Dangereux raccourci

La décision arrêtée, mardi,  par la Cour suprême de renvoyer de nouveau Navin Ramgoolam devant la Cour intermédiaire pour faire face à un procès dans l’affaire des Rs 220 millions découvertes dans un coffre fort en février 2015 a suscité quelques réactions assez virulentes contre le Directeur des Poursuites Publiques désigné comme celui qui serait l’obstacle aux ambitions du leader du PTr de retrouver son poste de Premier ministre.
Il s’agit d’un dangereux raccourci. Il y a la personne du DPP incarnée jusqu’ici par Satyajit Boolell, qui se trouve être le frère d’un dirigeant du PTr qui peut avoir des aspirations légitimes de diriger le pays, mais il y a surtout le bureau du DPP qui est une institution qui travaille de manière collégiale pour que les cas qui leur sont confiés soient traduits en justice, qu’ils aboutissent. Le cas échéant, ils peuvent toujours interjeter appel. Ce qu’ils font.
C’est ce qui s’est passé dans plusieurs cas célèbres, et celui qui les a presque tous portés et défendus avec sérieux, constance et détermination se nomme Rashid Ahmine. Boskalis c’était lui ; Medpoint, c’était lui, et les coffres de Navin Ramgoolam aussi, c’est lui. On peut difficilement imputer des intentions intéressées, malsaines ou partisanes à ce juriste qui est respecté par ses pairs tant à Maurice qu’à l’étranger.
Le DPP adjoint, qui cultive la discrétion, est connu pour sa persévérance. Il ne lâche pas les affaires facilement. On se souviendra comment, au début des années 2000, il avait pratiquement été lynché, lui, de même que sa collègue Carol Green-Jokhoo par des partisans du Hizbullah. Ils représentaient la poursuite dans un procès contre Cehl Meeah.
De guerre lasse, parfois, déçu des arrêtés des tribunaux souvent, le bureau du DPP est tenté d’abandonner, même s’il n’est pas satisfait d’un jugement. Dans l’affaire Boskalis, ce sont les anciens président et directeur de la Mauritius Ports Authority, Siddick Chady et Prakash Maunthrooa qui étaient incriminés et accusés d’avoir pris des pots-de-vin de la firme néerlandaise pour l’obtention du contrat des travaux de dragage dans le port.
Rashid Ahmine, qui représentait la poursuite dans cette affaire, avait dû faire face à mille et une astuces de la partie adverse pour faire dérailler le procès. Il faut aussi s’armer de patience face à la défaillance suspecte des connexions internet de Mauritius Telecom lors des témoignages par visioconférence des directeurs de Boskalis, mais il avait fini par obtenir, le 21 novembre 2019, la condamnation des deux anciens compères du port à neuf mois de prison.
Ils ont fait appel de la décision de la magistrate qui les avait condamnés et, dans un arrêté daté du 19 novembre 2021, qui a, d’ailleurs, rendu plus d’un perplexes, Prakash Maunthrooa, représenté alors par Me Antoine Domingue, avait été mis hors de cause, tandis que Siddick Chady avait vu sa peine d’emprisonnement passer de neuf mois à 15 mois.
Dans l’affaire Medpoint, Pravind Jugnauth avait, en première instance, été condamné à 12 mois de prison convertis ensuite en travaux communautaires. En appel devant la Cour suprême, le leader du MSM avait obtenu gain de cause, les juges interprétant la notion de conflit d’intérêts différemment de la Cour inférieure.
Les discussions ont été vives au bureau du DPP quant aux suites à donner à cette affaire. Ce ne fut pas une décision facile à prendre en raison des coûts que cela implique mais c’est la ligne combative qui l’avait emportée et la décision de faire appel devant le comité du Conseil privé fut entérinée après d’âpres débats en interne.
Et l’issue, on la connaît, l’ICAC changeant de robe pour se parer de celle de la défense, le Conseil privé avait fini par confirmer la décision de la Cour suprême. C’est pourquoi il ne faut pas voir plus que ce que le contenu d’un dossier suggère et exige pour faire valoir le droit et que la procédure judiciaire permet.
Pas de raccourci, cette fois. Bien au contraire, puisqu’il s’agit du prolongement de piste d’atterrissage et de tramway. Pour des raisons qui n’ont pas été clairement expliquées jusqu’à l’heure, l’Agence Française de Développement a décidé de se retirer comme bailleur de fonds du projet d’agrandissement de la piste d’atterrissage de l’aéroport de Plaine Corail, qui accuse déjà un retard considérable et qui est indispensable pour accueillir de gros porteurs, appronfondir les échanges inter-îles et booster le développement du tourisme de Rodrigues.
Cette situation apparaît soudain comme très paradoxale. En terme de priorités. Alors qu’à Agaléga on construit, à Rs 8 milliards désormais, une piste qui ne correspond pas du tout aux attentes de cet îlot de 300 habitants, le gouvernement est en train de faire comme si les Rs 4 milliards requis pour faire aboutir ce projet annoncé en grandes pompes par Pravind Jugnauth, il y a plus de trois ans, étaient difficiles à trouver.
Si l’Inde n’accepte pas de ramener le bétonnage d’Agaléga à des proportions à taille humaine que l’île requiert et que le financement ainsi économisé soit ré-alloué à la piste de Rodrigues, pourquoi ne pas négocier une réallocation des fonds dévolus à l’extravagant projet d’extension du métro de Réduit à Côte d’Or ?
Celui de Rose-Hill à Réduit, à Rs 4,5 milliards, coûte déjà plus que le prolongement de la piste d’atterrissage de Plaine Corail et maintenant, les Rs 13,5 milliards de l’extension Réduit/Côte d’Or, est-ce bien raisonnable ? N’y a-t-il pas plus urgent?
Le problème d’eau tant à Maurice qu’à Rodrigues ainsi que l’amélioration de la desserte de notre voisine de cœur n’auraient-ils pas dû figurer sur la liste des projets urgents à réaliser? Ce sont là des questions tout à fait légitimes que le contribuable se pose.
La réponse du Premier ministre et de son gouvernement relève presque d’un délire impérial, celui de transformer une région de la 8e circonscription en nouvelle capitale de la République. Quoi qu’il en coûte aux générations futures. C’est franchement inacceptable !

- Publicité -
EN CONTINU

l'édition du jour

- Publicité -