Assemblée nationale : Lorsque le « K.O. » change de camp

Le dossier des pots-de-vin sur le contrat de la centrale de St-Louis du CEB et le bail sur les pas géométriques obtenu par la compagnie du PPS Ismael Rawoo éclipsent  le budget

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Les élus de la majorité, obligés de baisser le ton, se contentent de ressasser     la genèse de la gestion de la Covid-19

Après avoir utilisé la pension comme un bribe électoral, le gouvernement saborde le NPF

Lorsque le K.O. change de camp. C’est le cas de le dire. Lundi, pour ne pas rater une occasion de se faire remarquer, la députée du MSM Subashnee Luchmun Roy opinait que le « budget avait mis K.O. l’opposition dans son ensemble ». Or, trois jours après, le leader de l’opposition portait le scandale désormais connu comme le St Louisgate à l’Assemblée nationale jetant un embarras certain dans les rangs de la majorité, avec pour résultat que les « tap latab » devenaient subitement parcimonieux. Pour clore la semaine des débats sur le budget, tard dans la soirée de vendredi, un autre scandale était évoqué, celui de l’octroi d’un bail sur pas géométriques au PPS Ismael Rawoo, celui qui s’était distingué lors de son maiden speech sur le discours-programme au début de l’année. 

La PNQ sur les pots-de-vin versés à l’administration mauricienne par la firme BWSC, révélés dans un communiqué de la Banque africaine de Développement le 8 juin — phénomène qui intervient en pleine bataille des autorités mauriciennes pour sortir de la liste noire de l’Union européenne- a débouché sur plusieurs développements : des informations données par Arvin Boolell sur un « sous-contracteur » qui aurait agi comme intermédiaire, une saisine de l’ICAC, la suspension du directeur par intérim du CEB, Shumshir Mukoon, et une conversation téléphonique entre le leader de l’opposition et le Premier ministre, vendredi soirée.

L’autre dossier croustillant qui a été évoqué vendredi est celui du Parliamentary Private Secretary Ismael Rawoo, dont la société Smart Clinic Ltd, compagnie familiale, a obtenu 2 arpents de pas géométriques à Rivière-Noire dont la valeur tournerait autour de Rs 250 millions. C’est le député travailliste Eshan Juman qui a fait ces révélations lors de son intervention sur le budget dans la nuit du vendredi 12 juin et alors même qu’il dressait un parallèle avec le sort réservé aux squatters et aux enfants qui dorment à la belle étoile et dans le froid.

Cette affaire a provoqué une tempête dans l’hémicycle. Le PPS a essayé de s’expliquer bien maladroitement et il a, en plus, été contredit par le Deputy Speaker lorsque ce dernier a dit avoir parcouru les documents déposés par le député du PTr et constaté qu’il y avait les initiales I. R. La séance a été suspendue le temps que le Deputy Speaker Zahid Nazurally aille prendre conseil et, lorsqu’il est revenu, il a statué que les documents sont recevables. Autorisé à s’exprimer, Ismael Rawoo s’est contenté de dire qu’il ne détient que 0, 9 % dans la compagnie qui a obtenu le juteux bail pieds dans l’eau tout en lançant que Shakeel Mohamed et Xavier Duval étaient, eux aussi, des bénéficiaires de terres de l’Etat. Un incident a émaillé cette tranche après la pique lancée par le Premier ministre adjoint en direction du député Eshan Juman. Ivan Collendavelloo a, en effet, traité le député de « corrompu », une référence probablement à la condamnation du député pour avoir offert un bribe à un policier pour annuler sa contravention routière.

La semaine parlementaire a aussi été marquée par la PNQ du leader de l’opposition vendredi sur l’avenir du fonds national de pension et la contribution sociale généralisée. Comme il fallait s’y attendre, aucun rapport d’actuaire ou du comité ministériel présidé par l’ancien ministre de la Sécurité sociale Etienne Sinatambou sur le NPF, demandé par le leader de l’opposition, n’a été déposé par Renganaden Padayacahy. On a constaté une vocifération inhabituelle du ministre qui a surpris plus d’un et qui paraissait comme une parade pour dissimuler son embarras. Le Speaker, qui l’a sans doute remarqué, a vite fait de mettre un terme à l’échange sur cette épineuse question de la pension —qui suscite bien des craintes — en décrétant que « time was over ». 

Les contradictions sur le NPF

Les faits brutaux et têtus sont qu’après avoir utilisé la pension comme un bribe électoral, le gouvernement a unilatéralement décidé de saborder le NPF et le remplacer par la CSG. Et, comme l’a relevé Reza Uteem, si Renganaden Padayachy a, dans son discours du budget, annoncé, au paragraphe 173 l’abolition du NPF, il est revenu sur ses propos, vendredi, pour affirmer n’avoir pas  évoqué la fin du NPF.

S’agissant des débats sur le budget lui-même, à part les mêmes lectures lassantes et encouragées par la position assise et le port du masque, pas de grandes envolées, si ce n’est que, faute d’arguments, les élus de la majorité, qui ont jusqu’ici pris la parole, ont longuement chanté les louanges de « notre Premier ministre ». 

Le ministre des Services financiers Mahen Seeruttun, qui était très attendu, a, certes, énuméré les mesures que le gouvernement ont prises pour faire sortir Maurice de la liste noire de l’Union européenne, mais son débit extrêmement lent avec 15 secondes entre chaque mot, a rendu l’exercice assez pénible.

Soodesh Callychurn, qui était lui aussi attendu sur le front de l’emploi et du chômage, n’a rien annoncé de nouveau. Certains y ont vu un embarras après qu’il n’a pas eu de réponse adéquate à fournir aux questions de l’opposition sur les annonces de Renganaden Padayachy à l’effet qu’il y aurait 100 000 chômeurs à Maurice à la fin de l’année.

Quant à Leela Devi Dookun-Luchoomun, elle a, certes, fait une bonne intervention, mais tout est pratiquement tombé à l’eau par l’annonce du Premier ministre la contredisant le lendemain sur le calendrier de la reprise scolaire. La ministre avait décliné en détail les conditions de la rentrée du 3 août. Le Premier ministre, a, lui, annoncé la fin du déconfinement et la reprise des classes le 1er juillet.

Des interventions, par contre, bien plus intéressantes des députés de l’opposition avec une mention particulière pour Reza Uteem, Xavier Duval, Joanna Bérenger, Stéphanie Anquettil et Fabrice David, qui ont plaidé pour la réintroduction d’un ministère de l’Intégration sociale comme en 2010. Fabrice David, unanimement applaudi, a pris le temps qui lui avait été imparti pour observer une minute de silence en mémoire des 10 victimes de la Covid-19.

Taxes et dévaluations : « Après    Ringo, Renga », lance XLD

Les membres de la majorité ont vu un bon nombre de leurs cartouches épuisées, notamment celle selon laquelle l’opposition ne ferait aucune proposition concrète. Or, ce sont des suggestions plus que détaillées sur le tourisme qu’a faites Xavier Duval imité par d’autres membres de l’opposition sur un vaste éventail de sujets.

Le leader du PMSD, qui a parlé « d’un budget préparé par des apprentis sorciers », a aussi beaucoup amusé l’hémicycle avec sa comparaison entre Sir Veerasamy Ringadoo et l’actuel ministre des Finances, Renganaden Padayachy. Xavier Duval a dit qu’en matière de taxation et de dévaluation de la roupie : « Après Ringo, Renga », a-t-il déclaré au cours d’une intervention qui a porté sur les mesures qui, si elles sont prises avant les prochains six mois, peuvent aider à remettre à flot le tourisme, une période qui, selon lui, devrait être utilisée pour le relooking de la destination, l’amélioration de la qualité et la formation du personnel. Il a aussi proposé que le pays change du tout au tout son approche en termes de coopération avec l’Afrique.

Très rémarquée aussi la conclusion d’Aadil Ameer Meea, toujours vendredi soir. « Nous sommes fiers au MMM d’être animés par l’honnêteté, l’intégrité et le mauricianisme Je n’ai pas eu à mener une campagne communale infecte pour me faire élire. Jamais je ne vais me servir du communalisme, de la religion et des fake news pour assurer mon élection. Nous ne sommes plus dans les années 1960/70, nous sommes en 2020. Il n’y a pas de place pour des politiciens qui croient pourvoir s’octroyer le titre de leader d’une communauté », a lancé, avec une certaine émotion, Aadil Ameer Meea.

Le député du No 3 avait eu un clash verbal assez violent avec Shakeel Mohamed en début de semaine suivant ses commentaires sur les nouvelles conditions imposées pour les questions et le déroulement des débats et qui auraient eu l’aval du Whip de l’opposition. Ce dernier a éventuellement présenté ses excuses à Aadil Ameer Meea.

La taxe immobilière maintenue

Autre confirmation qui a été obtenue lors des débats, c’est celle du maintien de la taxe immobilière dans les villes. C’est le ministre des Administrations régionales, Anwar Husnoo, qui l’a déclaré lors de son intervention. Il répondait aux critiques d’Aadil Ameer Meea sur la trahison d’une promesse électorale faite par Lalians Morisien lors de la dernière campagne législative selon laquelle la taxe serait abolie pour les personnes disposant d’une unique résidence.

La soirée de vendredi a aussi été marquée par l’expulsion de Shakeel Mohamed par le Deputy Speaker Zahid Nuzurally. C’était pendant l’intervention du ministre Bobby Hureeram et parce qu’il conversait avec son collègue Arvin Boolell et qu’il faisait des remarques sur le ministre des Infrastructures.

Des épithètes d’une extrême gravité comme « du sang sur les mains » et « assassins » ont été entendues dans la soirée de vendredi sans que le Deputy Speaker, dont on n’arrive pas à saisir nettement les propos derrière son masque, ne lève le petit doigt. C’était durant l’intervention du ministre Hurreeram. Comme ses collègues, ce dernier avait l’air d’être très remonté contre l’appel « à descendre dans la rue » du leader de l’opposition, Arvin Boolell.

Les travaux reprennent demain à 11 h 30 pour aborder le dernier virage des débats sur le budget 2020/2021. La séance devrait démarrer avec une Private Notice Question du leader du l’opposition.

Par contre, pour le dernier jour des débats qui verra, mardi prochain, les interventions de Paul Béranger, d’Ivan Collendavelloo, de Pravind Jugnauth et le résumé des débats par le ministre des Finances Renganaden Padayachy, et pas de questionst, l’examen en comité des dotations budgétaires devant démarrer le même jour.

Une présidence de plus en plus burlesque

Sooroojdev Phokeer inaugure une première en refusant sans explication une PNQ qu’il est contraint d’accepter deux jours plus tard

Un Speaker qui sort de son siège pour pointer du doigt un élu, qui quitte l’hémicycle brusquement comme si une urgence le convoquait, comme au début de l’intervention de Xavier Duval, vendredi, qui discute avec les parlementaires comme s’il était un joueur et non l’arbitre de la rencontre, qui expulse à tour de bras. Non, cela ne se déroule pas dans une série burlesque, mais bel et bien à l’Assemblée nationale où Sooroojdev Poker s’est encore une fois illustré cette semaine.

Il est tellement déroutant que celui auprès de qui il avait agi comme conseiller après son rappel en 2004 comme ambassadeur en Egypte, Nando Bodha s’est emmêlé les pinceaux et s’est adressé au Speaker en tant que « Madam ». 

Confus, le ministre des Affaires étrangères a expliqué que « je suis encore dans le précédent mandat. C’est ma première PNQ depuis les dernières élections ». Il répondait mardi aux questions du leader de l’opposition sur le rapatriement des Mauriciens bloqués à l’étranger.

Que seraient les séances parlementaires sans ces expulsions ? C’est Rajesh Bhagwan qui en a fait les frais jeudi durant les échanges sur le St-Louisgate. « Voler, chor », a lancé le député qui a eu ses « marching ordrers » de Sooroojdev Phokeer. Comme le député tardait à obtemperer, le Speaker a insisté auprès du Sergeant-at-Arms pour l’évacuer de force.

Lorsque ces derniers se sont rapprochés de lui, Rajesh Bhagwan leur a dit : « Pa tous mwa. » Il a fini par quitter l’hémicyce en réitérant ses propos. Si ce sont pas des expulsions, c’est aussi souvent des walk-out. Michael Sik Yuen, député du PTr, a quitté l’hémicycle pendant que le PPS Gilbert Bablee le critiquait durant son intervention, non content des propos tenus sur un ton théâtral et emphatique par l’ancien animateur de radio.

Le fait d’armes du Speaker, cette semaine, reste toutefois le rejet, sans la moindre explication, de la Private Notice Question d’Arvin Boolell sur la contribution sociale généralisée. Celui qui, décidément, réinvente chaque jour les procédures parlementaires aurait laissé entendre que l’on ne pouvait pas poser des questions sur des annonces budgétaires qui ne sont pas encore concrétisées.

Cette décision a suscité de vives réactions dans l’opinion, Arvin Boolell menaçant même de saisir la Cour suprême de cette affaire sans précédent dans les annales parlementaires. Chaque année les leaders de l’opposition recherchent au moyen des PNQ’s des clarifications sur des mesures budgétaires qui ont une incidence sur la vie des contribuables et des citoyens. Le Speaker a donc été finalement contraint d’accepter cette question sur la CSG vendredi.

Les piques et les rappels perfides n’ont pas manqué durant les séances de la semaine écoulée. Rajesh Bhagwan est revenu sur le post Facebook de Subashnee Luchmun Roy décrivant Pravind Jugnauth comme un « Pinocchio » avec un long nez, même s’il n’est pas entré dans tous les détails, mais tout le monde aura compris qui il visait. Le député du MMM a profité justement d’une question sur les délits commis sur les réseaux sociaux de la députée du MSM pour ajouter son grain de sel.

Arianne Navarre-Marie a, elle aussi, profité de son intervention un 11 juin, date à laquelle elle avait fait ses premiers pas de députée en 1982 pour titiller Dorine Chukowry en rappelant les propos extrêmement sévères qu’elle avait prononcés sur le MSM qui ne favoriserait que les proches. De quoi animer des séances qui tombent parfois dans la monotonie.

 

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