GALERIE D’ART NATIONALE: Des mesures conservatoires immédiates pour arrêter toute dégradation, a déclaré Frédéric Masviel

Adam Yédid, architecte conseil auprès des Musées de France et Frédéric Masviel, architecte urbaniste d’État et chef du bureau de l’innovation et du conseil technique du Service des musées de France, étaient en mission cette semaine à Maurice pour étudier le projet de musée d’art national qui prendra place dans l’ancien entrepôt de l’hôpital militaire, près de Trou Fanfaron. Nous leur avons posé quelques questions en marge de la conférence publique qu’ils ont donnée à l’IFM avec de nombreux exemples de réhabilitation et de modernisation de bâtiments anciens, et de choix muséographiques.
Vous avez commencé votre conférence en rappelant qu’un musée se définit d’abord par les collections dont il a la charge. Aujourd’hui, pour ce projet de galerie d’art nationale, on ne sait pour l’heure qu’en théorie de quoi elles seront effectivement constituées, et rien n’est acquis pour le moment. Peut-on concevoir l’architecture d’un musée d’art national, sans savoir exactement ce qu’il va abriter et présenter au public ?
Frédéric Masviel : En principe non, mais il faut se placer dans une approche pragmatique. Cette collection est en train de se constituer et elle va donner au fur et à mesure certaines réponses que nous n’avons pas aujourd’hui. Mais la question est aussi que nous avons un bâti existant, avec des surfaces disponibles qui nous permettent d’avoir une “idée de musée”, même sans savoir la quantité et l’inventaire exact des oeuvres qui seront exposées, ce qui sera le propos du conservateur et du directeur.
Nous nous sommes arrangés dans notre expertise et notre conseil de cette “inconnue”. De manière intuitive, nous savons que ce sera essentiellement des oeuvres peintes, quelques sculptures et a priori, pas de très grands formats puisqu’il s’agit de productions qui naissent à partir du début du XIXe jusqu’à nos jours. Alors après, la programmation muséographique manifeste la volonté de permettre la citation de l’art contemporain, ou de l’art actuel qui peut nécessiter des surfaces beaucoup plus importantes, mais cela s’appréciera au moment des acquisitions.
Certains consultants ont recommandé de se concentrer sur la peinture du XXe siècle. Est-ce que l’époque du contenu présenté doit être prise en compte dans cette conception architecturale, ou le lieu peut-il être suffisamment neutre pour accueillir tout style et toute sorte d’oeuvres plastiques ?
Adam Yédid : Les contenants des bâtiments ne peuvent pas être prévus de manière entièrement spécifique par rapport à des oeuvres. Aujourd’hui plus encore qu’hier, le dynamisme d’un musée implique sa capacité à ce que ces espaces puissent se renouveler sans cesse. On aura des espaces d’exposition qui pourront par des dispositifs mobiles être accueillants à des configurations parfois plus intimes ou pas, mais toujours dans l’esprit d’un contenant et d’un volume à même de se renouveler en permanence.
Que vous inspire ce bâtiment en termes de contraintes et d’atouts pour ce projet ?
Frédéric Masviel : Avant de se pencher sur le bâtiment, nous avons un site remarquable, le lieu même de la création de Port-Louis par Mahé de La Bourdonnais. Ce contexte ne peut pas être exclu du traitement de ce musée pour ces raisons. Il faut avoir une vision très élargie, en termes d’aménagement du territoire. Ensuite, le bâtiment, qui a été construit en 1740, apparaît a priori dans un état de bonne conservation. Il dispose de maçonneries très épaisses qui sont scellées au mortier de chaux corallien. L’état d’ensemble est remarquable. On voit des pièces d’ancrage, qui montrent qu’il y a eu des interventions, malgré tout pas si dénaturantes que cela, puisque le volume de l’ensemble de l’hôpital et de cet espace de stockage où il y avait également de l’hébergement, a été préservé. Les structures porteuses du plancher — en bois de teck — sont en place. La charpente en acier a une forme tout à fait remarquable. Par contre, notre première réaction a été de dire : mettez en oeuvre immédiatement des mesures conservatoires pour arrêter toute dégradation. Simplement bâcher la toiture par exemple serait une très bonne chose. En tout état de cause, n’oublions pas la fonction première de ce lieu qui était un lieu d’accueil ou plutôt de transit des immigrants. Cette trace devra transpirer dans le futur projet, qu’on ne peut concevoir dans l’amnésie…
Quels atouts ce bâtiment présente-t-il pour faire un musée d’art ?
A.Y. : La plus belle oeuvre du lieu est Port-Louis avec ce port et les composantes historiques encore lisibles — mais pas toujours — de la ville, avec cette restauration du palais du gouverneur, tous ces anciens bâtiments coloniaux, ses bâtiments contemporains. Par sa valeur symbolique de premier bâtiment datant de 1740, ce lieu inscrit déjà le programme du musée dans l’histoire de la ville. En plus, ses volumes sont extrêmement accueillants à des espaces d’exposition par leur grande simplicité, et par ailleurs ils donnent une densité à la présentation de l’histoire de la peinture mauricienne et des oeuvres par son existence même. Le passé, s’il est bien géré, est un atout.
Vous avez évoqué un manque de lisibilité de la ville de Port-Louis lors de votre conférence. Qu’entendez-vous par là ?
A.Y. : En fait, les bâtiments historiques sont une sorte de ponctuation au milieu d’un tissu urbain qui est composé de bâtiments des années soixante, mais également d’autres plus récents des années soixante-dix, quatre-vingt où on estimait que les constructions devaient être l’objet de références à des composantes telles que des colonnes, des pontons… Donc on constate dans Port-Louis une très grande hétérogénéité du bâti, mais en même temps, dans de nombreux cas, nous avons des témoins de l’histoire de la ville et l’entrepôt à grain en est un élément spectaculaire. Un dispositif redonnant une meilleure lisibilité à toutes ces composantes historiques serait le bienvenu parce que ce passé colonial, quoi qu’on puisse en penser, a constitué la ville. Je prends souvent l’exemple de Sydney qui est une ville d’anciennes prisons coloniales. Le quartier The Rocks, qui est le plus prisé à Sydney aujourd’hui, est précisément celui de ces anciennes prisons…
Rendre lisible, concrètement cela veut dire quoi ?
A.Y. : Premièrement de faire que ce bâti ne soit pas détruit et deuxièmement, trouver de nouvelles fonctions à ces bâtiments, comme l’ancien hôpital.
Pour quelles raisons avez-vous pris le grenier en exemple à plusieurs reprises ?
A.Y. : Il nous paraît important d’éviter ce bord de mer où les fonctions commerciales sont déjà très présentes, de l’autre côté avec l’hôtel Labourdonnais et le shopping centre, ce serait bien que cet ensemble aie une vocation culturelle.
F.M. : Nous avons évoqué à plusieurs reprises les villes portuaires qui ont les mêmes schémas de reconversion de friches industrielles. On pense tout de suite à l’opéra lorsqu’on parle de Sydney, mais est-ce que le grenier n’a pas cette vocation de repère comme identifiant visuel de Port-Louis ? Ce que l’on voit à Port-Louis dans l’immédiat est plus de l’ordre du site naturel avec ce grand cirque montagneux qui la protège des alizés. Et face à cela la construction de l’hôpital, puis en 1929, celle du grenier sont des repères visuels et historiques déterminants.
Une remarque a été faite sur le disparition des savoir faire dans le domaine des métiers du bâtiments à Maurice. Mais n’y a-t-il pas moyen de retrouver ces savoir faire ?
En fait, on sait faire mais on n’a plus les personnes pour le faire. Le savoir humain est en fait suffisamment étendu pour qu’on ait une idée de comment les choses ont été construites depuis la fabrication au torchis jusqu’aux huttes tressées de végétaux. La vraie question est celle de celui qui va oeuvrer. Ce n’est pas pour rien que je citais l’exemple japonais, où l’on décrète monument historique un ouvrier qui a le savoir faire pour restituer les choses. Une société immobilière à Mayotte a réintroduit le matériau de construction de la brique crue et de la pierre volcanique pour créer des édifices publics contemporains. C’était aussi un combat à mener contre l’industrie du béton. C’est une belle opportunité de s’interroger.
Il y a une question sous-jacente qui est que le musée national offre une occasion de permettre une sorte d’apprentissage des métiers. Cela peut constituer un risque parce qu’il n’y a pas de maîtrise. C’est une manière de questionner l’apprentissage ou l’instruction, mais cela dépasse le cadre même du musée.

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