50 ans plus tard

En 1972, soit il y a 50 ans déjà, paraissait le fameux rapport Meadows, commandité par le Club de Rome. Un anniversaire que l’on se doit de marquer pour plusieurs raisons. À commencer parce que, dans ce document, un groupe d’experts (scientifiques, économistes, industriels…) y évoquait pour la première fois les limites de la croissance.

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Une conclusion qui, on le devine, n’aura d’ailleurs pas été du goût de tout le monde. Et pour cause, puisque la part la plus prospère de l’humanité connaissait à l’époque les heures les plus glorieuses de son développement, et que la croissance était le moteur même de l’action industrielle. Comment alors imaginer que l’on accepte, sur la seule base de la « bonne » parole de « quelques illuminés », de mettre un frein à la locomotive économique ?

Si l’on peut comprendre – bien que sans être pour autant obligé de l’accepter – la frilosité du monde des années 70’/80’ à prendre au sérieux les auteurs du rapport, qu’en est-il devenu 50 ans et quelques légers amendements au rapport initial plus tard ? Pour être direct, pas grand-chose. Car même si une certaine conscience a émergé ces dernières années, celle-ci reste malgré tout enclavée dans des cercles de pensées très (trop) restreints. Avec pour résultat qu’aujourd’hui encore, la croissance reste aux commandes du monde. Et un constat pour le moins consternant : à savoir que les prévisions de Dennis Meadows et consorts, à l’exception de quelques virgules perdues dans les méandres d’analyses chiffrées, se seront avérées exactes.

Mais qu’évoquait au juste le document ? Eh bien il mettait en relief des dangers que l’on connaît tous aujourd’hui. Le changement climatique, la perte de la biodiversité, l’explosion démographique, l’érosion sociale et les inégalités, la famine et l’exploitation insoutenable, les trafics et la corruption, la Covid… Oui, le rapport évoquait tout cela, et bien plus encore, sans toutefois directement les nommer. Avec une conclusion sans équivoque : dans un monde fini, la croissance, elle, ne peut être infinie. Une lapalissade, certes, mais que nous continuons de sciemment ignorer, car trop pressés de vérifier chaque rouage de nos planches à billets.

C’est pourtant une évidence : les ressources qui alimentent notre économie commencent à manquer. Or, sans ressources, plus de croissance. Et sans croissance, la civilisation industrielle s’écroule. On l’aura constaté en deux crises successives, celle de la Covid, qui aura mis nos économies à genoux, et celle de la guerre en Ukraine, qui aura davantage limité notre accès au gaz et au pétrole (russes), avec les conséquences que l’on connaît. Autant dire que nous savons pertinemment qu’aussi bien huilée qu’elle soit, le moindre grain de sable peut enrayer notre (pas si formidable que ça) machinerie économique.

Question : qu’adviendra-t-il de nous en 2072, lorsque le rapport Meadows fêtera ses 100 ans ? Y aura-t-il d’ailleurs encore quelqu’un pour le lire ? Personne ne le sait vraiment, car jamais l’avenir n’aura semblé si incertain. Du fait notamment du changement climatique, qui nous promet le pire. Et si vous doutez encore de l’ampleur des crises à venir, alors rappelez-vous simplement de 2019. De la manière dont vous viviez, faisiez vos courses sans masque, sans vous soucier comme aujourd’hui de ce que vous achetiez, sans peur de faire éclater votre budget, ou encore sans rager à chaque fois que vous passiez faire le plein à la pompe…

À force d’avoir pillé nos ressources, nous sommes aujourd’hui à quelques pas seulement d’une frontière qui, une fois franchie, ne permettra plus jamais aucun retour en arrière. Sur le plan climatique, mais pas seulement. Car étant devenus depuis si longtemps dépendants d’une société toujours plus avide, toujours plus mercantile, et toujours plus inégalitaire, l’issue promet d’être extrêmement brutale, car elle se soldera inévitablement par un effondrement sociétal. Si le seul manque de pétrole et de gaz russes plonge aujourd’hui le monde dans une telle détresse, imaginons ce qu’il en sera lorsque nous aurons extrait la dernière goutte d’or noir ! Ce qui sera le cas dans 50 ans ! À moins que nous inversions la vapeur, que nous relisions le rapport Meadows. Et que nous acceptions enfin de comprendre que la seule ressource dont nous disposions réellement, et que l’on puisse sans vergogne dilapider à l’infini, est notre humanité.

Michel Jourdan

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