Michèle Alliot-Marie : « L’Afrique a un potentiel extrêmement important »

L’ancienne ministre des Affaires étrangères du gouvernement français et l’actuelle députée au Parlement européen, Michèle Alliot-Marie, était à l’hôtel Trou-aux-Biches cette semaine où elle participait à l’ID Congress, conférence ayant réuni des acteurs de la communication et des nouvelles technologies. Dans un entretien accordé au Mauricien, elle fait ressortir que « l’Afrique a un potentiel extrêmement important » étant un continent « qui retient des richesses essentielles au développement futur ». Par ailleurs, elle décrit Maurice comme destination propice pour être un ‘Economic Hub’ dans l’océan Indien. Elle se dit en faveur de la réactivation d’une communauté francophone car ces pays ont « des atouts pour répondre aux enjeux économiques et sociétaux des 50 prochaines années ».

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Michèle Alliot-Marie, dans le Keynote Speech que vous livrez lors de l’ID Congress, vous parlez de Maurice comme destination privilégiée et comme ‘Economic Hub’. Quels sont ces atouts dont dispose l’île qui font qu’elle peut être un partenaire privilégié pour d’autres pays?
D’abord, l’île dispose d’une situation géographique qui en fait un lien naturel entre l’Afrique et l’Asie. De plus, historiquement et culturellement, il y a également tout ce lien avec l’Europe. Deuxièmement, il y a cette tradition touristique. C’est un lieu où les gens se rencontrent et c’est également un lieu de culture. En troisième lieu, le bilinguisme qui est celui de l’île lui permet d’être un intermédiaire entre les uns et les autres.

Comment voyez-vous l’avenir de l’Afrique?
L’Afrique est le continent dont la population progresse le plus. Ce qui lui donne un dynamisme permanent. L’Afrique est également un continent qui retient des richesses qui sont essentielles au développement futur. Qu’il s’agisse de ressources énergétiques, qu’il s’agisse de ressources minérales, qu’il s’agisse de ressources alimentaires… Donc, l’Afrique a un potentiel extrêmement important. Ceci dit, elle a aussi beaucoup de problèmes de tout ordre à régler: problème de sécurité, un bon nombre de trafic traversant l’Afrique; elle a tous les problèmes naturels, celui notamment de la désertification; elle a des problèmes de santé également avec des épidémies se manifestant régulièrement; elle a des problèmes de gouvernance. Donc, il faut qu’elle puisse utiliser ses ressources pour répondre aux défis qui se présentent aujourd’hui.

La Chine, l’Inde, l’Allemagne et même la France misent beaucoup sur l’Afrique. Comment se démarquer dans cette ‘bataille’?
Je ne pense pas qu’il s’agisse d’une bataille. Dans tous les cas, il ne faut pas le voir comme tel. Je pense qu’il est normal que les grands pays s’intéressent à un continent, qui est le continent qui peut être le plus dynamique. Chacun peut avoir à apporter un certain nombre de choses. Il est certain qu’un pays comme la France et de façon générale les pays européens ont des liens particuliers, des liens historiques, des liens linguistiques à travers la langue et qui sont aussi des liens culturels. Bon nombre des élites africaines ont été formées en France ou en Grande Bretagne ou en Allemagne. Tout ceci crée une connaissance et une reconnaissance réciproques qui peuvent aider justement à travailler ensemble.

Que pensez-vous de la guerre commerciale entre la Chine et les États-Unis et les répercussions sur l’Afrique ?
Cela peut avoir des répercussions sur l’économie mondiale. Déjà, c’est sur la bourse, donc nous le voyons bien ! Cela a des répercussions sur l’ensemble des pays mais, vous savez, dans les cas de ‘rivalité’ ou de ‘guerre’, ce sont toujours les plus faibles qui subissent le plus les conséquences négatives.

En 2015-2016, l’Union européenne a connu un afflux sans précédent de réfugiés. La crise migratoire est devenue un vrai problème. Quelles solutions à cette question ?
Il faut distinguer deux choses très différentes. En 2015-2016, il y a eu les conséquences notamment de la guerre en Syrie. Il s’agit là de personnes qui sont sous un statut spécial dans lequel les Conventions internationales nous obligent de les accueillir. Ce sont des personnes qui en même temps n’ont pas vocation à rester. J’ai eu l’occasion de discuter avec les réfugiés syriens et ils ont envie de retourner le plus vite possible chez eux dès que la situation leur permettra, sans risquer leur vie. D’autre part, il y a un problème plus général qui date d’avant, qui est le problème de migration économique. C’est-à-dire, des gens ne pouvant pas rester chez eux pour faire vivre leurs familles essaient d’aller dans les pays qui ont un peu plus de possibilités. D’ailleurs, on l’oublie souvent, ce sont des gens qui s’arrêtent aussi dans les pays qu’ils traversent: le Maroc, par exemple, l’Egypte, la Tunisie. Le vrai problème, c’est de faire en sorte que les pays d’origine puissent avoir une économie et une gouvernance qui incitent les gens à rester sur place, qu’ils trouvent les moyens de subsister aux besoins de leurs familles. Là, effectivement, tout le monde a à jouer un rôle. L’Europe a son rôle à jouer. Les pays du Golfe arabique ont leur rôle à jouer. Tous les pays ont leur rôle à jouer.

Comment se porte l’Europe depuis le Brexit ? Est-ce qu’elle se sent désunie ?
Non, il faut bien voir que la Grande-Bretagne a toujours eu une attitude particulière à l’égard de l’Europe. Elle ne faisait pas partie de l’Euro, elle a toujours voulu des mesures spéciales. De toute façon, cela a été le choix des Anglais que regrettent d’ailleurs les 48% des Anglais qui ont voté pour rester dans l’Union européenne. Mais, la réalité est là. Et donc, à la limite, cela peut être l’occasion pour l’Europe de retrouver peut-être plus d’unité en ayant les gens qui sont sous le même régime et qui l’aident à prendre conscience de ce qu’elle est, une véritable force économique et politique.

Y a-t-il toujours cette envie d’avancer ensemble?
Oui. Il y a des tiraillements sur un certain nombre de choses mais en même temps nous partageons certaines visions et des valeurs qui sont communes. Je pense qu’il faut faire une distinction parce que parfois vous avez des gouvernements qui peuvent avoir des attitudes qui sont critiquées. Il faut distinguer les gouvernements et les peuples. Je pense que les peuples européens se sentent profondément européens.

Comment l’Europe fait-elle face aux risques du terrorisme?
Il y a un certain nombre de mesures qui ont été prises il y a maintenant plus de dix ans. Il y a des échanges de renseignements. Il y a des conventions qui ont été passées entre les polices pour permettre de suivre d’un pays à l’autre. Il y a aussi des mesures d’échanges de données qui sont récupérées par les compagnies aériennes sur les personnes qui voyagent. Je me souviens, quand j’étais ministre de la Justice, j’avais également fait adopter une sorte de guide pour détecter la radicalisation dans les prisons. Ce sont des actions qui continuent de se faire. Sur le terrorisme, il y a une vraie volonté de travailler en commun même si cela devient de plus en plus difficile compte tenu du changement de stratégies par les regroupements terroristes.

Comment se porte la Francophonie. Est-ce qu’il y a toujours un intérêt pour la langue française dans un monde menacé par l’uniformisation culturelle et linguistique?
Je pense qu’il y a un intérêt pour la langue française. Il faut réactiver une union, une communauté francophone parce que si l’on regarde ce que ces pays ont en commun en dehors de la langue et d’une partie de la culture, c’est aussi les atouts qu’ils peuvent avoir pour répondre à tous les grands enjeux, notamment des enjeux économiques et sociétaux des 50 prochaines années. Et donc, il faut s’organiser de façon à ce que chacun, de façon très égale, puisse apporter et développer ces atouts à l’ensemble de la communauté. Je pense que la langue française a toujours sa place, on le voit d’ailleurs à travers les centaines de millions de personnes qui la parlent. Le fait qu’une langue véhicule une culture, elle véhicule ses valeurs.

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