amour intrinsèque de Mgr Michel Moura pour Agalega. « Si ti dir li vinn levek Agalega, li pa ti pu dir non. Telma li kontan Agalega », dira l’évêque émérite, en laissant entendre qu’il ne restait que Diego Garcia à ajouter à la liste. Des références aux îles lourdes de sens dans la conjoncture de la Realpolitik de la région. Aux premiers rangs au sein de la cathédrale se trouvait le Premier ministre.

En tout cas, pendant plus de cinq heures, la cathédrale de Saint-Gabriel, une référence en matière de lieu de culte dans cette partie de l’océan Indien, a vibré avec émotions individuelles et collectives, signées du légendaire chapeau du Rodriguais en vedette. Outre les fidèles faisant le déplacement pour assister à cette 3e ordination épiscopale en l’espace de huit mois dans les îles des Mascareignes, tous les concélébrant, évêques et prêtres présents étaient coiffés de ce chapeau véritable Trade Mark de Rodrigues.

Mais il n’y avait pas que le chapeau de Rodrigues. La culture rodriguaise, que ce soit niveau musical, de l’animation ou encore du franc-parler, faisait partie intégrante de ce programme d’ordination épiscopale. Sinon comment interpréter à l’heure des offrandes de voir cette Rodriguaise ouvrant la procession et portant sur sa tête avec élégance et grâce “enn tol delo”, comme pour bien faire comprendre l’importance de l’eau dans l’île, et surtout pour souligner le grave problème de fourniture d’eau auquel font face les habitants, en dépit des promesses.

Cette procession a également permis de mettre en valeur l’identité profonde de la population rodriguaise avec des offrandes composées de produits du terroir, dont des fruits de mer, des produits agricoles, du dictionnaire kreol rodrige, et surtout la musique rodriguaise, qui fait désormais partie du patrimoine mondial, aussi bien que ces créations artistiques et historiques, en guise de devoir de mémoire.

Cette cérémonie, d’une simplicité vivante, se distingue par cette joie communicative et ce sens de l’accueil des Rodriguais. « Nou pa pu rant dan legliz. Nou prefer res deor e les plas bann invite ki finn sorti lwin », confie cette mère de famille à sa voisine en prenant place à l’ombre de ce badamier, en plein milieu de l’esplanade de la cathédrale Saint-Gabriel. Il n’était pas encore 13h et toutes les places assises à l’intérieur de l’église étaient déjà occupées, et il ne restait que quelques chaises vides sur les devants, avec un écran géant sur le fronton de la cathédrale pour permettre à ceux à l’extérieur de suivre le déroulé de la cérémonie.

Pourtant, le début officiel de la célébration était annoncé à partir de 14h30. Et jusqu’à 18h, malgré des rafales de pluies balayant de temps à autre les hauts de l’île, pas un fidèle n’a déserté sa chaise pour se mettre à l’abri. Ils ont participé avec ferveur aux différentes étapes de l’ordination épiscopale, avec une touche authentiquement rodriguaise.

Et à 18h, c’est avec un sentiment unanime de satisfaction que tous ceux qui ont consacré du temps depuis l’annonce de la nomination du 2e évêque de Rodrigues par le Vatican, en date du 20 décembre, à son organisation, des responsables de la dimension liturgique aux servants d’autels, sans oublier le Group Zom Rodrigues. Surtout cette chorale, avec plus de 300 participantes de tout âge, qui a tenu en haleine la congrégation pendant au moins quatre heures.

Ainsi, hier, Mgr Michel Moura a été ordonné évêque du vicariat apostolique de Rodrigues par le cardinal Piat, avec pour co-consécrateurs Mgr Jean-Michaël Durhône et Mgr Alain Harel, le premier évêque de Rodrigues et père fondateur du vicariat apostolique de l’île. Cette cérémonie aux couleurs de Rodrigues s’est déroulée dans une chaleur humaine inédite en présence des nombreux dignitaires religieux et civils de Maurice et de la région, notamment le nonce apostolique Thomasz Gryza, l’évêque de La Réunion Pascal Chane Teng, l’évêque émérite Gilbert Aubry, Mgr Stenio André, évêque du diocèse de Maurice, et originaire de Rodrigues, et plusieurs évêques malgaches et comoriens. De même que le Premier ministre mauricien, Pravind Jugnauth, et son épouse, le vice-président Eddy Boissézon, le leader de l’opposition, Xavier-Luc Duval, le chef commissaire Franco Grandcourt et les commissaires et membres de la Rodrigues Regional Assembly, dont la Minority Leader Franchette Gaspard-Pierre-Louis.

Rodrigues et la région de Saint-Gabriel ont connu une animation des grands jours hier avec la présence de plusieurs centaines de Rodriguais venus de tous les coins de l’île et le déplacement d’un grand nombre de Mauriciens issus de toutes les paroisses où Mgr Michel Moura a exercé son sacerdoce. Chaque groupe portant des signes distinctifs pour s’identifier, mais avec pour point commun cet incontournable et élégant chapeau de Rodrigues.

La cérémonie religieuse a été marquée par des temps forts tant spirituellement qu’émotionnellement. Il a eu, entre autres, l’hommage rendu par le père Gérard Mongelard à son compagnon d’armes depuis plusieurs années, la cérémonie de consécration sous la direction de cardinal Piat. Dans son homélie prononcée à cette occasion, ce dernier a souligné : « Être pasteur n’est pas un métier, mais une histoire d’amour. C’est aimer les brebis comme Jésus les a aimées, avec tendresse et une grande patience. » Il a poursuivi : « C’est aujourd’hui un jour de fête, un jour de grande joie pour Rodrigues, un jour longuement attendu. Je vous remercie de m’inviter à participer à votre joie et à votre action de grâce pour votre nouvel évêque. »

L’évêque émérite du diocèse de Port-Louis a évoqué les sept années durant lesquelles il a assuré le rôle de pasteur dans l’île. « Nous avons vécu ensemble le synode de 1997-2000, où la voix de Rodrigues a été entendue à travers de belles contributions sur la pastorale d’ensemble et l’inculturation », se félicite-t-il.

Toujours Down Memory Lane, le cardinal Piat a fait état de la visite effectuée par le pape Jean Paul II en octobre 1989 et qui, depuis, a été canonisé. Il avait alors transmis un message fort aux Rodriguais avec son appel à La Ferme : « Rodrigues dibout lor to de lipie ! » Auparavant, il a fait allusion à ce convaincant appel du chantre de l’autonomie, dans le sens le plus large du terme à Rodrigues, Antoinette Prudence au cardinal Tomco. Elle avait plaidé pour une église favorisant l’émergence de la spécificité et de l’identité de Rodrigues.

« Les Rodriguais n’ont pas tardé à se mettre debout pour demander au pape de donner à l’Église de Rodrigues un statut canonique reconnu dans l’Église Universelle. C’est ainsi que le 8 décembre 2002, l’Église à Rodrigues a accédé au statut de vicariat apostolique, et que j’ai participé le même jour à l’ordination épiscopale de Mgr Alain Harel, le premier vicaire apostolique de Rodrigues », se souvient-il encore. « Aujourd’hui, Rodrigues est appelée à vivre un autre passage important en accueillant son nouveau pasteur, Mgr Michel Moura. Votre évêque, c’est le pape François qui l’a nommé, mais c’est le Seigneur qui vous le donne dans sa grande tendresse pour le peuple de Rodrigues. Disons notre reconnaissance au Saint-Père et laissons monter une grande action de grâce au Seigneur. Je voudrais au passage remercier aussi le père Jean-Maurice Labour et le père Luc René Yong, qui ont, l’un après l’autre, accompagné l’Église de Rodrigues pendant cette transition et cette longue attente, pas toujours facile à vivre », ajoute le cardinal Piat.

Citant Saint-Joseph en exemple, dont c’était la fête solennelle hier, il a noté: « Comme Joseph, l’homme juste fait confiance au Seigneur, car l’Esprit Saint qui a fait naître Jésus dans le sein de Marie est le même Esprit qui a fait naître l’Église à Rodrigues; c’est l’Esprit qui donne au peuple de Rodrigues de croire en Jésus, et lui donne le courage de témoigner de l’Évangile dans la société rodriguaise. »

Le cardinal Piat n’a pas manqué de demander au nouvel évêque de faire preuve d’humilité. «  Apprends à la connaître, cette Église qui est à Rodrigues, à l’aimer telle qu’elle est, dans toute son originalité, avec ses préoccupations et ses espoirs, ses joies et ses souffrances, son élan missionnaire. Sois patient avec ses défauts, et tu découvriras, cachés derrière ses faiblesses, les trésors d’une humanité généreuse et d’une foi profonde », conseille-t-il.

« Fais confiance à l’Esprit qui habite le peuple rodriguais et écoute avec les Rodriguais ce que l’Esprit dit à l’Église qui est à Rodrigues. Fais route avec elle; marche avec elle. À certains moments, tu devras marcher au milieu du troupeau pour pouvoir écouter le peuple, participer à sa vie; mais à d’autres moments, il te faudra marcher derrière le troupeau, pour soutenir les plus faibles et veiller à ce que personne ne soit laissé sur le bord de la route; à d’autres moments encore, il te faudra marcher devant pour indiquer la direction à prendre, aider à tenir le cap, et donner du courage à ceux qui hésitent », propose le cardinal Piat, qui a invité aussi la population rodriguaise à accueillir le nouvel évêque avec confiance. Il a invité les prêtres du vicariat, les laïcs, les religieuses et les diacres.

À l’adresse des Rodriguais, le cardinal dira : « Vous avez aussi à Rodrigues une belle tradition missionnaire où des hommes et des femmes, des adultes, des jeunes, des enfants, cherchent chacun à son niveau, en petit groupe, comment ils peuvent être ensemble “sel de la terre et lumière du monde”, dans les réalités concrètes de la vie. Une joyeuse créativité a ainsi été déployée, et vous devenez peu à peu des artisans d’une belle inculturation de la foi dans la société rodriguaise. » Il a toutefois fait remarquer : « Votre évêque n’est pas un surhomme. Il ne peut pas faire de miracles. Il vient plus simplement comme un pasteur qui rejoint le troupeau là où il est rendu sur son chemin. Il a besoin de vous, comme vous avez besoin de lui, pour discerner quelle direction prendre et comment avancer ensemble. »

L’évêque consécrateur a conclu son exhortation aux fidèles en affirmant : « J’ai confiance que cette nouvelle étape qui s’ouvre devant vous aujourd’hui sera aussi belle, et portera autant de fruits que chacune des étapes précédentes du chemin que le peuple de Rodrigues a fait à la suite du Christ »

À la fin de la cérémonie, le nonce apostolique a rendu un vibrant hommage au nouvel évêque, le présentant comme « un rodriguais parmi les Rodriguais ». Pour clore cette cérémonie marquée par la joie des îles, il est revenu à Mgr Michel Moura de présenter ses remerciements à tous ceux qui ont travaillé pour en faire un succès. Mais le signe demeure que, malgré la pluie au moment crucial de la consécration, l’assistance, faisant preuve d’une discipline sans pareil, n’a pas bougé d’un pouce, préférant attendre jusqu’à la dernière minute pour donner au nouvel évêque de vicariat apostolique de Rodrigues un premier bain de foule…

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