Arvin Boolell (nouveau leader de l’opposition) : « Le judiciaire, notre dernier rempart, est “fiercely independent” »

Arvin Boolell assumera pour la première fois de sa carrière politique et parlementaire les fonctions de leader de l’opposition au sein de la nouvelle Assemblée nationale issue des élections générales du 7 novembre. Il a été choisi à l’unanimité par le bureau politique et les nouveaux élus du PTr, qui disposent avec son partenaire de l’Alliance Nationale, le PMSD, d’un plus grand nombre de parlementaires au sein de l’opposition parlementaire. « Je serai un leader de l’opposition de consensus », a-t-il affirmé dans une interview accordée au Mauricien. « Nous aurons une entente très cordiale et sommes certains que nous réussirons à fédérer nos forces », souligne-t-il. Il se montre prudent quant au leadership du PTr, estimant que « chaque étape sera franchie par la force des circonstances et la volonté de l’électorat ». Arvin Boolell revient également sur les dernières élections générales et souligne que l’opposition représente 52% des suffrages exprimés.

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Les dernières élections ont traversé le pays comme un cyclone. Quel regard jetez-vous sur ce qui s’est passé il y a une semaine ?
C’est vrai, il semble que le pays ait connu des intempéries politiques. Les victimes sont aujourd’hui les partis politiques qui sont dans l’opposition. Le fait toutefois est que 63% des électeurs ont voté contre le MSM et le ML et ses partenaires minoritaires qui sont aujourd’hui au gouvernement. 52% ont soutenu les élus qui sont aujourd’hui sur les bancs de l’opposition. Sur la base des suffrages, nous avons aujourd’hui un gouvernement émanant d’une minorité des électeurs. C’est le résultat du système électoral dont nous disposons. Nous avions la volonté d’apporter une réforme électorale digne de ce nom basée sur le document préparé par le PTr et le MMM intitulé Modernising the électoral system. Aujourd’hui, à la lumière des données, le Parlement ne reflète pas la réalité du nombre de votants. J’espère que la réforme électorale revient sur le tapis et nous permettra de nous défaire du syndrome majorité-minorité que le ministre mentor a utilisé comme argument et qui fait reculer l’Unité nationale.
Un pays multiracial et multiethnique se doit d’avoir un environnement politique qui entretient l’harmonie sociale pour le développement économique. C’est une grande réalité. Ensuite, il y a eu les failles qui ont été constatées le jour du scrutin. J’ai confiance en la Commission électorale. J’ai eu l’occasion de rencontrer le commissaire électoral Irfan Rahman cette semaine, et il m’a donné certaines explications. Il m’a informé qu’une enquête est en cours pour comprendre comment 6 813 personnes n’ont pu accomplir leur devoir civique parce qu’elles avaient été désinscrites de la liste électorale. C’est une bonne chose. On estime que le nombre de personnes qui n’ont pas pu voter à près de 20 000. Beaucoup d’électeurs potentiels ne se sont pas rendus aux urnes après avoir constaté que leur nom ne figurait pas sur la liste électorale. Dans un pays où la marge de victoire est très étroite, on ne peut ignorer ces manquements. Il faut ajouter à cela qu’il y a eu beaucoup de désinformations basées sur les faits qui n’étaient pas avérés. D’autre part, est-ce que l’enregistrement des données sur ordinateur a été effectué en toute transparence ? Il y a eu des moments où les agents qui assistent au dépouillement ont dû évacuer les salles afin d’éviter le désordre. En l’absence d’un “tight scrutiny” malheureusement, il n’y avait pas de transparence dans le système.

Comment avez-vous réagi par rapport aux nombres d’électeurs non inscrits ?
L’ampleur du nombre d’électeurs non inscrits cette année est anormale. Je connais des personnes qui vivent à l’étranger qui étaient en vacances à Maurice et dont les noms figuraient bel et bien sur la liste des votants alors que ceux qui vivent à Maurice ne sont pas arrivés à trouver leurs noms. Selon les informations obtenues de la Commission électorale, il y avait 517 personnes qui n’avaient pas pu voter lors de l’élection partielle à Belle-Rose/Quatre-Bornes. Cela ne justifie pas le nombre de personnes qui n’ont pu exercer leurs droits civiques et fondamentaux. Je ne comprends pas pourquoi il y a eu autant de queues devant les salles de classe alors que dans chaque classe il y avait cinq isoloirs. Les cartes d’identité nationale n’ont pas été utilisées comme il le fallait. Il y a eu beaucoup de zones nébuleuses dans le système électoral. Les éléments de doute sont là alors que le système aurait dû être “full proof”. Il y a six circonscriptions où la marge entre le troisième et le quatrième candidat était très étroite. Dans de telles circonstances, la réponse donnée émise par la Commission électorale m’a étonné. Elle a réduit un problème d’envergure en termes de statistique pour venir dire que le pourcentage officiel des non-inscrits était de 0.72%. Ce qui indique que la Commission électorale était sur la défensive. De plus, le système électoral a fait un “false start” parce que dès le premier jour, l’ESE avait condamné la MBC qui est devenue une boîte de propagande et qui pratiquait un “unfair reporting”. Le “rigging process” a commencé il y a une année avec la délégation des pouvoirs de la PSC aux ministères pour le recrutement dans la fonction publique. Même le dernier recrutement des médecins qui doit normalement être effectué par la PSC a été délégué au ministère. Il y a eu des recrutements dans les corps para-étatiques à la veille des élections générales. Il faut reconnaître qu’il y a eu beaucoup d’argent en circulation pendant les élections. Ils pensaient qu’on pouvait rendre une partie de l’électorat complice d’un système électoral qui était mal parti. Le comble a été le “weaponising” des informations. Ils ont utilisé des “fake news” comme une arme pour cibler certains endroits spécifiques dans les régions rurales. Le clip de Plaine-Verte a été un cas classique de ce que je considère “weaponising fake news” à travers “deep fake news”. Une information a été manipulée et déformée. Ce qui a créé des étincelles et des psychoses que nous connaissons très bien.
Je suis convaincu que trois jours avant les élections, l’Alliance Nationale était sur le chemin de la victoire. Les choses ont déraillé pour les raisons que j’ai avancées. Ce qui est inquiétant, c’est que dans un pays comme Maurice où certaines circonscriptions ont un nombre limité de votants et d’autres un nombre conséquent, lorsque la marge séparant le vainqueur et le perdant est très mince, la Commission électorale ne peut rester sur la défensive et doit venir avec des arguments plausibles. Et s’il faut faire une enquête, qu’on le fasse de manière à ce que toute la lumière soit faite sur ce qui s’est passé. Il y a eu des cas où des officiels ont demandé à des électeurs de signer leur bulletin de vote et d’autres cas où certaines personnes ont pris en photo leur bulletin de vote. Jamais, j’ai vu un scrutin marqué par autant d’incidents susceptibles de semer le doute sur son caractère “free and fair”. C’est très déplorable et c’est inquiétant pour ce qui concerne la démocratie électorale !
Alors que le leader de l’Alliance Nationale évoque ces mêmes problèmes, le Premier ministre le traite de mauvais perdant. Qu’en pensez-vous ?
Le Premier ministre ne peut prendre les choses à la légère. Il faut à tout prix revoir la Representation Republic Act afin de donner plus de pouvoir au commissaire électoral. Il faut que l’Electoral Supervisory Commission arrive à dissiper tous les doutes concernant sa proximité avec un parti politique. Pourquoi ne pas instituer une commission d’enquête présidée par un ancien juge pour faire la lumière sur toutes ces anomalies et manquements qui sont contraires à la bonne marche de la démocratie ? Nous envisageons également la possibilité de passer par la voie juridique eu égard à la façon dont les choses se sont déroulées. Pour moi, c’est du jamais vu. Il y a des preuves pour démontrer qu’il y a eu des cas de mauvaises pratiques.

Au-delà de ces problèmes, le Parti travailliste était-il suffisamment préparé pour participer à ces élections générales ?
Le Parti travailliste avait misé sur plus de candidats dans les circonscriptions avant de faire un choix final en basant sur les informations recueillies dans les circonscriptions et des critères établis. Un comité avait été institué pour faire une évaluation des candidats potentiels. Nous assumons nos responsabilités et prenons toutes les facteurs qui reflètent la mosaïque de notre société en considération. Nous avons finalement aligné une équipe composée d’éléments d’expérience, de nouveaux venus ainsi qu’un nombre de femmes. Une de nos faiblesses est que nous avons aligné certains candidats à la veille du Nomination Day. De plus, nous n’avions pas suffisamment de ressources tant financières que physiques. Nous avons souffert cruellement car nous n’avions pas de gros moyens à déployer. Il faut être honnête pour reconnaître qu’au-delà de la politique indigne pratiquée par le gouvernement dont le non-respect des institutions, nos adversaires ont pratiqué la “micro politics”. Je dois à ce sujet leur donner le crédit mérité. Ils ont ciblé circonscription par circonscription et ont accordé plus d’attention dans les circonscriptions rurales, et ciblé ceux qui avaient une sympathie pour le Parti travailliste. Par la suite, ils ont essayé de diaboliser le PTr qui est un parti national et ont tenté de faire croire que ce parti donne un traitement spécial à telle ou telle communauté.

Dans le cadre de cette campagne, est-ce que le leader du PTr était un “asset” un “liability” ?
Je ne porte pas de jugement, mais s’il y a une chose qui est claire et nette, c’est que nous étions sur le chemin de la victoire à quelques jours des élections. Notre meeting national à Quatre-Bornes avait attiré une foule énorme. Toute la presse et même les bookmakers avaient donné le PTr gagnant. Fallait-il organiser un meeting national ? Quoi qu’il en soit, nous savons l’abus qui a été fait avec le clip de Plaine-Verte qui a été utilisé pour faire ce qu’on appelle “deep fake news”. Je suis arrivé à la conclusion qu’ils se sont servis de tous les moyens pour “distort” des informations. Le “worst case” scénario était pour nous un “hung Parliament”. Si nous n’avions pas été pas victimes de “deep fake news” et de “money politics” durant la campagne électorale, les gens auraient été en adulation devant Navin Ramgoolam.
Lorsque le MMM avait organisé son meeting, il avait attiré une foule conséquente. À la suite de cela il y a eu une réaction qui peut être qualifiée de “basic instinct”. Une section de la population s’est repliée sur elle-même de peur que Bérenger devienne le “king maker”. Cette réaction primaire a été observée dans les régions rurales. C’était un facteur non négligeable mais qui n’aurait pas eu une grande influence. Avec la manipulation de la déclaration de Navin Ramgoolam à Plaine-Verte, il y a eu un mouvement du PTr vers le MSM dans les régions rurales, en particulier dans les circonscriptions de 4 à 13. Il y a eu un retour de l’électorat traditionnel du MMM vers ce parti. Cependant dans les villes, les choses étaient différentes. Nous avons fait un bon score à Port-Louis et dans les régions urbaines, notamment, à Vacoas, Phoenix, à Quatre-Bornes. J’ai été étonné par les résultats à Curepipe. À un certain moment, le MSM était donné perdant au No 17. Il était loin derrière. Qu’est-ce qui s’est passé ? On dit qu’il y avait beaucoup d’argent en circulation.

Toujours est-il est qu’ “at this pointing point”, le PTr est décapité ?
Je ne dirais pas que le PTr est décapité, car il ne faut pas oublier que notre base électorale de 30 à 33 % est là. Il nous faut maintenant regarder vers l’avenir. Ce n’est pas la première fois que nous subissons une défaite. Ce n’est pas la première fois que nous avons à remonter la pente. Ce n’est pas qu’un leader et les membres en vue du parti qui perdent une élection. Nous avons des leçons à tirer. Il faut d’abord répondre à la demande de l’électorat. Il nous faut nous réinventer. Il nous faut laisser la situation se décanter. Nous envisageons d’entrer une affaire en cour pour démontrer que dans les circonscriptions où la marge de victoire était très mince, ces manquements ont fait la différence. Nous ne sommes pas les seuls à le dire. Nous constatons que le MMM a commencé à dénoncer cette situation. De plus, la société civile est montée au créneau pour réclamer des informations précises de la Commission électorale. Dans leurs pétitions, ils demandent de déclarer les élections “null and void”. Ce n’est pas le PTr qui le demande, c’est la société civile. Attendons voir ce qui sortira de cet épisode. Le PTr ne restera pas insensible. Nous assumerons nos responsabilités. Nous sommes appelés à apporter les changements nécessaires. Il y a un sentiment de déception.

C’est donc vous qui assumerez les fonctions de leader de l’opposition ?
Les nouveaux élus se sont réunis sous la présidence de Navin Ramgoolam mardi et ont pris la décision de me confier le poste de leader de l’opposition. Je remercie tous les membres qui étaient présents. J’ai eu un mot spécial pour Shakeel Mohamed qui a été chef de file au niveau parlementaire depuis 2014. Je me suis joint à l’équipe en 2017 et nous avons travaillé comme un seul homme. Il y avait une symbiose entre nous. Nous avons fait la fierté du PTr. Le poste de leader de l’opposition est un poste constitutionnel. Nous connaissons les prérogatives de ce poste. Au Parlement, nous travaillerons en étroite collaboration avec tous les partis de l’opposition. Nous aurons une entente très cordiale et sommes certains que nous réussirons à fédérer nos forces. Je serai un leader de l’Opposition de consensus
Je compte déléguer les responsabilités. J’ai déjà rencontré les leaders du PMSD et du MMM. Je m’entends très bien avec eux. L’approche et la forme doivent être collectives. Nous travaillerons avec beaucoup d’assiduité et insisterons avec force sur les thèmes appropriés. Nous ferons entendre nos voix haut et fort parce que nous sommes les représentants du peuple et représentons 52 % des suffrages.
Nous travaillerons collectivement. Nous aurions pu venir avec les manquements des élections. Nous préférons faire un travail en profondeur. Comme proposé par le leader du MMM, Paul Bérenger, nous avons décidé d’instituer un comité tripartite composé de deux légistes de chaque parti afin de se pencher sur les manquements observés durant les élections avant de décider de la ligne à suivre. Il y a aussi la période de grâce de cent jours. Il faudra voir comment le gouvernement honorera les promesses faites avant les élections. Nous sommes un “net food import country”, il y a l’accumulation de la dette, etc.

À quel moment comptez-vous poser votre première PNQ ?
Il est difficile de le dire à ce stade. Il faudra savoir ce qui se passera le 22 novembre, date à laquelle la Grande-Bretagne doit se retirer de l’archipel des Chagos à la lumière de l’opinion émise par la CIJ. Il faut savoir s’il y aura une nouvelle résolution, s’il y aura un retrait graduel de la Grande-Bretagne. Est-ce qu’il y aura des discussions bilatérales ? J’informerais les deux leaders. Il y a d’autres questions d’ordre général touchant la sécurité, le “law and order”. Je me ferai un devoir de ne pas monopoliser toutes les questions et de donner la chance aux parlementaires de l’opposition de poser des questions.

Comment avez-vous apprécié le traitement réservé à Navin Ramgoolam à son retour au centre de vote dans la nuit du 8 novembre ?
C’est le résultat de ce qu’on appelle les “deep fake news”, ensuite on a diabolisé le Dr Ramgoolam. Il y a eu des instigateurs. Je me demande s’il n’y avait pas des éléments de la force policière qui ont agi comme instigateurs. Je pèse mes mots. Je dis cela parce que ces éléments ont eu accès dans la cour de l’école et dans toutes les classes. Ces gens n’étaient pas des candidats ou des éléments qui étaient sous l’influence de l’alcool. Il est clair qu’on a “whip up” le sentiment antitravailliste. Le Dr Ramgoolam comme un candidat a le droit de demander un “recount”. C’est un droit légitime. On ne peut dire non. Il peut le demander sur la base des informations dont il dispose. On a laissé la foule entrer alors que le décompte des voix n’était pas terminé. Il fallait attendre les résultats pour le faire. Cela a été le cas dans beaucoup de centres de dépouillement. C’est effrayant parce que cela va à l’encontre de la bonne démocratie.

Votre nomination comme leader de l’opposition est-elle une étape vers le leadership du PTr ?
J’ai dit qu’il faut donner l’occasion à tout le monde de respirer. Chaque étape sera franchie par la force des circonstances et la volonté de l’électorat.

Quel est l’état d’esprit de Navin Ramgoolam ?
Le Dr Ramgoolam passe par une étape difficile. Je suis chagrin que pour la seconde fois il ait été malmené par des personnes instrumentalisées dans le but de l’humilier. Cela va à l’encontre de la bonne marche du système électoral. Les Mauriciens doivent savoir ce que veut dire le respect de l’adversaire. Jamais, au plus grands jamais, je n’ai vu le PTr instrumentaliser une situation où il y a le non-respect des adversaires.

Comment voyez-vous l’avenir de Maurice ?
Il est temps de revoir la Constitution. Après 50 ans d’indépendance, il faut qu’il y ait des experts en matière constitutionnelle en collaboration avec les experts mauriciens et la société civile, revoir la Constitution. La nouvelle Constitution doit être épurée de tout qui concerne la discrimination, les facteurs de stigmatisation. Il faudra créer une société qui consolide l’unité nationale. Il faudra cesser avec la polarisation de notre société. À l’heure de la nouvelle technologie, il ne faut pas reculer. Il faut, au contraire, converger vers une véritable solidarité mauricienne. Cela nous interpelle d’avoir une nouvelle réforme électorale. Il faut revoir en profondeur le financement des partis politiques. Il est temps pour l’île Maurice de revoir sa Constitution en termes de “fair representation” de toutes les communautés. Il ne faut pas de discrimination concernant les orientations sexuelles. Il faut prendre en considération toutes les conventions internationales que nous avons signées ainsi que la lutte contre la pauvreté. Si nous voulons devenir un “high status country”, il faudra voir le “right mindset”. Sinon, nous resterons toujours dans un “middle income trap” et serons demandeurs auprès des puissances existantes et puissances émergentes.

La Cour intermédiaire a rayé hier les 23 charges portées contre Navin Ramgoolam dans le cadre de l’affaire des coffres-forts. Vos commentaires.

Le judiciaire est le dernier rempart et heureusement pour nous qu’il est “fiercely independent”. C’est vrai pour Navin Ramgoolam, mais c’est aussi vrai pour n’importe quel citoyen mauricien. Cela témoigne également de la persévérance de Navin Ramgoolam et de son endurance. Je lui présente ainsi qu’à sa famille mes meilleurs vœux.

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