Charlotte Pierre, Haute-Commissaire Britannique : « Maurice et la Grande-Bretagne, des partenaires naturels »

En marge des funérailles prévues pour lundi de feue sa Majesté la Reine Elizabeth II, décédée le 8 septembre au Château de Balmoral, sa résidence d’été en Écosse, Le-Mauricien a rencontré la haute-commissaire britannique, Charlotte Pierre, à Floréal cette semaine. Elle nous parle des valeurs qu’a toujours défendues la défunte reine et de l’importance de la monarchie pour le peuple britannique.

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« Feue la Reine Elizabeth II et le nouveau roi, Charles III, symbolisent des valeurs importantes britanniques concernant le devoir, l’engagement, le service public, le respect des autres et la diversité » affirme-t-elle. La diplomate nous parle également du Commonwealth, qui est une famille de nations. Et insiste sur les bonnes relations entretenues entre Maurice et la Grande-Bretagne. « The idea of UK is fading away from Mauritius is clearly not true… I humbly challenge anybody to prove the contrary », lance-elle

Alors que tous les téléspectateurs avaient encore en tête l’image de la reine Elizabeth accueillant la nouvelle Première ministre britannique, Liz Truss, au château de Balmoral, sa résidence d’été en Écosse, l’annonce de son décès est tombée de manière inattendue à peine deux jours plus tard. Comment avez-vous accueilli cette nouvelle ?

C’était un choc. Mais c’était typique de sa défunte majesté Elizabeth II. Jusqu’à la fin, elle était encore à l’œuvre. Jusqu’à la fin, elle a joué son rôle de monarque constitutionnelle et a assumé ses responsabilités. L’engagement démontré est clair. Elle a toujours fait son devoir. Elle savait qu’elle recevait sa 15e Premier ministre et qu’il était de son devoir en tant que monarque constitutionnelle d’accepter Liz Truss comme telle et de lui confier à la responsabilité de former son gouvernement.

Au Royaume-Uni, nous savons que nous passons par des moments difficiles. Il était important que la population britannique voie qu’elle était au travail et que les traditions, les processus, les procédures et les protocoles fonctionnent, car cela constitue un signe de stabilité et de calme. Le message qu’elle voulait envoyer est : « Everything is still working. I’m doing what normally happens. » Pendant la période de turbulences, les gens ont besoin de voir leurs institutions et leurs leaders à l’oeuvre.

Peut-on dire que pendant ces sept dernières décennies, elle a symbolisé la stabilité et l’assurance nécessaires pour toutes les nations ?

Je pense que oui. Feue sa majesté avait une habileté incroyable à établir un vrai engagement aux traditions et protocoles en faisant les choses comme il le faut. C’était très important pour elle et c’était conforme à sa foi. C’était une chrétienne très dévouée. Elle savait que pour entretenir la pertinence de la monarchie, il fallait évoluer avec le monde.
Durant les derniers 20 ou 30 ans, nous avons constaté que la monarchie a été beaucoup plus visible au public. Nous avons été témoins de la vie des membres de la famille royale et avons été en mesure de les voir chez eux dans toutes les circonstances. Son approche peut se résumer en trois mots : « Seen is believing ». Elle était convaincue que pour croire dans la monarchie, il fallait qu’on la voie. Elle a réussi la prouesse d’établir un équilibre entre les traditions associées au Royaume-Uni et à la monarchie.

À Maurice, il y a toute une partie de la population qui est familière avec la royauté, mais ce n’est pas nécessairement le cas pour la génération post-indépendance, post-République et les milléniaux. Comment leur auriez-vous présenté la reine ?

Je leur dirai que feue la Reine Elizabeth II et le nouveau roi, Charles III, symbolisent des valeurs importantes britanniques concernant le devoir, l’engagement, le service public, le respect des autres et la diversité.

Le roi Charles III a multiplié les efforts pour rencontrer différents groupes de la société. Il a été très actif en ce qui concerne la diversité. Il a été parmi les premières personnalités publiques à parler du changement climatique. Je dirais aux jeunes que la monarchie est très présente et s’intéresse aux questions qui comptent beaucoup pour le monde.
Il est important que les jeunes de Maurice regardent la monarchie dans la perspective du Commonwealth. Le Commonwealth est une association volontaire qui regroupe autour de 2,6 milliards de personnes dans 56 pays d’Afrique, d’Asie, d’Europe, d’Amérique et du Pacifique. Le monarque britannique est le chef du Commonwealth. Le roi Charles III succède à sa mère sur ce plan. Il promeut des valeurs partagées, comme la bonne gouvernance, l’État de Droit et la collaboration, dans le respect des uns et des autres.

À un moment où le monde est extrêmement divisé, où les pays doivent se reconstruire après la pandémie de Covid-19, qu’il faut lutter contre le changement climatique et subir les effets de la guerre, tout ce qui peut rapprocher et tisser des liens entre les gens, comme l’association du Commonwealth, est très important. Je demanderai aux jeunes de s’intéresser et de s’engager auprès des institutions comme le Commonwealth, qui rassemblent les populations. Feue sa majesté avait un engagement clair vis-à-vis du Commonwealth.

La monarchie a aussi une dimension de conte de fée qui fait rêver…

Ce genre de rôle a aussi le pouvoir d’unir les gens à travers le monde. La Grande-Bretagne est une monarchie moderne. Le roi Charles III a pris l’engagement de réformer la monarchie. Il comprend qu’il a un devoir de service vis-à-vis du public britannique. Il prend cela très sérieusement. C’est une monarchie diversifiée et en contact avec les gens, et elle continue à s’ouvrir. C’est la monarchie la plus connue dans le monde.

Si on se remémore les 70 ans de règne de la Reine Elizabeth II, quels sont les moments qui vous viennent en tête ?

Vous savez, je suis loin d’avoir 70 ans. Cela se voit, non ? (rires) J’étais encore enfant lorsque j’ai suivi le mariage de la Princesse Diana et du Prince Charles. Je me souviens de cela comme si c’était hier. Vous savez que mes parents sont Mauriciens et ils ont un profond respect pour la famille royale, et nous avions à suivre cet événement international. Nous avons regardé le mariage du Prince Andrew également. C’était, je pense, le premier grand événement retransmis en couleur, et je souviens d’avoir été emportée par cette dimension féerique, de voir ces belles robes et ces beaux habits.

Nous nous souvenons également des funérailles de la Princesse Diana. Elle était une ambassadrice internationale pour la Grande-Bretagne. Elle s’était intéressée à des questions aussi importantes que le sida, ou encore les mines terrestres, qui ont fait énormément de victimes en Afrique. Elle s’est occupée des personnes vulnérables. Elle a eu un impact considérable sur les gens. La famille royale a aussi connu des moments difficiles et nous avons été témoins de leur volonté et de leur courage pour surmonter ces moments.
Sous le règne de la Reine Elizabeth II, nous avons également assisté à une érosion de l’Empire britannique. Beaucoup de pays ont obtenu l’indépendance et sont devenus des républiques.

Quel bilan faites-vous sur ce plan ?

Je ne peux pas dire si c’est positif ou négatif. Ce sont des faits de la vie. Les choses évoluent et il y a des transitions. Ce qu’a vu feue la Reine Elizabeth II est la transition de l’Empire au Commonwealth. Ce qui est important. Parmi les pays du Commonwealth, certains considèrent toujours la reine, et aujourd’hui le roi, comme leur chef d’Etat. Ils entretiennent tous des relations avec la Grande-Bretagne à travers le Commonwealth sur un même pied d’égalité. Je peux dire que la reine a supervisé cette transition avec beaucoup de grâce, d’une manière constructive et avec succès.

Est-ce que ces transitions se font dans la douceur et sans bouleversement ?

Nous avons vu que certains pays envisagent de faire un référendum sur le maintien ou non de la monarchie comme chef d’Etat. That is what the Commonwealth is about. Les pays indépendants sont libres de faire ce que leur gouvernement considère bon pour leur population. C’est ce qu’a dit le Prince William lors d’une tournée dans les Caraïbes. Il a présenté le Commonwealth comme une « Family of Nations ». Au sein du Commonwealth, chaque pays a le même droit de vote. C’est une société démocratique qui repose sur l’égalité. Les pays membres sont des partenaires. Le Commonwealth est tourné vers l’avenir. L’accent est mis sur le respect du monde et sur les jeunes, le changement climatique et le commerce. Il s’agit de bénéficier ensemble des bénéfices et que d’avancer ensemble vers le progrès.

Bien entendu, Maurice en bénéficie également…

Certainement que Maurice fait partie intégrante de cette famille des nations. C’est vrai, j’ai entendu beaucoup de réflexions et de commentaires concernant les relations de Maurice avec la monarchie durant la période pré-indépendance et post-indépendance. Je dois vous dire que j’ai été très émue par les démonstrations d’affection qui se sont manifestées depuis le décès de Sa Majesté. J’ai reçu énormément de messages bienveillants et très touchants. Le livre de condoléances a été signé par les membres du gouvernement et de hautes personnalités. Je sens que l’émotion manifestée par la plupart des Mauriciens est sincère. Nous ferons le deuil, mais nous sommes tournés vers l’avenir, comme c’est le cas pour nos relations bilatérales.

J’ai lu dans la presse des commentaires suggérant que la Grande-Bretagne se retire et que nos relations régressent. Ce n’est absolument pas le cas. Nous savons que Maurice a beaucoup de partenaires avec lesquels elle travaille, mais nos relations entre nos deux pays sont encore très riches. Laissez-moi citer quelques statistiques. Maurice est le 5e marché commercial le plus important en Afrique. La Grande-Bretagne est le 2e marché commercial pour Maurice. The tangible relationship matters. Les investissements britanniques à Maurice soutiennent quelque 10 000 emplois à Maurice, dont 4 000 au sein de Princes Tuna. Les échanges commerciaux et les investissements ont un impact réel sur l’économie de nos deux pays. Deux banques internationales (HSBC et Standard Chartered) ont leur quartier général à Londres. Plusieurs centaines de Mauriciens continuent de poursuivre leurs études dans des universités britanniques. Pas moins de 150 000 touristes visitent à Maurice chaque année. Cela compte pour nos deux pays. The idea of UK is fading away from Mauritius is clearly not true, puisque relations ont un impact sur nos économies. I humbly challenge anybody to prove the contrary.

Avez-vous des projets majeurs pour l’avenir ?

Je suis ici depuis une année et la Grande-Bretagne a l’intention de développer un partenariat stratégique commercial avec Maurice. L’accent sera mis sur les secteurs dans lesquels nous avons un avantage compétitif. Nous avons une offre intéressante pour Maurice dans le domaine des technologies vertes. En ce qui concerne les services financiers, Londres est un leader mondial. Nous avons un engagement avec Maurice en tant que partenaire du Commonwealth et en tant que partenaire bilatéral.

Vous avez parlé des relations économiques et commerciales avec Maurice. Quid des relations culturelles ?

La part du lion de notre offre en matière culturelle concerne l’éducation. Après tout, la langue anglaise est considérée comme la langue officielle de Maurice. Les étudiants mauriciens les plus brillants choisissent traditionnellement la Grande-Bretagne pour leurs études supérieures. Ce lien culturel est vraiment important. Le plus important, en ce qui concerne les liens culturels, est que nous partagions les mêmes valeurs. Nos deux pays sont multiculturels. Nous partageons les valeurs du respect, de la tolérance, de la démocratie, de la liberté ainsi que de la liberté d’expression. Comme en Grande-Bretagne, les familles attachent une grande importance à l’éducation de leurs enfants et veulent que ceux-ci soient bien éduqués et aient de grandes ambitions. C’est la raison pour laquelle Maurice et la Grande-Bretagne sont des partenaires naturels.

Ensuite, il y a le sport, et surtout le football. C’est ici que Gareth Southgate passe ses vacances. Personnellement, je souhaite mettre l’accent sur les éléments qui nous unissent, et il y en a beaucoup, comme le sport, l’éducation, l’art et l’ambition d’avancer.

Aucun problème ne peut donc mettre en péril les relations entre nos deux pays ?

Nos relations sont enracinées profondément. Il y a des sujets sur lesquels nous sommes en désaccord, mais je suis confiante que nous serons en mesure de résoudre ces problèmes sur une base bilatérale. Mon objectif consiste à approfondir et à élargir nos relations.

A Maurice, le drapeau sera en berne en mémoire de la Reine le jour de ses funérailles…

Cela symbolise l’amitié profonde qui lie nos deux pays, et nous apprécions profondément cette décision des autorités mauriciennes. Ce signe de solidarité est apprécié du fond du cœur. Au nom de la famille royale, du peuple britannique et du Premier ministre britannique, je voudrais dire merci au gouvernement mauricien et au peuple mauricien pour tout le respect et les expressions de sympathie manifestés. Nous sommes très heureux que le Premier ministre, Pravind Jugnauth, de même qu’un grand nombre de chefs d’Etat et de gouvernement soient présents à Londres pour les funérailles de lundi.

Qu’est-ce que l’arrivée de la nouvelle Première ministre britannique va changer au niveau du gouvernement britannique ?

Liz Truss a été secrétaire aux Commerce et secrétaire aux Affaires étrangères. Toutefois, pour le moment, le pays est en deuil. Elle se concentre à soutenir le pays « as we face the world without Queen Elizabeth ».

À travers le monde, nous sommes tous confrontés à une crise économique en raison de la guerre entre l’Ukraine et la Russie. Maurice est confrontée à une hausse des prix des commodités importées, alors que la Grande-Bretagne est affectée par la hausse des prix de l’énergie. Après avoir soutenu le public et les monarques britanniques à aborder la vie sans sa reine, ce seront autant de problèmes qu’il faudra résoudre. Après cela, il faudra rebâtir le pays après Covid.

Avec le décès de la reine, on parle beaucoup de la fin d’une ère et le début d’une nouvelle. Comment voyez-vous la situation dans une perspective historique ?

For the moment we are just focus on remembering the majesty. C’est un moment important pour le monde parce qu’Elizabeth II a été la monarque ayant régné le plus longtemps dans le monde. C’est une femme qui a assisté à la première réunion de l’Assemblée générale des Nations unies avant de devenir Reine d’Angleterre. Il faut savoir qu’elle avait également un rôle important sur le plan religieux. Elle avait le titre de « Defender of the Faith and Supreme Governor of the Church of England ». Elle a été la première monarque à inaugurer et à s’adresser au « General Synod » en personne. Il y a eu sept Archbishops of Cantebury durant son règne. Elle a rencontré quatre papes durant des visites officielles, à savoir Jean XXIII, Jean-Paul II, Benoît XVI et François.

Pour célébrer son jubilé de diamant, en 2012, la Reine et le Duc d’Édimbourg ont assisté à une célébration Å“cuménique au Lambeth Palace, organisée par l’Archbishop of Canterbury.
Elle était aussi une grande voyageuse. Elle a visité 110 pays sur les six continents. Elle est la monarque qui a le plus voyagé dans le monde et a entrepris 260 visites officielles et visité tous les pays du Commonwealth, y compris Maurice. Elle a rencontré 13 présidents américains.

Comment les choses se présentent-elles actuellement à Londres ?
Après avoir quitté le château de Balmoral, la dépouille d’Elizabeth II est passée par Édimbourg avant de se rendre à Londres, à Buckingham Palace, et ensuite transférée à Westminster, où elle restera jusqu’à ses funérailles. Des centaines de milliers de personnes font la queue pour lui rendre un dernier hommage. Après les funérailles, les membres de la famille royale seront en deuil pendant sept jours.

Un dernier message ?

We are still grieving the loss of Queen Elizabeth. Many countries around the world including Mauritius have shared in that grief. History is complex. Ultimately when you look at the women her commitment to public service, her kindness, her warm and grace. These are the things we are focusing on. I know that many Mauritian share the same sentiment as me and have deep respect and affection to her majesty.

 

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