ARTISANAT : La flotte de l’amiral Loval

À l’adolescence, il était pêcheur. Aujourd’hui, à 82 ans, Guy Loval entretient son amour pour la mer à travers les maquettes de bateaux qu’il construit dans son atelier à Curepipe. Dans le sillage de ces petits voiliers, un flot de souvenirs narré par l’ancien soldat posté en Égypte, qui a vécu en pratiquant différents métiers, y compris celui de chanteur…
Un coup d’oeil vers le ciel et il peut deviner l’état de la mer. Tandis que le soleil disparaît derrière l’horizon, l’absence de la lune lui indique que les flots ne sont pas favorables. S’il vivait toujours à Pointe d’Esny, le vieux loup se serait fié aux signes et à son instinct et n’aurait pas sorti sa pirogue en ce début de soirée.
Qu’il vive désormais à Curepipe ne l’empêche pas de se laisser bercer par les souvenirs de la mer. Sous son béret noir, le vieux pêcheur prend désormais une posture d’amiral. Mis à quai sur une table au coin de sa maison, environ douze voiliers attendent ses ordres. Dans quelque temps, lorsque les dernières embarcations seront prêtes, la flotte en comptera une quinzaine. De fiers bateaux avec lesquels l’amiral Loval mettra le cap vers ses nouvelles ambitions.
Caipen.
“Un bateau ne peut pas ne pas avoir de nom. Car les gens voudront savoir comment il s’appelle”, insiste Guy Marcel Loval. Pour baptiser les siens, il a plongé dans ses souvenirs, d’où il a ramené des profondeurs de l’oubli Neptune, Clipper, Cailpon, Sirenno, Chance, et les autres. Ces voiliers, il les a connus dans les années 40. Ils voguaient dans les eaux de Mahébourg, appartenant à Baboo, à Babet et à d’autres pêcheurs de la région : “Ils sont tous morts aujourd’hui.”
Adolescent, Guy Loval travaille sur le Caipen, un 24-pieds qu’il utilise pour la pêche mais aussi pour le transport des marchandises. À cette époque, puisque la route vers Petit Bel Air n’est pas praticable, le Caipen est aussi utilisé pour le transport des corps jusqu’au cimetière.
Origines.
Ayant vécu mille et une aventures sur le pont de ce voilier, Guy Loval en a fait la pièce maîtresse de sa collection. Le Caipen mesure aujourd’hui 23 pouces et est surmonté d’une belle voilure en blanc cassé. Quelques bonshommes en uniforme bleu montent la garde à bord. Taillée dans une seule pièce en bois, cette maquette a été construite, il y a une trentaine d’années. Elle lui rappelle souvent ses origines.
Guy Loval n’est plus pêcheur. Il a quitté l’armée il y a longtemps. Il a aussi pris sa retraite comme menuisier et peintre en bâtiment. Désormais, il se consacre presque exclusivement à l’artisanat, dans l’atelier bricolé sur le flanc gauche de sa maison à Camp Le Juge, Forest-Side. C’est là, avec des moyens du bord, qu’il a construit sa flotte.
En bouteille.
En blanc, orné de rebords et de voiles rouges, verts, bleus ou à fleurs, chacun des voiliers de Guy Loval a été monté, taillé et peint de ses mains. L’artisan garde jalousement les secrets de la technique qu’il a développée pour les ranger dans des bouteilles en verre. C’est là qu’ils voguent désormais, sur un fond peint en bleu, au milieu de petites installations de coraux que le vieil homme a ramassés dans les eaux du Morne ou de Gris Gris.
Chaque pièce est unique, et Guy Loval leur invente chacune des histoires. Pour sa toute dernière création, il a rêvé d’une course entre deux voiliers, l’un français et l’autre italien, qu’il a fait rentrer dans une même bouteille.
Régate.
Cette petite histoire lui rappelle son adolescence. À l’époque, ses amis et lui s’affrontent dans des régates à bord de voiliers conçus avec du raphia. “Des paris étaient organisés sur ses courses. Cela nous rapportait de l’argent”, raconte-t-il, en faisant resurgir des images de cette autre île Maurice.
Alors qu’il n’a que 18 mois, “mo papa ti donn mwa dimounn”. Guy Loval grandit auprès d’une famille de pêcheurs. Il retrouvera plus tard sa mère à Curepipe, à 18 ans. Pour vivre, il apprend plusieurs métiers.
Il a 18 ans lorsqu’avec quelques amis, il prend un jour le Sime Rel menant vers Vacoas pour s’inscrire à l’armée. Quelques jours plus tard, il fait le trajet en bateau pour l’Égypte comme soldat. Il y restera huit ans. De retour au pays, il reprend la pêche et ses autres métiers.
Bout de bois.
Dans son entourage, Guy Loval a toujours été connu pour son sens de la débrouillardise. C’est ainsi qu’une “Madame blanc” lui montre un jour une maquette de bateau montée dans une bouteille. “Elle l’avait obtenue des États-Unis et voulait que j’en fasse une autre.” Il étudie longuement la question et, après quelques échecs, finit par trouver la bonne technique.
C’est toutefois à cette période qu’il met le cap sur l’Arabie Saoudite où il travaille pendant quelque temps comme ouvrier et artiste. Guy Loval a, en effet, une grande passion pour la chanson. S’il ne sait ni lire ni écrire, il parle plusieurs langues, dont l’arabe, et compose et chante en français et en italien.
Maquette.
Pour remercier Gérard Cimiotti de l’avoir accueilli dans son studio pour l’enregistrement d’une maquette, Guy Laval a recommencé à faire des maquettes de bateaux. “J’ai ramassé un bout de bois à côté de l’église Immaculée. Je l’ai travaillé pour en faire un cadeau que j’ai offert à Gérard Cimiotti. Depuis, j’en ai fait plusieurs autres.”
Ses outils ont été bricolés en fonction des besoins. Guy Loval veut aujourd’hui mettre ses maquettes en vente. “Je dois préalablement en avoir une quantité suffisante avant de me lancer.” Il est joignable sur le 912-2013.
Le fringant bonhomme n’a pas fini d’étonner. “Les gens me demandent constamment mon secret pour rester jeune”, dit-il en riant. Nous n’en saurons pas plus. La formule a sans doute été concoctée avec la bonne humeur, le dynamisme et la passion des choses de l’amiral Loval.
À 82 ans, Guy Loval tient fermement le gouvernail de sa vie pour voguer en avant…

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