Dan maraye, ombudsperson for financial services : « Je ne dispose pas des moyens et des outils pour bien faire mon travail ! »

Notre invité de ce dimanche est l’Ombudsperson for Financial Services, Dan Maraye, qui vient de lancer son rapport annuel. Un rapport dans lequel il fait part de ses difficultés à fonctionner, à bien faire fonctionner son bureau, faute de moyens. Il a développé ce sujet dans l’interview qu’il nous a accordée vendredi matin.

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Quand je vous ai interviewé après votre nomination l’année dernière, vous aviez déclaré « si on ne me donne pas les outils nécessaires pour travailler, il vaut mieux fermer le bureau. » La première page de votre rapport de cette année semble indiquer qu’on ne vous a pas donné ces outils. Vos propositions pour votre budget, avez-vous écrit, ont été réduites de 49% et « the above changes to our estimates have been made unilateraly and without consultation with my Office. » Vous qualifiez également cette mesure de « unrealistic amputation ». Cette somme a-t-elle été amputée de vos propositions pour des raisons valables ?
— Personne ne m’a donné la moindre explication, personne ne m’a contacté pour discuter de mes propositions pour le budget que nous avons préparé. Au cours de ma carrière professionnelle dans diverses institutions, j’ai préparé au moins une cinquantaine de budgets, mais je n’ai jamais été confronté à un tel exercice d’amputation de propositions sans discussion.

Au niveau des recrutements, vous écrivez « not a single officer has been recruited for the Office since its inception in 2019. »
— C’est la stricte vérité. Ce bureau a absorbé un département de la Financial Service Commission et un autre de la Banque de Maurice, alors que ce sont les deux institutions qui perçoivent les licences d’opération de ces secteurs. Nous, notre budget vient du PMO. Vous trouverez dans le rapport le nombre de nouveaux postes dont nous avons besoin pour fonctionner efficacement. Nous avons envoyé nos propositions pour des recrutements au ministère des Finances, j’ai ensuite eu une réunion de travail avec l’équipe du Pay Research Bureau et on attend que le Public Service Commission fasse des appels de candidatures pour les postes. Mais malheureusement, je crains qu’avec les salaires proposés par le PRB, nous n’arrivons pas à attirer des candidats avec les compétences dont nous avons besoin.

Peut-on dire qu’il existe au niveau du Service civil il existe une bureaucratie qui empêche les institutions de fonctionner, dans la mesure où votre demande pour de nouveaux employés date de 2021 ?
— C’est malheureusement ainsi que fonctionne le système qu’il faut absolument moderniser, libérer pour que les institutions puissent fonctionner efficacement. Aussi longtemps qu’à partir du budget et d’en haut, on essaye de micromanage les institutions, l’efficacité n’est pas possible.

Le contenu de ce rapport a-t-il été envoyé aux autorités compétentes, celles qui décident de l’allocation des budgets ?
— Il a été envoyé à toutes les autorités concernées, mais depuis, je n’ai rien entendu et je n’ai eu aucune réaction. Over and above le rapport, il y a eu beaucoup de correspondances échangées avec les institutions concernées sur les sujets que nous abordons dans cette interview.

Ne regrettez-vous pas d’être entré dans ce, je ne vais dire piège, mais cet engrenage administratif qui vous empêche de travailler ?
— Je ne regrette pas puisque, c’est moi qui avais proposé, il y a 25 ans, la création du poste ombudsperson for Financial Services, dont je connais l’importance dans une démocratie. Cependant, je regrette les conditions dans lesquelles ce bureau est obligé de fonctionner. Ce bureau est indépendant et nous travaillons avec ce que nous avons. Malgré les contraintes évoquées, nous avons pu résoudre plus de 700 cas sur les plus de 1 000 plaintes reçues concernant le secteur bancaire et les assurances.

Vous manquez de personnel, votre budget a été amputé et vous demandez que deux autres secteurs soient sous votre responsabilité : la Banque de Développement et les sociétés coopératives…
— Nous avons reçu des plaintes des clients de la Banque de Développement et des coopératives. La Banque de Développement n’est pas une banque comme les autres régulées par la Banque centrale et les coopératives n’ont pas d’institution indépendante, c’est pourquoi j’ai fait cette demande.

Comment votre bureau fonctionne-t-il quand il reçoit une plainte contre une assurance ou une banque ?
— Quand nous recevons une lettre d’un plaignant, nous lui écrivons pour lui expliquer les procédures à suivre et les documents à produire pour enregistrer sa plainte. Une fois la plainte reçue une enquête est ouverte et un dossier constitué avec les versions des deux parties, des documents, l’analyse des faits. Ensuite, mon équipe rencontre les deux parties et propose une médiation. Si ce n’est pas possible, nous prenons alors une décision qui est finale et que l’on peut, en cas de désaccord, contester en Cour suprême.

On écrit au plaignant, avez-vous dit ?! Votre bureau n’a pas de site web où les procédures pour loger une plainte sont expliquées et où l’on peut télécharger le formulaire nécessaire ?
— Je regrette d’avoir à vous répondre par la négative. Cela fait une année que nous avons initié les démarches pour ouvrir un site web. Tout a été fait pour que, techniquement, le site web soit créé et lancé. Nous avons espéré que le site serait opérationnel pour le lancement du rapport annuel, qui aurait été mis en ligne avec les informations nécessaires. Mais une fois de plus, il nous a fallu passer par les instances et suivre les procédures gouvernementales, et comme je vous l’ai déjà dit, elles prennent du temps.

C’est le moins que l’on puisse dire ! Dans un pays qui se targue d’être une cyber island, les procédures pour lancer un site web prennent plus d’une année !
— C’est pourquoi je dis qu’il faut libérer certaines institutions d’une bureaucratie pesante, dépassée. Je reviens aux plaintes reçues. 70% d’entre elles concernent le secteur des assurances. Il y a de la mauvaise foi de la part de certains clients, aussi bien que de certaines compagnies d’assurances. Il arrive que les assureurs ne détaillent pas bien leurs offres, tout comme il existe des assurés qui ne lisent pas leurs contrats, ce qui les pousse parfois à les mal interpréter. Je dois dire que nous recevons aussi des plaintes frivoles…

C’est-à-dire ?
— Je vous donne un exemple. Vous faites un accident et les réparations de votre voiture sont de Rs 5 000 et vous réclamez Rs 50 000 à l’assurance ! En parlant d’accidents, il faut souligner l’existence d’un problème dans ce secteur. Un des grands problèmes que l’on a dans le secteur des assurances, ce sont les surveyors, les experts en constat d’accidents qui viennent faire l’évaluation des dégâts et des réparations. Ce n’est pas une profession réglementée et pratiquement n’importe qui peut se déclarer expert. Et comme les services de l’expert sont payés par l’assureur, certains clients se plaignent qu’il ait tendance à protéger les intérêts de son employeur. C’est un problème sur lequel il faut se pencher.

Quelles sont les principales plaintes contre les banques ?
— Pour les banques, on se plaint surtout du montant des frais bancaires pour les opérations, de la différence entre le prix à l’achat et la vente des devises étrangères, qui affecte beaucoup de personnes. En particulier les parents mauriciens qui doivent envoyer de l’argent à leurs enfants qui étudient ont l’étranger.

Les lois sont-elles adaptées aux nouveaux produits des banques et des assurances utilisant les technologies nouvelles ?
— En partie oui, mais il y a encore beaucoup à faire. Je refuse d’entrer dans le système administratif bureaucratique lourd qui ralentit tout. Je veux que ce bureau soit le plus performant possible. Mais je suis obligé de suivre les procédures en cours tout en essayant de faire bouger les choses.

Avec ce manque de moyens, vous ne vous sentez pas impuissant, inutile ?
— Certainement pas. Malgré nos moyens limités, nous sommes utiles et abattons un gros travail pour les clients des services bancaires et des assurances

Vu du bureau de l’Ombudsperson for Finances Services, qu’elle est la situation économique du pays ?
— D’après les derniers rapports de la Banque mondiale, le monde va vers une récession. Le pays, le monde passe par des moments très difficiles avec une inflation à deux chiffres qui touche tous les Mauriciens et plus particulièrement les personnes au bas de l’échelle. J’espère que j’ai tort, mais selon les indications, 2023 sera plus difficile encore que l’année qui s’écoule avec la dévaluation de la roupie dans un pays où pratiquement tout est importé. Le côté positif que les résultats de l’industrie touristique sont encourageants et devraient encourager le Mauricien à travailler plus dur.

Il faut encourager les Mauriciens à travailler plus dur ou à moins consommer, à économiser ?
— Il faut surtout encourager les Mauriciens à ne pas vivre au-dessus de leurs moyens. Il faut qu’on arrête de céder à la facilité d’acheter des produits qu’on ne payera que trois ou six mois après qui ne fait qu’augmenter la dette des ménages, qui est déjà bien lourde.

On parle de plus en plus de l’obligation de faire appel à de la main-d’œuvre importée pour plusieurs secteurs. Votre avis ?
— Je suis en faveur de l’importation de la main-d’œuvre dans la mesure où nous devons faire marcher les secteurs où les Mauriciens refusent de travailler pour diverses raisons. La main-d’oeuvre importée fait aujourd’hui partie du système économique — allez à Singapour, à Dubaï et même en Europe, et voyez à quel point ces pays font appel à des travailleurs étrangers. C’est une donne économique et sociale avec laquelle il faut vivre. En se gardant toutefois d’exploiter les travailleurs étrangers et en les traitant comme il le faut, d’après la loi.

Revenons à votre rapport. Les réactions à votre conférence de presse pour présenter votre deuxième rapport annuel sont intéressantes. Chez nos confrères, on peut lire que « L’Ombudsperson brandit la menace de claquer la porte » ou « la décision de Dan Maraye de s’en remettre à l’opinion publique donne l’impression qu’il est arrivé au bout du rouleau et que si rien n’est fait pour remédier à la situation, il ne lui restera qu’une solution, même s’il n’a pas utilisé le terme : s’en aller. » Est-ce que ce rapport est une menace, un ultimatum pour que les choses changent et que l’on vous donne enfin les outils nécessaires ?
— Ce n’est ni une menace ni un ultimatum. Je pense que toute institution financée des deniers publics devrait publier le rapport annuel de ses activités, expliquer ce qu’elle a fait, ce qu’elle n’a pas fait et pourquoi, quelles sont ses contraintes et se propositions pour l’avenir. C’est ça un rapport annuel et c’est ce que j’ai fait. Je veux communiquer les résultats de mon travail avec la population à travers les médias. Il faut vivre dans la transparence, surtout quand on utilise les deniers publics.

Mais on peut aussi penser que vous adressez un message public aux décideurs pour leur dire : donnez-moi plus de moyens pour travailler…
— Je crois dans l’intégrité, la transparence et l’indépendance qui permettent la bonne gouvernance et mènent à la confiance dans le système. C’est dans cette optique que ce rapport a été écrit et rendu public. J’ai le devoir de le faire, et d’ailleurs, c’est prévu dans la loi, que je respecte à la lettre. Maintenant, c’est au ministère des Services financiers de déposer ce rapport au Parlement.

Pourquoi voulez-vous que votre rapport annuel soit déposé au Parlement et soumis à un comité parlementaire ?
— Toujours dans le souci de transparence dont nous avons parlé. Les parlementaires — aussi bien ceux de la majorité gouvernementale que de l’opposition — qui ont pour tâche de veiller aux dépenses de l’État, pourront le faire en posant des questions sur le contenu du rapport, comme vous êtes en train de le faire, pour le bénéfice du public. Il faut aussi souligner que je n’ai rien à cacher et que je peux justifier la moindre des décisions prises par mon bureau.

Mais force est de constater que vos demandes, formulées depuis plus an, ne sont pas satisfaites. Cela ne vous décourage-t-il pas ?
— C’est difficile de me décourager. Il me manque des outils pour fonctionner. Je parle dans l’intérêt du pays, dans celui des consommateurs des services financiers.

Le ministre des Services financiers et de la Bonne Gouvernance a réagi à vos déclarations faites pendant la conférence de presse. Dans les colonnes de l’Express, il a dit « il a voulu changer de bureau et a voulu chercher un nouveau local par lui-même, sans l’aide du ministère. Il ne peut pas mettre ça sur le dos des autres »…
— Le ministre est mal renseigné. Depuis que j’ai été nommé, le ministère des Services financiers et de la Bonne Gouvernance, son ministère, m’a fait savoir qu’il avait besoin de l’espace de mon bureau pour ses propres besoins. Il m’a écrit officiellement le 28 janvier 2022 et j’ai tout fait pour déménager, mais il fallait suivre des étapes administratives à respecter, ce qui prend du temps. Nous avons trouvé un local et sommes dans l’attente que les formalités soient complétées. Ça prend du temps.

Et comment interprétez-vous la fin de sa déclaration qui se lit ainsi : « Les gens doivent deliver au lieu de passer leur temps à voir ce qu’ils peuvent avoir de plus. » ? Si on veut être cynique, on pourrait penser que le message envoyé par le ministre est « si ou pa kontan, lev pake ale »…
— Je ne veux pas interpréter la phrase citée comme vous le faites. Je préfère croire que, dans ce cas, les mots ont dépassé la pensée du ministre. Mais si celui qui m’a nommé, le président, sur la recommandation du Premier ministre, après consultation avec le leader de l’opposition, me demande de partir, cela ne me posera aucun problème.

Dans un système démocratique qui fonctionne bien, cet échange à travers la presse entre vous et le ministre n’aurait-il pas dû se passer dans le cadre d’une discussion, autour d’une tasse de thé ? D’autant que les bureaux du ministre et le vôtre sont situés dans le même immeuble ! Il semble qu’il existe des moyens de communication et de discussion beaucoup plus faciles et directes !
— Je vous laisse le soin de faire vos déductions. Mais je tiens à dire que même s’il y avait eu une discussion autour d’une tasse de thé, j’aurais publié mon rapport, avec le même contenu, comme c’est prévu dans la loi.

Revenons au secteur bancaire pour une question que l’on nous a demandé de vous poser. Que pensez-vous des bad debts de plusieurs milliards que certaines banques effacent un peu facilement, alors que les biens des petits clients sont saisis et vendus à la barre ?
— Quand j’étais gouverneur de la Banque centrale, j’avais déclaré qu’on ne peut pas se cacher derrière le secret bancaire. Je suis d’avis que toutes les banques doivent publier le détail des bad debts qu’ils effacent après approbation de leur comité de direction. Les actionnaires et les clients de la banque comme le grand public devraient être informés de cela. Les membres des conseils d’administration de toutes les banques — et leurs auditeurs — devraient être plus méticuleux avant de rayer les mauvaises dettes. Que l’on détourne Rs 5 ou Rs 100 millions, c’est un détournement qui se fait au détriment la banque, de ses actionnaires et de ses clients. Cela étant dit, je tiens à faire ressortir que mon bureau ne peut pas intervenir dans le cas que vous citez, puisque les banques sont sous le contrôle de la Banque de Maurice.

Parlons d’un autre rapport qui défraye l’actualité. Quel est votre sentiment sur la polémique qui entoure le rapport des travaux de la commission judiciaire sur l’affaire Kistnen ?
— J’ai toujours dit que je crois profondément dans la transparence, donc, soyons transparents. C’est le socle de la confiance du public dans les institutions.

Je vous repose maintenant une question déjà posée l’année dernière : quelle est votre opinion sur les crises sur les questions d’ego qui divisent les partis d’opposition politiques à Maurice ?
— Permettez-moi de vous donner la même réponse que l’année dernière : ceux qui occupent des postes de responsabilité et ceux qui veulent être un jour au gouvernement doivent se comporter de manière responsable. Ils doivent réfléchir et être sérieux dans leur démarche.

Ne regrettez-vous pas de ne plus pouvoir faire comme autrefois : participer au débat public, aller dans les émissions de radio pour donner votre opinion sur les sujets d’actualité ?
— Mais je continue à faire de même en respectant le devoir de réserve à cause de la fonction que j’occupe. Le fait d’avoir un devoir de réserve ne me rend pas muet. Si j’avais changé, je ne serais pas en train de répondre à vos questions de manière transparente, comme je l’ai toujours fait.

Que souhaitez-vous dire pour conclure cette interview ?
— Que je ne suis pas au bout du rouleau et que je ne menace pas de claquer la porter comme certains ont pu l’interpréter lors de la conférence de presse pour lancer le rapport. Je fais mon travail comme il le faut, avec les contraintes dont nous avons parlé. Pour en revenir au rapport annuel, j’ai résumé l’état de la situation de mon bureau pour l’année écoulée. J’ai le devoir de le présenter au public puisque c’est l’argent du public qui finance ce bureau. J’ai des comptes à rendre et je le fais. Et finalement, j’espère, je souhaite que le site web du bureau soit opérationnel avant la fin de l’année, ce qui nous permettra d’être plus performants et d’augmenter le nombre de cas que nous pouvons traiter.
Permettez-moi d’ajouter à votre souhait celui de l’augmentation du budget et le recrutement de nouveaux employés…

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