Victimes du Covid en 48h : Tara et son époux Baliram Luximon unis dans la mort

Avec 54 ans de vie commune, Wasoodeho et Tarabye Luximon, aussi connus comme Baliram et Tara, respectivement âgés de 84 et 73 ans, ne sortaient jamais l’un sans l’autre. « Tout zot zafer zot ti fer ensam. Ziska zot la mort aussi, zot inn ensam », pleure leur fils aîné, Deepak, qui revient difficilement sur cette semaine passée durant laquelle lui, son frère Vishal et leur sœur Anju ont perdu leurs deux parents en 48 heures.

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Baliram et Tara, pourtant en bonne santé et ayant été tous deux doublement vaccinés, ont été emportés par le Covid. « Enn sel cout sa malad-là inn fini zot ! Li pa facile perdi ene dimoun ! Nou, nou finn perdi deux enn cout ! Couma nou sipozer viv aster? », se désole le policier.

C’est un fils aîné totalement anéanti que Week-End a rencontré à son domicile à Coromandel, hier après-midi. Officier de policier, il est costaud et semble inébranlable. Pourtant, il peine à cacher sa douleur. « Leker désirer. Li pa facile pou accepter perdi mama papa ensam. Mo ti pe penser mo mama surtout ena encore 10-15 ans pou viv », dit-il accablé.

Replaçant son masque correctement sur son visage, il avance: « Boucou dégât sa maladie là pe fer. Boucou fami pe detrir. » Le regard dans le vide, il lâche: « Pa pe gagn compran… »

Le mercredi 10 novembre, ses parents, qui étaient totalement indépendants en dépit de leur âge, sont allés à Rose-Hill. « Ils n’ont pas l’habitude de sortir, mais lorsqu’ils sortaient, ils yétaient ensemble », dit leur fils. Il fallait qu’ils payent leurs factures d’eau et d’électricité. « Zot pas ti pou laisse dette. Zot inn ale paye zot delo-lalimiere », explique Deepak Luximon.

A leur retour, Baliram et Tara confient à leurs enfants au téléphone qu’ils se sentent un peu fébriles. « Zot inn coumans enrhumé », dit leur fils aîné. Pour avoir le cœur net, du fait de la recrudescence du nombre de cas de Covid à Maurice, leur fille Anju se rend à leur chevet, jeudi matin, et leur fait subir un test antigène. Test qui se révèle positif au Covid pour les deux parents. « Ma sœur nous a informé et nos parents se sont mis en auto-isolement immédiatement », dit Deepak Luximon.

Négative, sa sœur préfère demeurer auprès de leurs parents pour parer à leurs besoins. « On s’est procuré des antibiotiques et ma sœur s’est assurée que nos parents se soignent », ajoute le fils aîné des Luximon. Cependant, Baliram ayant développé une diarrhée depuis samedi matin, les enfants font appel à un médecin du privé qui recommande qu’il prenne des anti-diarrhéiques.

« A part la diarrhée, mon père était bien. Et ma mère également était bien, elle avait un simple rhume », se souvient Deepak. Toutefois, durant la journée de dimanche, la diarrhée dont souffre son père étant persistante et le vieil homme étant plutôt faible, la famille décide d’appeler l’hôpital pour demander conseil.

« Comme le médecin privé, on nous a dit de lui donner des anti-diarrhéiques. On nous a aussi dit qu’on ne pouvait pas l’admettre à l’hôpital car il n’y avait pas de place », dit-il. Le lendemain, une équipe de la Domiciliary Medical Unit passe rendre visite à Baliram et son épouse.

Comme le nonagénaire souffrait toujours de diarrhée, les médecins lui prescrivent du sérum. « Les médecins nous ont dit qu’il fallait le remonter, mais que mon père n’avait pas de problème respiratoire. Pour ma mère, ils nous ont dit qu’il n’y avait pas d’inquiétude à avoir, même si elle faisait un peu de température », raconte le policier.

« Papa inn zet lekor, vini vit ! »

Aux alentours de 16h30, se souvient Deepak Luximon, il est passé rendre visite à ses parents. « Depi dehors monn coz are zot, parski mo pa ti lé pran risk. Monn amène fortifiant pou remonte mo papa parski li pa ti pé kapav bien manger », dit-il. Après une brève conversation de loin, le fils aîné rentre chez lui, laissant ses parents aux bons soins de sa sœur qui veille sur eux.

Mais à peine est-il rentré chez lui que Deepak reçoit un coup de fil de sa sœur vers 17h30 lui disant: « Papa inn zet lekor, vini vite ! » Il lui demande d’appeler le SAMU en attendant qu’il arrive. Au domicile de ses parents, il constate que son père est très faible. « Linn zet lekor ek so lizier inn virer, mais li ti pé continuer respirer », se souvient-il.

Quelques minutes après, le SAMU arrive. « Immédiatement, dokter-là inn dir nou ki leker papa inn affaibli. Zot inn consulter li, mais zot inn dir nou lespoir bien mince parski so leker ti faib net », dit Deepak Luximon. Anéanti, il regarde le SAMU transporter son père à l’hôpital Candos. « Nou ti conner dificil, mais nou ti ena lespoir kan même. Deux heures après, lopital téléphone nou pou dir papa finn mort », dit-il.

« Mama pe fer lafiev »

Un véritable choc pour la famille qui ne comprend pas comment en si peu de temps, l’état du patriarche s’est détérioré ! Tara, elle, est anéantie ! Son cher époux s’en est allée. Elle reste abasourdie comment le virus l’a emporté, d’autant qu’elle est elle aussi positive au Covid. Mardi, la famille s’occupe des rites funéraires pour Baliram Luximon qui est incinéré aux Salines.

Malgré la positivité au Covid de leur mère, ses enfants et petits-enfants, tout en respectant la distanciation sociale, restent auprès d’elle dans ce moment pénible. « Li pa ti ena symptome à part enn ti lafiève, mais avec sa nouvel là, li fini coumans gagn faiblesse » Un médecin privé sollicité par la famille lui prescrit, à elle également, du sérum pour la requinquer.

Ce mardi soir, Tara Luximon se sent mieux. “Nous sommes restés longtemps tous ensemble à évoquer les souvenirs de mon père. Ma mère était avec nous et elle pouvait marcher. Nous avons passé un bon moment ensemble », dit Deepak. Peu avant minuit, il rentre chez lui à Coromandel. Mais vers 3h du matin, sa sœur l’appelle à nouveau, l’informant que « mama pe fer lafiève. »

Elle avait 39° de température. Le fils aîné demande à sa sœur de prévenir les services hospitaliers qui dépêchent un médecin de la localité chez la famille, en attendant l’ambulance. « Mo mama so taux d’oxygène ti fini arrive 77. Docter inn dir lambulance vine au pli vite ek kan inn mett loxygène are li, li finn réfer. So saturation tinn arriv 88 », raconte Deepak Luximon.

Cependant, c’est pas suffisant pour être tranquille. C’est pourquoi l’octogénaire est transportée immédiatement à l’hôpital. Lequel? Les ambulanciers indiquent qu’ils tiendront la famille au courant car tous les hôpitaux sont débordés. « Nou pa ti conner kot inn amene li, ni ki soins li pé gagner. Nou fer zot confiance parski pou nou, ti bizin sov mo mama », dit Deepak. Mais à 7h, lorsque le téléphone sonne, c’est une autre mauvaise nouvelle qui est annoncée à la famille: Tara Luximon a succombé au Covid.

« En 3h dé temps, mo mama inn fini mort. Couma, kiffer, nou pa reci compran », dit son fils aîné. La compagnie des pompes funèbres qui s’est occupée des rites funéraires de Tara récupérera sa dépouille à la salle 19 de l’hôpital Victoria.

Pour les Luximon, « couma dir leciel inn tomb lor nou latete. Li pa facil accepter deux dimoun, mama-papa kit nou aller coum sa brit », dit Deepak Luximon. Les larmes aux yeux, il se répète : « Sa virus-là extra dangereux ! Mo ti penser au moins mo mama pou viv encore 10-15 ans. Enn cout coum sa linn aller ! Sa virus-là pe fer boucou souffer. » Eclatant en sanglots, il se demande : « Ki sanla pou cuit nou farata dan jeudi ? » Tara Luximon couvait ses trois enfants et cinq petits-enfants comme une véritable mère poule.

Chaque jeudi, elle cuisinait des « rotis et 7 carry » pour tou. « Malgré zot laz, nou parent ti autonomes. Zot ti bien indépendants ek zot ti guett nou couma dir nou ti encore reste lakaz kot zot. Mo mama ti contan fer sa bann ti gâto là tou sala pou nou. Li ti extra contan gate nou tou », pleure Deepak. Il se souvient encore des mots de prévention de sa mère pour lui car elle redoutait qu’il n’attrape le Covid en tant que frontliner, d’autant que souffrant d’un cancer, il est un patient fragile.

« A sak fois couma li trouve moi, li dir moi pran précaution. Sak fois li ti pe dir moi fer attention », dit-il, surtout que pour son traitement à effectuer en Inde, Deepak Luximon a entrepris une quête publique. « Li ti pé dir moi pa bizin ale ramasse kass, pou nou, pa pran risk Covid », ajoutant qu’effectivement, même si à la fin de ce mois, il doit se rendre en Inde pour son traitement, il a mis une pause à sa quête, le temps que la situation sanitaire se décante à Maurice.

« Sak fois mo mama ti pé dir moi fer attention »

Pour les enfants de Baliram et Tara, la douleur est immense et les questions sont nombreuses. Certes, ils savent que le virus est en train de faire ravage à Maurice. « Mais bann-là ti bien. Enn sel cout papa inn zet lekor, enn sel cout mama inn mank loxygen », dit Deepak. Les questions tournent en boucle dans sa tête: « Que s’est-il passé? Couma inn arrive sa l’extrême-là? »

Il se demande aussi ce qui ne va pas l’hôpital pour qu’autant de patients décèdent aussi vite. Anéanti par la perte de ses parents en moins de 48h, ce frontalier demande à la population d’être vigilante : « Li pa facil perdi ou deux parents presque même zour, li déroutant ! Mo demande zot tout fer attention. Prend précautions. Applik gestes-barrières, ek vié dimoun pas sorti pou nanien. Fer attention ! »

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