Vincent Degert : « Nous sommes tous victimes de l’agression russe en Ukraine »

En marge de la Journée de l’Europe, qui sera célébrée ce 9 mai, Le-Mauricien a rencontré l’ambassadeur à Maurice de l’Union européenne, Vincent Degert. Les échanges ont porté inévitablement sur la guerre en Ukraine. Il explique ainsi que l’Union européenne dans son ensemble est interpellée par ce conflit. « Face à cette situation, les pays européens ont agi de manière unie et coordonnée. Au-delà de la réaction européenne, nous nous attendons à ce qu’il y ait une réaction internationale », affirme-t-il.

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L’ambassadeur européen attribue d’ailleurs l’actuelle escalade des prix au conflit. « Si l’Ukraine est l’agressée, nous constatons que nous sommes tous victimes de l’agresseur russe », s’appesantit-il. Il fait le point également sur la coopération entre Maurice et l’Union européenne, et évoque les négociations en cours en vue d’un approfondissement de l’accord de partenariat économique.

La journйe de l’Europe sera cйlйbrйe cette annйe dans un contexte sans prйcйdent, provoquй par l’agression de la Russie contre l’Ukraine. Quelle est votre analyse de la situation ?
C’est un événement sans précédent depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale puisqu’il s’agit d’une remise en cause fondamentale de l’équilibre géopolitique qui a existé sur le territoire européen et la remise en cause des pratiques fondamentales comme l’intangibilité et la maîtrise des frontières.
C’est une violation flagrante de la Charte des Nations unies et d’une douzaine d’autres résolutions internationales fondamentales. On voit bien qu’il y a une volonté du président Poutine de remettre en cause cette stabilité de la paix qui a prévalu sur le continent européen depuis plus de 70 ans. Cette agression marque également le retour de la force en lieu et place du droit. Il y a quelque part un aspect impérialiste dans cette démarche.
Face à cette situation, l’Union européenne dans son ensemble est interpellée. On l’a été avant le déclenchement du conflit. Il y a une tentative d’engager un dialogue avec les autorités russes qui avaient fait un certain nombre de demandes en matière de sécurité. On a réagi par écrit. Plusieurs dirigeants européens sont allés à Moscou pour rencontrer le président Poutine, pour le prévenir et éviter la catastrophe dont nous sommes témoins et qui a des répercussions mondiales.
Face à cette situation, les pays européens ont agi de manière unie et coordonnée. Au-delà de la réaction européenne, nous nous attendons à ce qu’il y ait une réaction internationale. Nous souhaitons qu’il y ait une caractérisation de la situation. C’est une agression et l’agresseur doit être sanctionné. En même temps, il nous faut soutenir l’agressé en apportant notre soutien tout en évitant d’être entraînés dans ce conflit. Ce qui amènerait à une escalade très préjudiciable et qui pourrait remettre en cause la paix mondiale.
Malheureusement, on a entendu le président Poutine menacer, de manière directe ou indirecte, d’avoir recours à des armes proscrites, qu’il s’agisse d’armes chimiques ou nucléaires. Cette situation nous force à revoir complètement l’approche que nous avions avec la Russie.

En matiиre de sanctions, nous avons constatй qu’elles viennent essentiellement des pays europйens…
Comme je l’ai dit, nous ne voulons pas nous impliquer dans le conflit militairement. Nous ne voulons pas que nos soldats soient engagés ou que nos avions soient engagés pour assurer une No Fly Zone au-dessus de l’Ukraine pour ne pas donner de prétexte à une escalade qui serait dangereuse.
En même temps, il est essentiel de faire pression sur l’agresseur pour qu’il arrête et se retire du territoire ukrainien. La guerre n’arrange pas la situation globale. Aujourd’hui, des bombardements indiscriminés des civils se sont produits. Il y a des actions qui ont été commises et qui donnent lieu à une enquête au niveau de la Cour pénale internationale. Les Nations unies se sont prononcées sur les tueries considérées comme des crimes de guerre.

Les sanctions imposйes contre la Russie ont aussi des consйquences sur le commerce mondial et affectent les pays les plus vulnйrables, dont Maurice…
Souvent, les gens m’interrogent pour me dire que les sanctions seront la cause de tous nos problèmes. Je voudrais répondre à cela en disant que la cause de tous ces problèmes est l’agression de la Russie. S’il n’y avait pas eu d’agression, il n’y aurait pas eu tous ces déclenchements auxquels on est confrontés aujourd’hui. Si l’Ukraine est l’agressé, nous constatons que nous sommes tous des victimes, y compris Maurice et tous les pays qui importent des denrées alimentaires importantes.
La cause de la montée des prix des denrées alimentaires découle des bombardements russes sur les silos de grains. De plus, ils empêchent les navires de livrer les céréales ukrainiennes vers les pays importateurs. Ils continuent de bombarder le Donbass, et au-delà de cette région, les cultivateurs ukrainiens ne peuvent pas aller dans leurs champs pour semer comme ils l’ont fait depuis des décennies. Nous avons réagi avec nos partenaires et avons pris des dispositions pour accroître la production européenne afin d’alimenter non seulement l’Europe, mais aussi les pays partenaires. Nous sommes en train d’aider les producteurs ukrainiens qui ne peuvent pas utiliser la voie maritime pour livrer leurs céréales afin qu’ils utilisent les réseaux ferroviaires ou les camions pour le faire. Je pourrais citer les nombreuses initiatives prises par l’Union européenne.
Une solidarité et un effort collectif doivent être entrepris au niveau mondial pour faire pression et isoler la Russie afin de forcer les dirigeants russes, à commencer par Poutine, à revenir à la table des négociations afin d’essayer d’appliquer les solutions d’apaisement et d’arrêt des hostilités le plus vite possible.

En France, le prйsident Macron a йtй reconduit а la prйsidence. Comment avez-vous accueilli ces rйsultats ?
Le président Emmanuel Macron et les autres dirigeants européens ont fait preuve d’unité et de solidarité dans l’adversité. Comme d’autres, il s’est beaucoup investi pour éviter la guerre. Ils n’ont pas réussi. Il faut stopper cette guerre le plus vite possible. L’important aujourd’hui est que cette solidarité européenne se maintienne.
Le président Macron est un acteur essentiel. Il assume aujourd’hui la présidence du conseil de l’Union européenne. Il joue un rôle particulier et précis. Le fait qu’il puisse demeurer en position permet, d’un point de vue européen, d’avoir un continuum.
Il y a la crise en Ukraine mais il y a aussi beaucoup d’autres sujets très importants qui sont sur la table du conseil de l’Union européenne, notamment le changement climatique et tout ce qu’on doit faire de ce point de vue. En liaison avec la crise ukrainienne, il faudra renouveler d’efforts pour développer les énergies renouvelables. On a besoin d’un engagement extrêmement fort en faveur d’une Europe plus verte.
Un autre thème important est le développement du digital dans l’effort de redressement post-Covid. Deux textes très importants ont été adoptés par l’Union européenne concernant le développement d’Internet et l’accès du plus grand nombre à la numérisation dans un espace régulé. Il se passe aussi beaucoup de choses de nature illégale sur le net, que ce soit l’agression vis-à-vis des enfants et les incitations à la haine ou au terrorisme.
L’Union européenne est à l’avant-garde en matière de régulation qui tienne compte de la liberté tout en veillant à ce que les contenus illégaux ne soient pas ignorés. Nous sommes très heureux de poursuivre l’engagement de la France en tant que président dans ce contexte.

Pouvez-vous nous parler des grands axes de coopйration entre Maurice et l’Union europйenne ?
La coopération entre Maurice et l’Union européenne est ancienne et solide. Le maître mot qui sort de tout ce que nous venons de vivre, c’est la sécurité. Elle intéresse non seulement les citoyens européens mais aussi mauriciens. On veut plus de sécurité et plus de stabilité, surtout que notre environnement immédiat a tellement été chahuté ces dernières années.
Sur le plan de la sécurité maritime, on a vu l’incident du Wakashio ainsi que les récents échouages à l’entrée du port et à l’île de La-Réunion. Un travail de fond doit être fait sur la sécurité portuaire et maritime. On est très engagé avec Maurice sur ces thèmes. Les autorités mauriciennes veulent organiser une conférence régionale sur ce thème. Il faut tirer les leçons de ce qu’on a vécu et l’améliorer. La lutte contre tous les trafics dans l’océan Indien est une constance.
Nous avons renouvelé notre engagement avec Eunavfor. Après la lutte contre la piraterie menée avec nos pays partenaires, nous souhaitons étendre le mandat à la lutte contre la drogue et le trafic d’armes. Il n’y a pas plus de dix jours, la marine française a intercepté quatre navires transportant plusieurs tonnes de drogue dans l’océan Indien. L’action politique est importante, mais aussi l’action concrète sur le terrain.
Actuellement, on pratique le Catch and Release. On arraisonne. On détruit les marchandises et on laisse partir les navires et leurs marins. On voudrait aller plus loin et avoir une Legal Finish de façon que les marins se trouvant à bord de ces navires puissent rendre compte et être jugés. Nous espérons pouvoir compter sur Maurice dans ce domaine comme sur les autres pays partenaires dans la région.
On continue la lutte contre la piraterie afin que nos navires de croisière puissent croiser dans l’océan Indien et que la masse du commerce mondiale puisse transiter dans l’océan Indien sans crainte et sans risque. Il y a certains qui profitent des zones non réglementées pour faire des trafics multiples et diverses. Il faut que les pays de la région s’engagent dans la même dynamique avec nous.
Un autre axe de coopération est la sécurité sanitaire. La santé est le bien le plus cher de chacun d’entre nous. Nous travaillons avec Maurice sur cette question depuis deux ans. L’UE a accordé un appui budgétaire pour renforcer la capacité du ministère de la Santé. On a travaillé de manière intelligente sur toutes les questions qui concernent ce secteur mais il faut regarder l’avenir. On risque d’avoir d’autres épidémies et d’autres risques. C’est la raison pour laquelle existe une veille épidémiologique et sanitaire avec l’aide de la COI et de l’AFD.
Un autre élément est l’autonomie alimentaire renforcée. Des dispositions sont prises pour mettre au point de nouvelles techniques agricoles. Il y a aussi la sécurité environnementale. Il a aussi des échanges de savoir avec Maurice, entre autres, sur le tri sélectif. Il y a des expériences en Europe, à La Réunion et ailleurs. On peut partager tout cela. On peut aider les autorités à mettre en place les facilités en vue de rendre notre planète plus habitable. Un changement radical doit être fait au niveau de la production et de la consommation.

Comment se portent les relations йconomiques et commerciales avec Maurice ?
Nous sommes très satisfaits de cette très bonne collaboration que nous avons avec Maurice depuis des décennies. Nous restons à plus d’un titre le premier partenaire économique de Maurice, que ce soit en ce qui concerne les échanges commerciaux et l’investissement. Cela ne veut pas dire que nous sommes les seuls. Il est important que Maurice puisse diversifier ses clients et ses destinations. Il y a des accords qui ont été signés avec la Chine et l’Inde. Il y a aussi l’accord de libre-échange avec l’Afrique. C’est une carte que Maurice pourra exploiter. Nous voulons aller plus loin dans nos relations commerciales et nos relations en termes d’investissement.
Depuis novembre 2019, nous avons ouvert des négociations avec Maurice, les Seychelles, les Comores, Madagascar en vue d’un approfondissement de notre accord de partenariat économique dans le but de venir avec des thématiques plus complexes comme le droit de la propriété intellectuelle susceptible d’attirer ici des investisseurs dans des domaines précis. On travaille également sur les standards phytosanitaires. Il y a aussi un travail pour que ces pays, y compris Maurice, se mettent en conformité avec les engagements environnementaux.
Au niveau de l’Union européenne, nous ne voulons plus importer des produits qui mettent en danger l’environnement sur le plan mondial. Ainsi, on ne peut plus importer des produits qui alimentent la déforestation, nous voulons que les produits respectent les droits des travailleurs et les droits humains. On prépare l’avenir.

Est-ce qu’avec la sortie de Maurice de la liste noire, toutes les agences financiиres europйennes ont repris leurs activitйs normalement ?
Il faut saluer cette sortie de cette liste qui est liée à celle établie par le gendarme international qu’est le GAFI. Nous avons suivi la position adoptée par cette dernière. Nous félicitons les autorités mauriciennes qui, en l’espace de 18 mois, ont réussi à corriger les déficiences qui étaient pointées du doigt et à se mettre en conformité avec les normes et les attentes internationales.
L’UE a été le partenaire principal de Maurice dans cette mise à niveau. Il y a eu des aspects légaux institutionnels et des méthodes qui devaient être améliorés et renforcés dans ce contexte. Nous pensons, entre autres, à la GRA pour les paris, les réglementations et les régulations pour la bijouterie, la profession d’avocat. Tout cela est positif.
Aujourd’hui, la situation est revenue à la normale. Il n’est plus nécessaire d’avoir de Due Diligence puisqu’on est rassuré sur le mécanisme interne. Il n’y a pas d’obstacle pour que le flux puisse reprendre. Il faut évidemment savoir qu’on est dans une situation dynamique, les choses changent et les attentes évoluent. Il faut que Maurice reste dans cette dynamique de progression et que la transparence, l’efficacité et l’effectivité continuent à s’améliorer à l’avenir.
Nous sommes prêts à continuer à travailler avec les autorités mauriciennes. Il est bon que le ministre des Services financiers, M. Seeruttun, ait fait le tour de l’Europe pour expliquer tout ce que Maurice a réalisé ces derniers mois et relancer le dynamisme avec les institutions financières européennes.

Croyez-vous que Maurice peut кtre une plateforme d’investissement pour l’Afrique ?
C’était le cas avant que Maurice ne soit placée sur la liste grise du GAFI, je ne vois aucune raison pourquoi il n’y aurait pas de nouvelles opportunités. Maurice a déjà des entreprises qui sont présentes sur le marché africain avec des investissements dans le sucre, le textile ou les services financiers et bancaires. Il y a un savoir-faire et un professionnalisme mauricien qui est reconnu. Je suis certain que les choses vont se développer rapidement et que les opérateurs mauriciens sauront se positionner dans cet environnement. Je pense, par exemple, à la cyber sécurité. L’UE avait un projet avec les autorités mauriciennes et avec d’autres pays africain et Maurice est ressortie comme le plus dynamique avec des efforts en termes de législations, etc.
Aujourd’hui, nous avons désigné Maurice comme un Hub en matière de cybersécurité qui peut servir de modèle pour les pays de région. On travaille aussi avec l’Economic Development Board (EDB) sur l’industrie du luxe qui se porte bien. C’est une niche qui peut être améliorée et renforcée. Nous aidons également l’EDB concernant une étude de faisabilité pour voir comme faire de Maurice un hub dans le domaine pharmaceutique. Ce sont autant de pistes qui devront être explorées.

Maurice et l’Union europйenne disposent d’une instance de dialogue politique qui se rйunit rйguliиrement. Quels sont les sujets que vous auriez souhaitй йvoquer en ce moment ?
C’est un dialogue franc et direct entre partenaires que nous avons annuellement. Il est très important entre partenaires de pouvoir mettre les problèmes sur la table et aussi se féliciter de ce qui fonctionne. On a balisé tous les secteurs et domaines de coopération que nous avons et, globalement, je dirais que les progrès sont constants.
Il y a des domaines où nous aimerions aller plus loin. C’est le cas du financement des partis politiques, entre autres. On fait régulièrement le point à l’occasion des dialogues politiques pour voir comment nous pouvons apporter une assistance ou un échange d’expérience et de savoir-faire dans les différents domaines concernés. La bonne gouvernance est aussi importante. Comment devrait-on progresser dans ce domaine et qu’est-ce qui doit être fait pour rendre les institutions plus performantes et efficaces ? C’est le souci que tout le monde devrait avoir dans un environnement compétitif et concurrentiel. Il ne faut pas s’endormir sur ses lauriers.
Il y a aussi la question des droits humains qui est une préoccupation à travers le monde. Notre souci est d’accompagner nos partenaires pour qu’ensemble nous allions vers plus de démocraties, plus de droits et d’égalité de chances en matière de genres, pour les personnes autrement capables… Nous avons ce dialogue avec Maurice qui nous permet d’aborder toutes ces questions et de voir où nous en sommes. Nous sommes très contents de l’adoption des lois sur les enfants. Nous savons qu’il y a d’autres lois qui arrivent sur la question du genre et de l’adoption. Il a aussi la question de la violence faite aux femmes qui est un problème que nous connaissons également en Europe. Le dialogue nous permet de savoir comment nous appréhendons ces problèmes et comment apporter des solutions à l’avenir.

La Journйe de l’Europe, qui sera cйlйbrйe ce lundi 9 mai, est consacrйe cette annйe а la jeunesse. Comment cela va se traduire dans le concret ?
La jeunesse est préoccupée par son avenir, par l’état de la planète, par l’état de la démocratie dans le monde, l’éducation et toutes ces questions existentielles. Ils sont parfois un peu inquiets par l’évolution de la situation. Nous avons besoin de dialoguer avec eux et connaître leurs attentes et leur aspiration. Ils ne se contentent pas d’être des leaders de demain et veulent être partie prenante des décisions d’aujourd’hui, estimant que demain peut-être trop tard. Nous voulons consulter la jeunesse en amont.
Au niveau européen, on a mis en place un forum de la jeunesse. À l’occasion du Sommet Union européenne – Union africaine, il y a eu tout un rassemblement de jeunes Bruxelles sur ces grands enjeux. Il y a eu une session durant laquelle ils ont pu interagir avec le président Macron.
À Maurice, on crée un forum de la jeunesse. On a fait un appel à candidatures. Nous avons des rencontres régulières avec des jeunes pour discuter de notre politique, du partenariat UE avec Maurice et des thèmes qui intéressent les jeunes. C’est un dialogue très riche et très interactif. Je dois vous dire que je rencontre des jeunes qui sont porteurs de messages importants en ce qui concerne l’engagement citoyen.

Lire également : Droit de réponse – L’ambassadeur russe à Maurice à son homologue de l’UE

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