Yannick Applasamy : « Un intérêt plus fort pour le Made in Moris depuis la pandémie »

L’invité de cette semaine, Yannick Applasamy, président de l’Association of Mauritian Manufacturers (AMM), constate un intérêt plus grand pour les produits Made in Maurice. Il reconnaît toutefois que la réalité socio-économique vient compliquer les décisions d’achat. « Depuis trois ans, il y a une vraie tension sur le pouvoir d’achat des Mauriciens. Les ménages sont en difficulté et nous subissons une inflation importante. Les achats se font, plus particulièrement et plus logiquement dans ce contexte, sur un critère de prix », affirme-t-il.

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Yannick Applasamy plaide pour la création d’un observatoire des achats, un outil fondamental pour comprendre les tendances et permettre de répondre plus précisément aux besoins du marché local. Tout en reconnaissant qu’on ne peut pas tout produire à Maurice, il se dit convaincu qu’il existe un grand potentiel dans l’agroalimentaire. Il annonce que ce samedi, l’équipe de Made in Moris animera une activation au Winners de Tribeca Mall.

La pandémie de Covid-19 a permis de mettre en lumière l’importance de la production locale. Est-ce cette volonté manifestée en faveur de la consommation des produits locaux se traduit dans la réalité maintenant que le Covid-19 est derrière nous ?
La pandémie a, sans aucun doute, rappelé aux Mauriciens l’importance d’avoir une production locale résiliente. Il ne faut pas oublier que les denrées alimentaires essentielles sont sorties de nos usines. Si la pandémie n’est plus une menace, nous en ressentons toujours les répercussions néfastes. Nos chaînes d’approvisionnement sont toujours perturbées. Des difficultés persistent pour l’achat de matières premières. Nous observons également une transformation de nos modes de consommation.

Oui, ces événements ont permis de braquer les projecteurs sur la production locale et le secteur manufacturier. Il y a un regard plus positif sur les produits locaux, mais nous avons encore un grand chantier devant nous. Nous devons d’abord renforcer notre capacité à mettre plus de produits locaux sur le marché. Ensuite, il faut accentuer la sensibilisation auprès du grand public afin que les consommateurs s’intéressent à ce qu’ils peuvent consommer localement avant de se tourner vers les rayons des produits importés.

Quelle est la part des produits locaux dans le panier de la ménagère ? Quels sont les produits qui peuvent être produits localement ?
Nous ne disposons pas de données significatives à ce sujet. Nos membres nous communiquent leurs chiffres, ce qui nous permet de faire des projections. Votre question confirme que nous avons raison de demander la création d’un observatoire des achats. C’est un outil fondamental pour comprendre les tendances et permettre de répondre plus précisément aux besoins du marché local. Nous restons lucides. Nous ne pourrons pas tout produire à Maurice. C’est avant tout une question d’accès à des intrants, des contraintes inhérentes à notre insularité et d’économie d’échelle.

Il est important de souligner, en revanche, que dans l’agroalimentaire, nous avons développé une réelle expertise industrielle dans la transformation, dans la conservation et l’emballage. Il faut nous poser les bonnes questions. Quelle est la base de notre future autosuffisance alimentaire ? Que peut-on produire en autonomie à Maurice pour parvenir à une autosuffisance nutritionnelle ? Je pense à la production de féculents, de protéines ou d’autres aliments qui pourraient se faire en totale intégration verticale. Ce sont des aliments pour lesquels nous disposons des matières premières et des méthodes de transformation dans nos usines.

Prenons, par exemple, la filière avicole Maurice. C’est une filière totalement verticalement intégrée. Nous pouvons parler de quasi-autosuffisance sur cette filière. Nous devrions identifier des aliments pour une production locale. Ce seraient des Quick Wins comme des légumes en conserve ou des produits laitiers, qui peuvent devenir de nouvelles filières locales. Cela nécessiterait une collaboration entre les éleveurs les agriculteurs et les industriels. D’où l’intérêt de notre association pour des projets avec la Chambre d’Agriculture ou le ministère de l’Agro-industrie. Il y a un réel potentiel économique à développer de nouvelles filières locales dans l’alimentation.

Quels sont les obstacles qui empêchent les consommateurs mauriciens à favoriser le Made in Moris ?
Je crois que la question ne peut pas se poser en ces termes. Nous relevons un intérêt plus grand pour les produits Made in Moris depuis la pandémie duCovid-19. Cependant, il y a une réalité socio-économique qui vient compliquer les décisions d’achat. Depuis trois ans, il y a de pressions énormes sur le pouvoir d’achat des Mauriciens. Les ménages sont en difficulté et nous subissons une inflation importante. Les achats se font, plus particulièrement et plus logiquement dans ce contexte, sur un critère de prix.
Les produits Made in Moris peuvent, cependant, se différencier par la qualité et la confiance. Les consommateurs y sont aussi sensibles. Il y a une conscience aussi de la qualité nutritionnelle et de l’importance d’une alimentaire saine. C’est ce qu’apporte le Made in Moris.

Est-ce que le fait que toutes les matières premières nécessaires pour la fabrication des produits locaux ne constitue pas un obstacle à l’idée de produire localement. Comment garantir que les consommateurs obtiennent Value for Money avec les produits manufacturés localement ?
Ce concept de Value for Money pour l’achat local va, à mon sens, bien au-delà d’une réflexion que l’AMM peut porter en tant qu’association. Nous nous assurons, cependant, que nos membres considèrent cette préoccupation des consommateurs. Plutôt que de parler de Value for Money, je pense à la valeur ajoutée que représentent l’industrie locale et les achats de produits Made in Moris.

Aujourd’hui, la valeur que rapporte l’achat local va bien au-delà d’un prix affiché sur les rayons. Il y a un réel impact positif de cette consommation locale sur notre société. Pensez à l’impact sur l’emploi local, sur l’engagement de ces industries dans la société et à l’effet multiplicateur de ces roupies que l’on dépense. Donc, la Value for Money ne représente pas une analyse pertinente aujourd’hui pour une réflexion sur l’achat local. Il faut penser plutôt à la valeur totale de la consommation locale dans notre économie.

Si on faisait un bilan des réalisations de l’AMM durant l’année écoulée…
Elles sont nombreuses et pertinentes pour la résilience de notre économie. Nous n’avons pas cessé de consolider notre plaidoyer pour une industrie responsable et innovante. Nous avons poursuivi notre programme Lindistri Dime pour la transformation du secteur manufacturier. Ce programme comprend trois parcours : l’éco-conception, la Sustainable Supply Chain et l’automatisation dans l’industrie. Le troisième parcours sur l’automatisation commence bientôt. La popularité du Made in Moris continue de se renforcer. Au total, pour l’année 2022, le Made in Moris a accueilli 22 entreprises qui représentent 52 marques. Nous présenterons bientôt les nouveaux adhérents de premier semestre de 2023. Le label a franchi deux étapes stratégiques en 2022 : le lancement de la Made in Moris Pledge, outil permettant de s’approvisionner auprès des entreprises labellisées et l’intégration de l’industrie des services. Nous retenons aussi la collaboration éminemment stratégique entre Made in Moris et la Tourism Authority sur le programme Sustainable Island Mauritius.

Sur un plan plus large, rappelons qu’en 2022, le secteur manufacturier mauricien a contribué à une valeur ajoutée de Rs 68 milliards, plus forte que les Rs 53 milliards de la période prépandémie. Cela signifie que le secteur manufacturier est à nouveau à son niveau prépandémie en moins de deux ans, et a largement dépassé les chiffres de 2019.

Est-ce que les producteurs locaux ont la possibilité de toucher les marchés étrangers, en particulier le marché régional et africain ?
Aujourd’hui, certains membres de l’AMM et de Made in Moris sont déjà présents sur le marché régional et africain. Soulignons les obstacles qui ne nous permettent pas de développer sereinement nos ambitions à l’export. L’obstacle le plus important reste la logistique pour la distribution dans le circuit ,local. Nous avons aussi une problématique : assurer un volume de production plus important. Nous parlons de marchés africains avec des millions de consommateurs. Nous devons aussi nous entourer de partenaires capables de faciliter un positionnement efficace de nos produits dans ces différents territoires.

Comment les producteurs locaux participent à la création d’emplois à Maurice ?
Historiquement, l’industrie locale a toujours représenté un moteur pour la création d’emplois à Maurice. Je pense aux industries sucrière, agroalimentaire ou textile. Ces industries ont toujours besoin de compétences et font souvent appel à une compétence locale.

Dans le domaine industriel, nous avons besoin d’une diversité de compétences. L’essor des industries émergentes entraîne la création de nouveaux postes. Il nous faut de nouveaux profils pour soutenir la création de nouvelles industries. L’automatisation dans l’industrie créera, certainement, des besoins d’informaticiens et d’ingénieurs. Nous rechercherons également des professionnels capables de travailler sur le financement de ces différents équipements et l’investissement dans l’industrie 4.0. C’est toute l’attractivité de l’industrie locale.

Quelles sont les facilités dont disposent les producteurs locaux pour promouvoir leurs produits à Maurice et à l’étranger ?
La promotion des produits locaux repose principalement sur un partenariat entre les industriels et la grande distribution. Aujourd’hui, les acteurs de la grande distribution s’engagent pour cette promotion. D’ailleurs, ce samedi, notre équipe de Made in Moris animera une activité au Winners de Tribeca Mall.

Nous organisons, chaque année, sept rendez-vous de ce type dans les différents supermarchés de l’île. Il y a encore du travail à faire pour optimiser cette relation avec la grande distribution. Notamment sur une meilleure compréhension des actes d’achat et des besoins des consommateurs. Les outils d’analyse du marché local nous font cruellement défaut. Chacun fait sa petite analyse de ces besoins, dans son coin. Le facteur temps est important si l’on souhaite mettre de nouveaux produits sur le marché local. Cela représente des investissements importants.

Ces projets de développement mériteraient un accompagnement de l’Etat – en termes de moyens industriels additionnels. Il faut reconnaître notre faiblesse en matière de recherche et développement. Pour valoriser la recherche et le développement, il ne peut pas compter uniquement sur les industriels. Les institutions de formation sont des partenaires potentiels. Ce sera un catalyseur pour le développement de produits répondant à un besoin plus précis du consommateur mauricien.

Quel rôle joue les AMM dans la production durable et l’économie circulaire ?
On n’y pense pas souvent mais produire localement et de façon responsable, c’est déjà s’inscrire dans l’économie circulaire. Une production locale et responsable permet de réduire une empreinte carbone, par exemple. Je rappelle que l’AMM a soutenu et participé au développement, en 2016, du Programme national d’efficacité énergétique. Je souligne, avec fierté, que le Made in Moris a intégré depuis plusieurs années les Objectifs de développement durable dans son cahier des charges. Ainsi, pour obtenir une labellisation au Made in Moris, un industriel doit montrer son engagement sur trois Objectifs de développement durable. La production durable est la base même de notre programme Lindistri Dime.

Le deuxième parcours de Lindistri Dime portait sur la Sustainable Supply Chain et la décarbonation des achats et des chaînes d’approvisionnement. Avec la Made in Moris Pledge, nous avons développé une méthodologie qui permet aux entreprises d’inclure plus de produits locaux dans leur circuit d’approvisionnement, par exemple. L’AMM et Made in Moris se posent comme des facilitateurs et des acteurs de cette transition d’une économie linéaire à une économie circulaire. Nous sommes particulièrement fiers de nos membres qui innovent dans la production responsable. Je pense, entre autres, à Sofap et sa politique de zéro déchets, à PIM Limited qui organise une importante conférence gratuite sur les enjeux autour des plastiques et à Cernol qui vient d’ouvrir une Refill Station. Les exemples d’industriels responsables et engagés dans l’économie circulaire ne manquent pas dans notre réseau.

À une semaine de la présentation du budget, quelles sont les mesures prioritaires que vous souhaiteriez voir ?
Dans son mémorandum budgétaire, l’AMM a présenté plusieurs propositions dont trois mesures fortes pour stimuler l’économie locale, la transition énergétique et la commande de l’achat public. Je crois fortement dans le projet d’une boutique dédiée aux produits labellisés dans l’espace Duty Free de l’aéroport SSR. Les touristes regagnent souvent leur pays avec leurs devises faute d’avoir trouvé des produits de qualité et authentiquement mauriciens. Ce serait un vrai Game Changer. La mise en place d’un observatoire de l’achat public est une priorité. L’État est l’un des plus gros acheteurs du pays. Une partie des problèmes liés à l’accès aux nouveaux marchés pour les entreprises locales serait ainsi réglée.

« Ces événements (dont la pandémie) ont permis de braquer les projecteurs sur la production locale et le secteur manufacturier. Il y a un regard plus positif sur les produits locaux, mais nous avons encore un grand chantier devant nous. Nous devons d’abord renforcer notre capacité à mettre plus de produits locaux sur le marché. Ensuite, il faut accentuer la sensibilisation auprès du grand public afin que les consommateurs s’intéressent à ce qu’ils peuvent consommer localement avant de se tourner vers les rayons des produits importés »

« Nous ne pourrons pas tout produire à Maurice. C’est avant tout une question d’accès aux intrants, des contraintes inhérentes à notre insularité et économie d’échelle. Il est important de souligner en revanche que, dans l’agroalimentaire, nous avons développé une réelle expertise industrielle dans la transformation, dans la conservation et l’emballage »

« La popularité du Made in Moris continue de se renforcer. Au total, pour 2022, le Made in Moris a accueilli 22 entreprises, qui représentent 52 marques. Nous présenterons bientôt les nouveaux adhérents de premier semestre de 2023. Le label a franchi deux étapes stratégiques l’an dernier : le lancement du Made in Moris Pledge, outil permettant de s’approvisionner auprès des entreprises labellisées, et l’intégration de l’industrie des services »

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