RAFAL : Thierry Le Breton parle du Patrimoine *

La géographie, surtout celle d’une île, n’est pas une donnée immuable. Elle a une fonction morphogénétique sur la culture et celle-ci la façonne en retour. Par exemple, l’alimentation est un acte culturel qui façonne le paysage. Aujourd’hui par exemple, notre régime moderne revient à raser des forêts pour produire de l’huile de palme ou du soja.

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Toute la géographie de Maurice a été façonnée par un acte alimentaire – on a remplacé les forêts par la canne à sucre – et on a détruit la biodiversité. L’épopée du sucre au XVIIe siècle à travers le monde a été l’une des grandes catastrophes écologiques de l’histoire de l’humanité. Toute la biodiversité des Antilles a été détruite de la même façon. La géographie influe aussi sur la culture. Elle entraîne nos regards sur les variations de la lumière, les couleurs de l’endroit, les perspectives. Toute la production de tableaux à Maurice depuis 150 ans tourne autour des montagnes et de la notion des couleurs. C’est dans la géographie de l’île qu’on cherche aujourd’hui l’identité mauricienne.

De g. à dr: Thierry Le Breton, Jean Gilbert Ithier, Leckraz Burton et Kee Chong Li Kwong Wing, les quatre panélistes du forum de Rafal, ainsi que le professeur Serge Rivière, Master of Ceremony

Il est aussi question de l’évolution du style architectural dans ce contexte, du fait de l’emploi et de la technicité des matériaux locaux par exemple. Thierry Le Breton parle du rapport de proportion dans le bâti en comparant Maurice et La Réunion. Il pense que le relief plus montagneux de La Réunion est pour quelque chose dans la différence du rapport de proportion hauteur – largeur dans l’architecture créole de ces deux îles.

Nous avons à Maurice une histoire assez courte et qui est une histoire de confrontation entre cultures différentes sur un territoire contraint, ce qui a conduit à une mise en compétition des communautés pour l’accès au pouvoir, avec cette grande question qui s’impose à tous : qui est légitime à Maurice pour pouvoir agir sur le territoire ?

Le patrimoine culturel à Maurice n’est absolument pas utilisé comme un créateur de valeur. Il n’est utilisé que de façon opportuniste pour construire sa propre légitimité à agir dans le champ territorial « nou lanset inn fer sa pou developman pei, nou kapav pran pouvwar », « nou fami inn develop kann dan sa landrwa-la depi 200 banane, mo kapav met enn lotel dan sa landrwa-la »…

Le patrimoine culturel est donc une arme qui est utilisée à l’intérieur d’une guerre mémorielle pour occuper le plus possible d’espaces dans la géographie du pays, que ce soit un espace physique ou symbolique.  Par exemple, on met de fausses vieilles cheminées d’usine dans des shopping malls ou alors on fait le plus de bruit possible lors de rituels religieux pour occuper l’espace. C’est la même logique.

Pour aborder la question économique du patrimoine culturel, qui est une notion très mal comprise à Maurice, il faut déjà rappeler que « L’économie » est déjà en elle-même une production de la culture humaine. L’économie, c’est de la culture. Et quant au patrimoine culturel, il est créateur de valeur et contribue de façon significative au goodwill d’une nation ; et ceux qui sont spécialisés en finance savent combien le goodwill peut avoir un impact économique significatif sur la valeur d’un business.  Le patrimoine culturel apporte de l’attractivité au territoire ainsi qu’une plus-value foncière, donc davantage de revenus à l’état par les taxes sur les retombées économiques des activités annexes et sur les transactions immobilières.

Pour retenir la jeunesse (qui ne reste à Maurice que pour la famille) il faut leur donner d’autres raisons de rester ou de revenir. Il faut ce sense of belonging. Et ça ne sert à rien de leur offrir des Shopping Malls. Il faut leur offrir quelque chose de différenciant, que seule Maurice peut offrir, c’est-à-dire notre patrimoine naturel et culturel. Or, c’est précisément ce que nous détruisons !

Nous avons un rapport faussé à notre géographie naturelle et culturelle car nous occupons l’espace de façon exponentielle pour les raisons exposées plus haut et dans une logique d’irréversibilité. Quand un lieu est utilisé dans une logique économique – de création de valeur – on fait toujours le choix de le dégrader définitivement, donc de façon irréversible, sans penser à ce que le site pourrait redevenir, quand l’exploitation économique aura pris fin. Car toute chose a une fin ! On ne pense donc pas à la réversibilité du site. Pour beaucoup de personnes la notion de « développement » n’est associée uniquement qu’à des projets de construction – des structures en béton surtout. Alors que la création de richesse peut se faire de tant d’autres façons.

*RAFAL Forum du vendredi 18 novembre 2022 dans le Hall du Collège Royal de Curepipe

Il ne faut pas oublier que nous sommes une petite ile, et que pour inverser la donne, il nous faut penser le territoire dans une logique de « Bien Commun ».  Malheureusement, cette notion de « Bien Commun » est très éloignée des schémas mentaux des Mauriciens – ce qui est à la source de bien des malheurs dans la dégradation du territoire.

Il faut penser les investissements de façon plus optimale – moins de dam et davantage de forêts pour une meilleure gestion de l’eau. Il est grand temps de planifier le développement intégré et se donner des objectifs quantitatifs clairs. A la Réunion par exemple, il se sont donné pour objectif d’avoir 0% d’artificialisation des sols d’ici à 2030. Ce type d’objectif limite l’étalement urbain et oblige à régénérer la ville sur la ville. Mais pour mettre en place ce type de politique à Maurice, il faudra renforcer de façon significative les capacités administratives des District Councils et des Municipalités.

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