Mauricien d’ailleurs : Noël Rivet, un exil librement consenti

Le CV de Noël Rivet est impressionnant. Concours CNFPT de percussion, titulaire d’un diplôme de concertiste en percussion de l’École normale de musique de Paris, il a aussi travaillé avec Sam Woodyard, batteur de Duke Ellington, côtoyé Alain Silvestri, compositeur de Forrest Gump, joué en duo avec le plus grand marimbiste du monde, Éric Sammut. Ce mélomane est à la musique ce que la note est à sa partition, une mise en lumière de la mélodie.

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Soixante-quatre ans de carrière ! Actuellement en vacances à Maurice avec son épouse Michèle, Noël Rivet a exercé à l’École normale de musique de Paris et au Conservatoire intercommunal de musique du Val-d’Oise. Au Mauricien, il fait état avant tout de sa satisfaction d’avoir eu le privilège d’avoir été dans les plus belles salles de concert au monde, notamment la Musikvarein de Vienne, la Scala de Milan, la Fenice de Venise. Une façon, dit-il, de rendre hommage à son père Harold qui faisait écouter à ses frères et lui les plus beaux extraits des opéras chaque après-midi.

Le père Harold, figure incontournable de la capitale, avait ouvert Musical Store, à Port-Louis, pour la vente de disques dont des 78 tours. Et la vente tournait autour de 20 000 disques. « On a longtemps baigné dans la musique. Après la fermeture de son magasin, mon père avait tout rangé dans son garage et on s’abreuvait des classiques, des opéras. Et comme on vivait près de la cascade, cela ne dérangeait personne. »

Noël Rivet s’est surtout fait connaître avec ses deux frères Gaëtan et Stellio, en 1964, avec leur groupe The Blue Stars, puisant leur répertoire des sonorités des Shadows qui les ont longtemps influencés. The Blue Stars des années 60, devenu plus tard le groupe mythique Les Revivals. Des parenthèses enchantées, la nostalgie d’une certaine époque qui est restée dans la mémoire collective des Mauriciens.

Les instruments de musique de la formation The Blue Stars étaient fabriqués manuellement par les frères Rivet. Des boîtes de margarine Blue Band en fer-blanc, recouvertes de cuir de cabri, des couvercles servant de cymbales et le mot margarine masqué par des étoiles bleues découpées par leur sœur dans des magazines. Même leurs gilets de scène étaient bleus avec un petit acrostiche en étoile. « Le chanteur était Mario Commarmond. Il n’y avait pas de magasins qui vendaient des instruments. Les gens nous ont découverts au kiosque du jardin de Balfour avec la musique des années 60, Les Shadows et les groupes de l’époque. À l’époque du hard rock pour se différencier des autres groupes, on s’est spécialisé dans cette mouvance. »

Les souvenirs bien incrustés dans la mémoire de Noël le ramènent très loin en arrière lorsqu’il se produisait avec ses frères au Magic Lantern. « Et comme on avait innové le répertoire, on avait été embauchés au Magic Lantern, les vendredis et samedis soirs, pour faire danser le public. Et en 1974, le chef du village du Club Med, Jean-Pierre cherchait un orchestre, et il est venu nous écouter en nous proposant de jouer au Club Med, on ne savait pas ce que c’était. On a demandé à Jacques Maunick de venir nous aider. Comme son frère Gérard faisait partie de notre orchestre, Jacques a monté le premier grand festival au stade de Rose-Hill, considéré comme le plus grand de Maurice. On disait que Jacques était notre directeur financier au chef du Club Med et vu qu’il avait travaillé en France, il connaissait les prix. Je me souviens que le chef du village avait dit : « Même dans tous les clubs du monde, on n’a jamais demandé ce prix. »

Ce qui permettra au Blue Stars de faire une percée internationale avant que Noël ne décide de plier bagage en 1974 pour le Conservatoire de Paris. « Pour avoir une situation, il fallait passer par le Conservatoire. La batterie n’était pas considérée comme un instrument académique.»

L’oreille de Sam Woodyard

Discret, Noël s’avoue heureux qu’il ait eu la chance d’être dans les cours de Sam Woodyard, connu comme le batteur de Duke Ellington. Cette rencontre inopinée avec Sam Woodyard s’est faite au Club Med en Suisse où, relate Noël, ce dernier était en tournée avec un certain Gérard Badini, grand saxophoniste jazzman français.

« Sam avait fui les Etats-Unis, il ne voulait plus subir le ghetto du Harlem. Avec Duke Ellington, cela a été salvateur. Gérard Badini a recruté Sam en Suisse ; et moi, j’ai eu la chance de suivre des cours de batterie avec Sam. Il me disait que jouer de la batterie équivaut à raconter une histoire. De moi, il avait écrit que j’étais : “A very coming drummer, serious about going further”. » Selon Noël Rivet, Sam ne savait pas lire une note de musique mais il avait l’oreille et le talent inné d’un musicien. « C’était un des meilleurs de sa génération.»

De Gérard Badini, Noël se félicite qu’il ait reconnu son travail de musicien comme fait mention sa lettre de référence à son égard. « J’étais musicien au Club Med de 1972 à 1976 et ayant suivi des cours de l’École de musique Kenny Clarke à Paris, Gérard m’avait fait une lettre de référence pour faire mention de mon aptitude à suivre les cours du Conservatoire de musique de Paris. »

Pendant 19 ans, Noël Rivet étudiera à l’École normale de musique de Paris. Il a aussi une pensée pour Pierre Petit, directeur de cette école et qui avait confirmé sa nomination, le 26 juin 84, comme professeur de percussion chargé des élèves jusqu’à la 6e division incluse. Une telle reconnaissance d’un établissement de notoriété internationale a redonné le sourire à Noël, tout heureux de son parcours d’avoir été responsable d’une école de musique, dirigé un orchestre de jazz du conservatoire, d’avoir fait des rencontres intéressantes, comme celle avec Alan Silvestri, celui qui a composé la musique du film de Forrest Gump. Il évoque aussi avec bonheur son duo avec le plus grand marimbiste du monde, Éric Sammut.

Il en avait rêvé Noël, d’un concert d’Éric Sammut à Maurice, mais s’est heurté à des difficultés. Entre ses périodes de galères et de bonheur, Noël Rivet s’est accroché à son destin en se mettant à écrire deux romans. Le premier a pour titre Un exil consenti. Et le second, en chantier, sera une prolongation de cet exil. Il évoque cette musique qu’il a composée sur le lagon et qui trouvé sa place sur les ondes de RFI. « Beaucoup ne connaissent pas cela. C’est dommage que les artistes mauriciens ne soient pas valorisés. Je suis venu en vacances pour me ressourcer. Ma belle-mère me taquine souvent en me disant : “Tu es un exilé”. J’ai voulu développer cette musicalité en moi en choisissant de partir, mais je nourris toujours ce rêve d’un concert au Caudan avec mes instruments entourés de jeunes passionnés de musique. »

Électron libre, percussionniste de talent, Noël Rivet a atteint une grande maturité musicale et poétique. Aujourd’hui, il veut revenir à ses racines. Son expérience et son talent sont porteurs d’un nouveau souffle. Comme lui avait enseigné Sam Woodyard, il raconte une histoire à travers sa musique en insufflant aux jeunes le goût pour la batterie et les percussions.

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