JOURNÉE INTERNATIONALE DE L’ENVIRONNEMENT : Quel avenir pour nos sols? Quel avenir pour nous?

JOANNA BÉRENGER

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Députée et Présidente de la Commission Développement Durable du MMM

Dans le cadre de la Journée internationale de l’environnement célébrée le 5 juin, la campagne des Nations Unies est axée cette année sur la restauration des terres, la lutte contre la désertification, la résilience à la sécheresse, entre autres. Environ 40% de nos terres sur le plan mondial sont dégradées, affectant 50% de la population mondiale (1).

Sur le plan local également, avec le bétonnage des terres, l’utilisation de pesticides à outrance dans des champs de canne et des cultures de légumes depuis des décennies et la déforestation, nos terres sont meurtries.

Les pesticides: un danger pour tous

Les pesticides regroupent les herbicides, fongicides, insecticides; des agrochimiques qui ont prouvé leur efficacité dans la lutte contre certaines maladies et des organismes nuisibles aux plantations. Mais qui anéantissent au passage, toutes les défenses naturelles du sol en détruisant les écosystèmes et les nutriments naturels du sol, sans parler du danger qu’ils représentent pour la santé (2).

En effet, les pesticides sont transportés et contaminent:

a.l’air que nous respirons (3)

b. l’eau que nous buvons (4)

c. la biodiversité (5)

Leur nature toxique n’est plus à prouver. Pourtant, plus de 1200 tonnes de pesticides ont été importées à l’Ile Maurice en 2022, selon les chiffres provenant de la MRA et déposés au Parlement en juin 2023. Ce chiffre ne correspond pas à celui de Statistics Mauritius, qui estime à 2700 tonnes l’importation de pesticides en 2022. Une fois sur notre territoire, qu’est-ce qu’il advient de ces pesticides?

La politique de l’autruche

Plusieurs études (6), articles (7), rapports nationaux et internationaux, ont mis en lumière la mauvaise gestion des pesticides à Maurice.

Malgré cela, le gouvernement continue sa politique de l’autruche. Le ministre Maneesh Gobin affirmait au parlement qu’il n’y a aucune utilisation abusive des pesticides dans le pays et a été jusqu’à remettre en question les statistiques nationales et la mise en garde de la Food Agricultural Organisation des Nations Unies qui nous citait en 2018 comme le plus grand utilisateur de pesticides avec 2795 kg par km2 de terre cultivée. Statistics Mauritius donnait en 2020 un chiffre record de 3418kg par km2, ce qui représente une augmentation de 22.3% en seulement trois ans. Dans sa réponse à ma question B804 en 2021, le ministre faisait la différence entre les ingrédients actifs et passifs des pesticides dans une vaine tentative de dédramatiser la situation. Ce à quoi, le Pr Marcos Orellana, rapporteur spécial des Nations unies, a répondu que les ingrédients ‘inert’ sont aussi toxiques. Et qu’une bonne gestion des pesticides devrait inclure le produit dans son ensemble. Cette distinction aussi risible qu’inutile ne doit donc pas être utilisée pour détourner l’attention des graves effets qu’ont les pesticides sur l’environnement et la santé (8). Les premiers dont la santé est affectée sont les agriculteurs eux-mêmes, directement exposés aux pesticides.

Fertilité du sol en déclin

Les agriculteurs rencontrés expliquent être intéressés à se tourner vers un mode d’agriculture plus sain mais font face à des difficultés à plusieurs niveaux.

D’abord, au fil du temps, un cercle vicieux s’est mis en place: les organismes nuisibles aux plantations deviennent plus résistants aux pesticides au fil des années et les défenseurs naturels des plantes disparaissent, ce qui incite à utiliser à chaque fois plus de pesticides, mais aussi plus de fertilisants. Si l’on se fie aux chiffres de Statistics Mauritius, l’utilisation des pesticides aurait été multipliée par cinq depuis 1982 (9). Mais cela ne s’est pas révélé efficace puisque les rendements des cultures vivrières ont diminué. Raison supplémentaire pour se tourner vers d’autres méthodes d’agriculture, pour le bien de tous.

Le manque de soutien aux agriculteurs

Mais aider les agriculteurs à aller dans cette direction ne semble pas être la priorité de ce gouvernement. Qu’il s’agisse des agriculteurs voulant s’engager dans l’agriculture biologique, l’aquaponie ou la permaculture, tous ceux rencontrés désespèrent du manque de soutien du gouvernement : pas d’installation pour la fourniture d’eau malgré des demandes faites depuis des années, mauvaise qualité des produits fournis par le FAREI, manque de facilités pour avoir accès aux matériaux  du FAREI, manque de soutien des officiers du FAREI eux-mêmes qui seraient plus intéressés à s’occuper de leurs propres plantations pour certains. Un rapport de ‘UN Environment’ de janvier 2021(10), relève qu’il n’existe aucune facilité au FAREI pour l’analyse chimique et microbiologique du sol. Comment les officiers de la FAREI pourraient-ils aider à avancer vers des méthodes d’agriculture durable si le gouvernement n’investit pas pour leur en donner les moyens? Comment tendre vers la régénération de nos sols si les outils nécessaires ne sont pas disponibles?

Le gouvernement n’investit pas non plus dans les ressources humaines pour plus d’officiers disposés à aider ou pour permettre une meilleure gestion dans l’utilisation des pesticides. Après avoir insisté pendant quatre ans, nous avons fini par découvrir qu’il n’y a que cinq officiers pour travailler au PRO (le ‘Pesticides Regulatory Office’). Un ratio d’un officier pour 2,400 agriculteurs. Leur travail implique la sensibilisation aux pesticides, l’échantillonnage, l’analyse des données, le service des recommandations, en assurer le suivi. Pas étonnant donc que la réponse à ma question parlementaire B 804 en juillet 2021 ait révélé que seulement 1811 prélèvements avaient été faits depuis 2018. Moins de 6% des terres cultivées testées en trois ans, ce qui montre qu’il n’y a clairement pas assez d’officiers responsables au Pesticides Regulatory Office. Aussi, 20% des 1811 prélèvements, avaient des quantités de résidus de pesticides dépassant le seuil maximum toléré (sans compter les possibles échantillons présentant des mélanges et qui échappent à cette limite). Il est donc urgent d’augmenter l’effectif du PRO.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes et l’absence de réaction du gouvernement traduit un manque de volonté pour améliorer la gestion des pesticides dans le pays.

Une harmonisation et une mise à jour des lois nécessaires

Mais comment avoir une gestion correcte des pesticides quand nos lois qui régissent l’importation, la distribution, l’utilisation des pesticides ne sont pas alignées? La Food Act, la Use of Pesticides Act, et la Dangerous Chemicals Control Act, présentent des incohérences qui les rendent inefficaces.

La ‘Use Of Pesticides Act’ a été introduite en 2018 pour contrôler la quantité de résidus de pesticides sur les fruits et légumes, en instaurant un seuil maximum.

La Food Act et la Use of Pesticides Act sont des lois préparées par deux ministères différents (ministère de la Santé et ministère de l’Agro-Industrie respectivement) et certains pesticides mentionnés dans l’une ne le sont pas dans l’autre.

La liste des pesticides qui est dans la Use of Pesticides Act est limitée et 40% des fruits et légumes importés ne sont pas concernés par cette loi. Donc, comment assurer le contrôle quant à la quantité de résidus de pesticides qu’ils contiennent?

Parmi les pesticides régulés par la Food Act, une vingtaine sont pourtant interdits par la Dangerous Chemicals Control Act. Comment peuvent-ils alors faire partie de la liste de la Food Act ?

Plus d’une vingtaine de pesticides échappent au contrôle de la loi. Pour ceux-là, le gouvernement n’a aucun contrôle quant à l’importation et la distribution, et la moitié d’entre eux sont pourtant classifiés comme ‘hazardous’ selon les directives de l’OMS de 2019.

Seulement la moitié des pesticides réglementés par la Dangerous Chemicals Control Act a été octroyée à un seuil maximal de résidus de pesticides sous la Use of Pesticides Act.

Une dizaine des pesticides cités dans le ‘guide agricole’ ne sont réglementés par aucune des 3 lois. Les sanctions diffèrent également en fonction des trois lois.

Il faut noter aussi que selon la Use of Pesticides Act, une quarantaine de pesticides peuvent être utilisés sur les tomates, plus d’une trentaine sur les pommes de terre etc. Cela a pour conséquence de rendre inutile le contrôle du seuil maximal de résidus de pesticides car pour échapper à ce contrôle, certains mélangent plusieurs pesticides.

Le premier pas vers une gestion efficace des pesticides commence par la mise à jour et l’harmonisation des lois mentionnées ci-dessus.

Une autre loi directement concernée par la problématique des pesticides vient d’être votée au Parlement, l’Environment Act, et pourtant, ne pipe mot sur le sujet.

Conclusion

Plusieurs de mes questions parlementaires posées restent sans réponse. L’opacité, ou plutôt l’omerta, entourant ces enjeux pourtant si importants, est troublante. Malgré que notre pays soit signataire de plusieurs conventions et protocoles (11), rien n’indique que les autorités veuillent faire de sorte que nous respections nos engagements, ou que nous suivions les recommandations de la FAO et du WHO(12) International Code of Conduct on Pesticide Management. Il est difficile de croire que, malgré la crise écologique à laquelle nous faisons face, rien n’est fait pour permettre la régénération, ou du moins la préservation de nos sols, mais surtout nous assistons toujours aujourd’hui à leur dégradation continue au nom du prétendu “développement”, que le gouvernement met systématiquement en opposition avec ‘la préservation de l’environnement’.  Pourtant, en tant que petit État insulaire, nous sommes davantage exposés aux risques climatiques, et un développement durable permettrait de ne pas diminuer notre résilience climatique. Le rapport de l’ONU pour les SIDS en 2017 prévoyait déjà que Maurice deviendra un pays en situation de stress d’ici 2025. Un sol appauvri et dégradé perd de sa capacité à capter et retenir l’eau de pluie. Aussi, l’eau s’écoule alors plus rapidement à la surface, augmentant le risque d’inondations, amplifiant l’érosion, diminuant le taux de régénération de nos nappes phréatiques et augmentant notre vulnérabilité face aux sécheresses. Oui, de la santé de nos sols, dépend notre avenir! Sauvons nos sols!

1.https://www.weka.fr/glossaire/terme/journee-mondiale-de-lenvironnement-2024/

2.Nous sommes aussi dans le top 3 des pays africains concernant les cancers du sein, de l’utérus, du colon, du sang et que les recherches associent à l’utilisation de certains pesticides, que nous utilisons ici.

3.Par exemple, une étude publiée dans Journal Chemosphere en novembre 2020 explique que des échantillons pris entre 2010 et 2018 dans les environs de Réduit confirment la présence de 12 pesticides dans l’air dont certains interdits d’utilisation depuis 2004.

4.Une étude du Mauritius Research Council avait trouvé des résidus de pesticides dans les eaux de surface et nappes phréatiques même un an après leur application.

5.Safford, R.J. & Jones, C.G. (1997). Did organochlorine pesticide use cause declines in Mauritian forest birds? Biodiversity and Conservation, 6, 1445 – 1451. URL: https://bit.ly/3yGiDxZ

6.Laniece, I. (1995). Pesticide usage and associated health hazards in Mauritius – Descriptive report. URL: https://bit.ly/3AES2SI

Ministry of Environment and Sustainable Development (MoESD) (2011). Mauritius Environment Outlook Report 2011. Government of Mauritius. URL: https://bit.ly/3CCmzSO

Fagoonee, I. (1984). Pertinent aspects of pesticide usage in Mauritius. Insect Science and Its Application, 5(3), 203 – 212. URL: https://bit.ly/3gbFD0X

Fagoonee, I. (1987). Pesticides practice among vegetable growers in Mauritius. In Management of Pests and Pesticides (pp 175 – 181). CRC Press. URL: https://bit.ly/3iAhPVN

Le Bellec, F., Scorbiac, M. & Sauzier, J. (2017). Les pratiques phytosanitaires des producteurs de légumes de l’île Maurice: impacts et perspectives de changement. Cahiers Agricultures, 26, 55001. URL: https://bit.ly/3Aydbhu

7.https://charlestelfaircentre.com/the-scourge-of-pesticides-overuse-in-mauritius-how-far-are-we-in-the-ongoing-ecological-disaster/

8.Ministry of Health and Quality of Life (MoHQL). (2009). National Plan of Action for Nutrition (2009 – 2010). URL: https://bit.ly/3D78gpN

9.Statistics Mauritius (SM) (1982 – 2020). Digest of Agricultural Statistics. URL: https://bit.ly/3xML7oR

  1. https://mauritius.un.org/sites/default/files/2022-07/un_ar_report_2021_mauritius_final.pdf

11.The Rotterdam Convention depuis 2005 pour la coopération dans l’importation des produits chimiques dangereux; Stockholm Convention depuis 2001 pour les polluants organiques persistants; cartagena Protocol on Biosafety depuis 1992; Basel Convention depuis 2004 pour empêcher le transfert des déchets dangereux vers les pays moins développés.

12.Food and Agricultural Organization (FAO) (2021). Codex Alimentarius International Food Standards – Pesticides Index. URL: https://bit.ly/37GuoZq

Food and Agricultural Organization & World Health Organization (FAO & WHO) (2014). The International Code of Conduct on Pesticide Management. URL: https://bit.ly/3gw5kcq

 

 

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