Le salaire minimum national marque les esprits

Tous les syndicalistes interrogés s’accordent à le reconnaître : le fait marquant dans le monde du travail en 2017 aura été cette décision du gouvernement d’introduire un salaire minimum na- tional de Rs 9 000 à partir de janvier. Mais tout n’aura pas été rose non plus. La grève de la faim des femmes cleaners, les licenciements abusifs et le maigre taux de syndicalisation sont quelques-uns des problèmes qui auront retenu l’attention des dirigeants syndicaux cette année.

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« C’est incontournable : c’est la décision du gouvernement d’introduire un salaire minimum national de Rs9000 à partir de janvier qui retient notre attention en cette année », lance d’emblée l’activiste social et syndicaliste Jack Bizlall. En effet, le 8 décembre dernier, le Conseil des ministres a approuvé l’introduction d’un salaire minimum national payable à partir de janvier. Le ministre du Travail, Soodesh Callichurn, en a fait l’an- nonce et en a expliqué la technicité le jour même lors de la séance de l’Assemblée nationale. Selon le ministre Callichurn, à la base, tout travailleur employé à plein- temps touchera un salaire minimum national s’élevant à Rs 8140. Mais le montant qu’il rapportera à la maison s’élèvera, lui, à un total de Rs 9 000.

Un travailleur de la zone franche travaillant à plein- temps touchera en effet un salaire minimum national de Rs 8 140 (qui comprend déjà la compensation sala- riale) plus une allocation spéciale de Rs 860, payée par la Mauritius Revenue Authority (MRA), amenant son salaire minimum national total à Rs 9 000. Un employé hors zone franche, lui, percevra un salaire minimum de Rs 8 140, aug- menté de la compensation salariale de Rs 360 et d’une allocation spéciale de Rs 500, faisant passer son salaire total à Rs 9 000. Annonçant la mesure à l’Assemblée nationale, le Premier ministre, Pravind Jugnauth, a qualifié celle- ci « d’historique ». Mais Jack Bizlall, lui, voit cela autrement, estimant que l’introduction d’un salaire minimum national « met un terme aux vestiges de l’esclavage ». Et de dire : « Qu’est-ce que l’esclavage sinon d’être obligé de tra- vailler pour quelqu’un gra- tuitement ? Certes, notre Constitution et les conve tions que Maurice a signées ne permettent plus l’esclavage, mais avoir à travailler pour une pitance, c’est être réduit à l’esclavage, rien de moins ! » Selon Jack Bizlall, en France, tout qui ne paye pas le SMIC (salaire minimum de croissance) – rémunération légale minimum que doit recevoir tout travailleur âgé de plus de 18 ans – est considéré comme pratiquant un reliquat de l’esclavage. « Il est condam- né à l’amende et peut même avoir à faire de la prison », indique-t-il.

Le président de la Federation of Parastatal Bodies & Other Unions, Deepak Be- nydin, rappelle, lui, qu’un salaire minimum national a été pendant des décennies le cheval de bataille des syndicalistes à Maurice. « Introduire une telle mesure est un pas de géant dans la lutte contre la misère et les inégalités ! Bien sûr, il y a encore beaucoup à faire. Mais c’est un bon début. »

Saluant de son côté cette mesure, le président de la Confédération des tra- vailleurs des secteurs privé et public (CTSP), Reeaz Chuttoo, s’est félicité qu’au National Wage Consulta- tive Council, les syndica- listes ont pu faire entendre une seule et unique voix. « L’unité syndicale y a été pour quelque chose. Maintenant, nous devons continuer notre combat pour un minimum vital (“living wage”) », promet-il. Pour rappel, le minimum vital est le sa- laire nécessaire dans une société donnée pour satisfaire les besoins vitaux.

L’insécurité de l’emploi et ses corollaires que sont les pertes d’emploi et les licenciements abusifs sont les trois autres thèmes qui interpellent les syndicalistes en cette fin d’année.

Manifestation des employés de Benito & Son Ltd et de Texto Ltée devant le ministère du Travail, à Port-Louis

« Les licenciements arbitraires et abusifs ne devraient plus exister à Maurice car les lois du travail permettent la réintégration des employés congédiés abusivement », explique ainsi Jack Bizlall. Dans ce contexte, il a tenu à rendre un hommage appuyé à l’ancien juge sir Henry Garrioch qui, dans son rapport d’arbitre dans l’affaire de Retreaders Ltd, en 1983, avait recommandé la réintégration des employés licenciés. « Ce juge avait, avant l’heure, un sens de la démocratie et de la justice sociale extraordi- naire ! », lance-t-il.

Le président de la Fédération des travailleurs unis (FTU), Atma Shanto, déplore pour sa part ces fermetures intempestives d’usines et d’entreprises en cette période de fin d’an- née. « Avec les récents cas de l’usine Texto, de Vallée-des-Prêtres, et de Benito and Sons Ltd, entre autres, ils sont presque un millier de responsables de famille qui se retrouvent ainsi sur le pavé du jour au lendemain avec, devant eux, un avenir très sombre », s’indigne-t- il. Il dit aussi regretter le Termination of Contract Service Board (TCSB) au- près duquel les employeurs devaient se justifier avant de pouvoir mettre à pied quelqu’un. « Avec l’Employ- ment Rights Act (ERiA), ça fonctionne comme une lettre à la poste aujourd’hui. ».

Reeaz Chuttoo s’insurge, lui, contre l’institution de ces « comités disciplinaires bidons ». Il explique : « Un prétexte est vite trouvé pour renvoyer l’employé. C’est pourquoi nous demandons au gouvernement de mettre sur pied un comité discipli- naire national sous l’égide du ministère du Travail avait de contenir ces abus que permet l’ERiA. » Les amendements aux lois du travail constituent une autre préoccupation pour les syndicalistes. « Cela fait des lustres que les gouvernements successifs promettent d’amender l’Employment Rights Act et l’Employment Relations Act pour mieux protéger les employés. On attend toujours ! » soupire Reeaz Chuttoo. « Encore une promesse électorale de l’Alliance Lepep que le gouvernement tarde à concrétiser. Qui veut-il protéger ? » se demande-t-il.

Le récent plaidoyer du ministre Callichurn pour que les employés se syn- dicalisent est un aveu de taille. « Le ministre est conscient des difficultés que font les patrons quand les travailleurs veulent se syndiquer », lance Atma Shanto. « S’il est sérieux, il doit pouvoir convaincre le Premier ministre de rappeler le Parlement pour pas- ser des amendements aux lois du travail en faveur des travailleurs, tout comme le ministre Rama Sithanen l’a fait pour donner un “Stimulus Package” au secteur pri- vé durant la crise de 2008. La situation est urgente ! », martèle-t-il.

Atma Shanto s’insurge également sur le faible taux de syndicalisation à Mau- rice, notamment dans le secteur privé. « L’ironie veut que l’Employment Relations Act permette que ce soit uniquement ceux qui sont syndiqués et ils ne sont pas nombreux qui peuvent entamer une grève légale. Voilà pourquoi il y a tant de secteurs à Maurice où vous n’allez jamais entendre par- ler de grève parce qu’il n’y a pas de syndicats », élabore-t-il. « Autre ironie : des études ont démontré que là où il y a des syndicats, il n’y a pas de grève, et ce parce qu’il y a dialogue social patron-employés et que les crises sont désamorcées. »

Cependant, l’événement syndical phare qui aura marqué 2017 est la grève de la faim des femmes cleaners, qui touchaient Rs 1 500 par mois. « Jamais le monde syndical n’a connu une telle unité. Jamais la société civile n’a été aussi solidaire avec des grévistes ! » se félicite Reeaz Chuttoo. « De simples citoyens, des responsables d’Ong, des politiciens de tout bord, des responsables d’organisation religieuses, notamment des églises catholique et angli- cane… Tous étaient mobilisés. »

« Avoir tous les repré- sentants du conseil des syndicats sous cette tente des grévistes, c’est quelque chose qu’on ne voit pas sou- vent. C’est ce qui explique cette victoire des femmes cleaners. Leur cause était juste », commente pour sa part Deepak Benydin. « C’est un élan sur lequel il nous faudra rebondir », pro- pose-t-il.

En attendant, Atma Shanto doute de l’ambition du gouvernement de faire de Maurice un pays à hauts revenus. « Comment y parvenir alors que la plupart des employés du secteur privé se vautrent dans l’insécurité d’emploi, avec l’épée de Damoclès d’une menace de licenciement suspendue en permanence au-dessus de leur tête?»

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