Le cardinal Piat partage son rêve pour Maurice

  • L’évêque de Port-Louis met en garde contre deux dangers, la dégradation de l’environnement et l’écart entre les salaires
  • « Il y a urgence de rééquilibrer nos objectifs économiques pour que la croissance intègre activement le développement humain des personnes, le respect des droits humains des plus pauvres et la protection de notre environnement »

Le cardinal Maurice Piat, évêque de Port-Louis, s’est adressé aux jeunes pour sa traditionnelle Lettre pastorale dans le cadre du Carême. Le document intitulé « Jeune, Maurice compte sur toi »,  sur un ton intimiste, partage d’abord les impressions et sentiments du cardinal dans le contexte de ces 50 années d’indépendance. Il aura brassé large, abordant l’« urgence de rééquilibrer les objectifs économiques  », des « signes d’épuisement » de la démocratie mauricienne, tout en signalant le « repli communal » et l’importance de l’unité et de la solidarité. La question écologique, définie à trois volets, n’est pas en reste. Par ailleurs, il évoque la capacité de la société civile à faire évoluer les choses, au-delà des gouvernements.

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L’évêque de Port-Louis ne manquera pas de relever deux dangers sérieux pour le pays, notamment « les dommages à l’environnement » et le gouffre entre ceux au bas de l’échelle et les autres. À ce dernier titre, il dira que « l’écart entre les salaires à Maurice a augmenté ces dernières années et atteint des proportions qui suscitent de sérieuses interrogations par rapport aux inégalités ».

« Urgence de rééquilibrer les objectifs économiques  »

Au tout début de son mandement de carême en cette année du 50e anniversaire de l’indépendance, le cardinal Piat fait un survol de la « situation économique désastreuse » avec en parallèle le sens de débrouillardise des Mauriciens et une certaine solidarité. « Je revois toute cette misère, le désarroi des jeunes chômeurs qui n’avaient pas accès à l’éducation secondaire qui était encore payante et pas abordable pour la majorité. Mais les Mauriciens étaient aussi solidaires », dit-il. Il constate depuis 25 ans un changement de modèle économique, axé sur les services et sur les technologies de l’information et des communications, insufflant ainsi un nouvel élan à l’économie. Si la nouvelle économie,  dit-il, donne du travail surtout aux jeunes diplômés, elle laisse sur le carreau d’autres jeunes n’ayant pas de diplômes. Il plaide pour une économie qui soit au service du développement des personnes et non seulement consistant à faire monter le taux de croissance économique. Il fait état des deux dangers susmentionnés avec des signes flagrants sur le plan de l’habitat et de l’accès aux soins de santé avec pour conséquence que « cela engendre un malaise social que personne ne peut ignorer ».

Pour l’évêque de Port-Louis, dans la conjoncture, il y a « urgence de rééquilibrer nos objectifs économiques pour que la croissance intègre activement le développement humain des personnes, le respect des droits humains des plus pauvres et la protection de notre environnement ».

*Démocratie : « Des signes d’épuisement »

Tout en se félicitant de la « vigilance des médias libres ainsi que l’indépendance du pouvoir judiciaire qui assurent un minimum de bonne gouvernance et préservent d’abus grossiers », le cardinal constate que le « système démocratique  donne plusieurs signes d’épuisement ».  Et il est très critique envers les politiciens et les partis politiques.  « La grande majorité des politiciens ne présente guère plus de projets de société soutenus par une vision d’avenir ; ils sont habités plutôt par des objectifs à courte échéance : la soif d’être élus ou réélus ». Il fustige la pratique des faveurs à droite et à gauche et les promesses mirobolantes durant la période électorale. « On abrutit le peuple au lieu de l’écouter et de l’inviter à réfléchir ».  Il n’y a plus, selon lui  de « vrais adhérents à un parti » mais qu’il y a plutôt  « de simples ‘fans’ »,  et des  «  suiveurs inconditionnels » à qui on promet des récompenses. Il est « dangereux et irresponsable » poursuit le cardinal « de laisser notre démocratie se déprécier aux yeux des générations qui montent et qui en ont assez ». Selon lui, les jeunes  souffrent de n’avoir plus de ‘role models’ en politique. L’absence de réglementation du financement des partis politiques et l’absence d’obligation pour les élus à déclarer leurs avoirs ont contribué à la « triste dévaluation » de la démocratie. Il égratigne aussi le best loser system à caractère communal qui inciterait d’une manière tacite  « à faire davantage confiance à la représentation ethnique qu’à la représentation citoyenne ». Il ajoutera que « sauver la démocratie passe  par un courage politique d’émettre de nouvelles règles du jeu, d’ériger de nouveaux garde-fous qui assurent la transparence dans les partis politiques et le fair-play dans le système électoral ».

«Un certain repli communal dans l’embauche publique ou privée »

Le cardinal se dit heureux de cette diversité culturelle propre au pays et qu’en général, les Mauriciens témoignent d’un respect envers les traditions et les coutumes différentes de leurs compatriotes et surtout que « les jeunes sont contents d’évoluer dans un tel contexte multiculturel ».

« Quand j’étais jeune, avant l’indépendance, ce n’était pas tout à fait comme cela. Nous vivions très séparés les uns des autres », ajoute-t-il en évoquant la bagarre raciale de 68, qui a laissé des séquelles dans beaucoup de familles et « a blessé le mauricianisme qui commençait à s’affirmer joyeusement à la base ».  L’éducation gratuite et le travail ont favorisé le brassage des jeunes de toutes communautés. En même temps le cardinal dénonce un « type de ghettoïsation de l’habitat » et des discriminations dans certains secteurs. « Un certain repli communal demeure dans l’embauche publique ou privée  tandis que certaines écoles, certaines structures de santé ou certaines plages, tout en étant officiellement ouvertes à tous ne sont pas toujours accessibles à tous », rajoute-t-il.

*Pour une écologie mauricienne intégrale

Le cardinal prévient les jeunes des crises qui se profilent à l’horizon mais qui ne sont pas des drames. Il s’agit des difficultés réelles que le pays doit  « confronter honnêtement » . Il y a selon lui une « seule crise, qui est à la fois économique, démocratique, sociale et morale »  et dont la source est « la crise écologique profonde qui touche notre planète aujourd’hui ». C’est l’occasion, dit le cardinal, de se projeter dans l’avenir qui partage ainsi son rêve pour l’île Maurice de demain.  Il plaide ainsi pour « une écologie intégrale à la mauricienne » pour confronter cette crise à plusieurs dimensions.  Il faudrait, selon lui, réorienter la politique économique mais aussi changer notre mode de vie et « d’en adopter un qui soit plus ‘neighbour friendly’ et plus ‘environment friendly’ ». Une telle démarche implique l’adhésion des politiciens, des opérateurs économiques et de la société civile, le cardinal proposant ce qu’il appelle une « triple écologie », à savoir une « écologie environnementale » pour la protection de l’ environnement,  une « écologie humaine » pour le développement humain des personnes et une « écologie sociale » consistant en une « solidarité active » envers les plus vulnérables.

* Pour un vivre ensemble basé sur le « vrai mauricianisme » 

Selon le cardinal, relever le pari de cette « écologie intégrale à la mauricienne » requiert la participation des compatriotes de différentes origines, conscients d’avoir une destinée commune. « L’île Maurice peut être une équipe gagnante si chacun y met du sien. Et surtout si nous jouons tous la carte du mauricianisme ». Et de faire la comparaison avec une équipe de foot composée de joueurs disparates mais ayant tous un rêve, celui de gagner un championnat et qui est soudée pour atteindre son objectif. Le cardinal insiste sur la notion d’ensemble dans cette diversité de culture et de religions. « Nous nous sentons proches parce que nous appartenons à cette terre ». D’après le cardinal, beaucoup reste à faire pour « devenir un peuple mauricien vraiment solidaire », et que le communalisme ambiant « corrompt profondément l’accès à l’emploi, pourrit la politique, décourage les compétences, sème la méfiance et fait beaucoup d’exclus ». Les Mauriciens ne peuvent plus se contenter d’une « diversité juxtaposée » et qu’il faut parvenir à une «  diversité réconciliée ». Ainsi  pour relever le défi du mauricianisme, il faut développer ce que le Pape François appelle « une culture de la rencontre ».,  invitant ainsi les jeunes à aller dans cette direction. Le cardinal ajoute que le « vrai mauricianisme » dépend de la confiance et du respect mutuels ainsi que de l’investissement personnel. 

« Pour que le mauricianisme devienne une réalité dynamique qui se propage dans notre pays, il ne faut pas s’attendre à ce qu’il nous soit servi sur un plateau. Pour devenir les bénéficiaires du mauricianisme, nous sommes appelés à en être les acteurs.  C’est la société civile qui change le monde et non plus les gouvernements », dit le cardinal en lançant aux jeunes qu’ils sont les acteurs de la société civile de demain.

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