Exportation des macaques — Arvin Boolell : « Je ne comprends pas pourquoi le GM reste insensible et indifférent à ce problème »

— « Le secteur est mercantilisé »

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— « Une politique de phasing out doit être envisagée »

— « Un juge sera nommé »

— « Ce ne sera pas business as usual ni business for ever »

Préoccupé d’une part par l’augmentation significative du nombre de macaques exportés chaque année à des fins de recherches scientifiques et du secteur qui, dit-il, est mercantilisé et, d’autre part, par l’image de Maurice davantage assombrie surtout suite à la diffusion récente de l’émission Envoyé Spécial consacrée à l’élevage controversé de singes de laboratoire, Arvin Boolell, qui a toujours eu des positions plutôt favorables pour la cause animale, s’interroge sur l’attitude du gouvernement. Dans cet entretien qu’il a accepté d’accorder à Week-End sur ce sujet d’actualité locale et internationale, le chef de file du groupe parlementaire travailliste affirme que davantage de volonté politique, mais également de contrôle, sont nécessaires. Pour celui qui soutient la recherche éthique, pousser le dossier, apporter des amendements à la loi et avoir une politique de phasing out est le seul moyen d’obtenir de réelles avancées pour les macaques.

L’exportation des singes représente un business très lucratif à Maurice. Il génère chaque année des profits considérables aux différentes compagnies d’élevage (environ Rs 2 milliards). En revanche, le gouvernement ne bénéficierait que de 75 dollars par tête, soit environ Rs 3 400…

Il y a une chose qu’il faut bien comprendre : l’État a le droit de légiférer. Toutefois, il ne devrait pas encourager l’exportation de singes. Il est important d’apporter des amendements à la loi pour qu’il y ait un contrôle rigoureux avec pour objectif principal de vérifier s’il y a d’autres alternatives. Le gouvernement a la responsabilité de voir de près quels sont les manques à gagner. Est-ce que le proceeds from the sale peut donner de meilleurs revenus à l’État ? Mais ce n’est pas cela la question finale. L’étape finale, c’est de s’asseoir avec toutes les parties concernées et d’envoyer des signaux non contradictoires afin de les éclairer sur le fait qu’ils ne doivent pas brûler les étapes et qu’éventuellement il y aura une politique de phasing out qui va se faire au fil des années.

Il y a quelques années, Maurice exportait environ 5 000 singes par an. Le nombre a doublé en 2021…

Cela va à l’encontre de la politique prônée par le gouvernement. On se rappelle encore de ceux qui avaient été nommés à la tête d’une institution, responsables de la maltraitance des animaux à Vallée-des-Prêtres. Il n’y a jamais eu de campagne de Catch-Neuter-Release (CNR) ni de campagnes de sensibilisation. Aujourd’hui, le nombre de chiens errants a augmenté. Il nous faut une prevention of cruelty to animals, une politique de welfare. Il n’y aucune raison d’augmenter l’exportation de singes. Nous connaissons les conditions dans lesquelles ces animaux sont capturés et cela va à l’encontre des provisions de l’Animal Welfare Act. Cette activité ne devrait pas être réalisée dans un but lucratif, mais dans un contexte de recherche. C’est là qu’il faut revoir les rules and regulations. Il nous faut une Animal Welfare Act appropriée et qui est long overdue. La raison pour l’exportation croissante de singes ne tient pas la route. Je ne comprends pas pourquoi le gouvernement reste insensible et indifférent à ce problème. Le problème, c’est la réputation de Maurice qui est en jeu.

Pouvez-vous expliquer pourquoi le quota de 8 000 singes a été supprimé en 2017 ?

Il n’y a pas de quota. L’exportation de singes était limitée à ceux élevés en captivité. Après 2015, les singes capturés dans la nature étaient considérés comme des nuisances. Ils sont exempts de tuberculose ou de toute maladie transmissible, et reçoivent une autorisation médicale des vétérinaires pour les exportations. C’est inacceptable. Le ministère doit s’expliquer. Sur une base annuelle, 1 000 singes sont capturés dans la nature et le nombre moyen exporté peut atteindre 5 000 (chiffres officiels). Le proceeds from the sale doit être réévalué pour s’assurer que l’État ait sa juste part.

Quelles sont les autorités compétentes pouvant exercer un contrôle sur le business des singes ? Sachant que le National Parks and Conservation Service (NPCS) dépend lui-même de la Scientific Authority…

Les agents du NPCS sont diligents et souscrivent aux dispositions de la loi sur les maladies animales ainsi que de la loi sur le bien-être animal. Le NPCS agit à titre d’organisme de réglementation en matière de suivi, de capture et de bien-être des animaux à la ferme. Les agents travaillent en étroite collaboration avec le département d’Animal Welfare et les services vétérinaires du ministère de l’Agro-Industrie. Le récent cas de cruauté envers les singes par Jhummun à Jin Fei est un rappel d’un cas qui doit être kept alive ! L’enquête est-elle toujours en cours ? Ou alors le présumé coupable se promène-t-il dans les couloirs du ministère ?

Au vu des nombreux commentaires négatifs suite à la diffusion de l’émission Envoyé Spécial sur France 2 (il y a un mois) consacrée à l’élevage controversé des singes de laboratoire, cette activité semble nuire à l’image touristique de Maurice…

Bérenger va vous dire que lorsqu’il était Premier ministre, il y avait des manifestations devant l’ambassade à Bruxelles par ceux qui sont contre l’exportation des animaux. Il ne faut pas oublier qu’à un certain moment, on devait affréter des avions spécialisés et les avions des compagnies nationales ont cessé l’exportation, British Airways, Air France, etc. Je me souviens qu’il fallait donner des permis spéciaux à des avions affrétés pour l’exportation de ces singes. C’est vrai qu’Air France a décidé de mettre un terme à l’exportation des primates, mais il faut souligner que le transport se fait avec la participation des compagnies qui affrètent des avions avec des subsidiaires d’Air France. Au-delà d’être un pays qui met l’accent sur le tourisme, nous sommes un pays du secteur des services. On a toujours parlé de Maurice avec beaucoup de distinction, mais notre réputation a malheureusement subi un sale coup, que ce soit sur le plan politique ou économique. Il y a une certaine intolérance avec cette augmentation de singes. Cette phrase « Paradis des touristes et l’enfer des animaux » a été pegged va à l’encontre de notre secteur des services. L’industrie du tourisme est le secteur le plus distingué des secteurs des services, mais il faut savoir réinventer ce secteur, le protéger et envoyer des signaux positifs et non pas contradictoires. Il y a des touristes qui ont adopté des chiens errants à Maurice. Ils ont beaucoup promu et sensibilisé les gens sur des raisons valables pour une animal welfare culture, mais il y a le untold story qui fait du tort au pays. Il y a des leçons à tirer. Il faut comprendre que notre pays est fragile. Il ne faut pas fragiliser davantage un secteur qui dépend beaucoup de l’investissement de l’étranger, des arrivées touristiques. L’île Maurice ne doit pas perdre sa réputation de destination de rêve.

Suite à la décision d’Air France de mettre un terme au transport des primates le mois dernier, certaines firmes d’élevage ont décidé d’effectuer elles-mêmes des essais précliniques à Maurice…

On parle aujourd’hui de human cells. Vous avez vu qu’avec l’intelligence artificielle, on peut constituer un corps, des organes avec des cellules spécifiques de ces organes pour que des recherches puissent se faire dans des conditions très scientifiques, très appropriées, et j’espère que dans les années à venir, on va en finir avec l’exportation des singes et l’utilisation de ces animaux à des fins de recherche.

Effectivement, de nombreux laboratoires n’ont plus recours à l’expérimentation animale…

Les singes et les porcs sont idéaux pour la recherche en raison de leur proximité biologique avec les humains (en particulier les porcs). Je suis d’accord, mais un groupe de travail doit être mis en place par le ministère de l’Agro-Industrie et la Research and Development (R&D) & Innovation ainsi que les institutions tertiaires comme la University of Mauritius (UoM) afin d’étudier les alternatives. Maurice devrait être le lieu d’une conférence mondiale sur le bien-être des animaux et la pertinence pour notre écosystème. L’interdiction d’exporter devrait figurer en bonne place et notre jugement devrait être cliniquement objectif, je dis non à ceux qui sont dogmatiques. Nous luttons pour une juste cause, pour le bien-être de tous les organismes vivants.

Des cas de tuberculose ont été détectés il y a quelques semaines aux États-Unis. Les singes infectés étaient en provenance de Maurice. Début mai, 200 singes se trouvant sur l’un des sites d’élevage à Bel Ombre, ont été euthanasiés. Ces derniers avaient également contracté la tuberculose…

Dès que le premier cas a été détecté, il aurait fallu avoir recours à un système de dépistage. Il y a un protocole qui est triggered. Au-delà de ces institutions étatiques, les vétérinaires ont failli à leur tâche ainsi que ceux qui gèrent des firmes. Parce qu’au-delà de la tuberculose qui est transmise de l’animal à l’homme, il y a aussi le problème d’hépatite et de Brucellosis, ainsi que d’autres maladies qui peuvent être fatales, surtout les maladies virales. Ils auraient dû prendre toutes les précautions nécessaires parce que cela peut remettre en cause (si on peut appeler ça une industrie), l’exportation de nos singes vers ces pays. Au lieu de répondre aux normes sanitaires, on a mercantilisé le secteur et on a négligé tous les aspects biosafety. Là où le bât blesse, c’est qu’il y a un manque de rigueur de la part des cadres qui opèrent au sein de ces fermes et aussi du ministère, parce qu’il aurait dû y avoir des alarmes sanitaires et des engagements au niveau national, et bloquer l’exportation. Aujourd’hui, on est en train de subir ces lacunes.

Pensez-vous que ces compagnies soient préparées en cas de contamination massive ?

Les maladies transmissibles sont courantes et l’agent pathogène responsable de la tuberculose peut rester dormant et devenir actif après mutation. C’est vrai pour tout agent pathogène viral, bactérien ou fongique. Les vétérinaires de la ferme doivent envoyer des échantillons à des laboratoires réputés pour effectuer des tests. Les tests non disponibles doivent être envoyés à l’étranger. J’ai souligné dans mon intervention sur le Finance Bill qu’un processus de phasing out doit être envisagé, et avec des percées scientifiques constantes ainsi que l’avènement de l’AI dans la lignée cellulaire humaine, nous devons revoir la politique, mais des changements doivent être apportés et des décisions prises sur la base de preuves et processus évolutif.

Le macaque à longue queue est une espèce déjà en voie d’extinction au Bangladesh. Le Sri Lanka, lui-même un pays pauvre, a récemment refusé d’exporter les singes vers la Chine…

Il y a une dimension religieuse aussi. Je parle du Bangladesh, mais aussi du Sri Lanka, de l’Inde. Je n’aurais pas aimé réveiller une conscience religieuse mais c’est une réalité. Il y a des gens de foi hindoue qui vénèrent ce qui est une représentation de leur Dieu, la raison pour laquelle à Grand-Bassin il y a ce seuil de tolérance. Il faut qu’il y ait une décision ferme du gouvernement avec une feuille de route bien établie, parce qu’avec les breakthrough au niveau de la science et de la technologie, le gouvernement doit faire comprendre à nos exportateurs que ce business ne va pas durer, qu’il ne va pas être business as usual et business for ever. Je comprends ce que le Bangladesh a fait. Ceux qui ont fait de nombreux profits avec ces exportations malheureuses doivent savoir que ce business ne sera pas éternel.

Le PTr envisage-t-il d’inclure des propositions concrètes dans son manifeste concernant l’animal welfare, compte tenu de la situation à Maurice ?

Le parti travailliste proposera la mise en place d’un comité restreint qui sera présidé par un juge avec un large mandat pour examiner la capture, l’élevage, le bien-être, l’exportation vers un laboratoire scientifique crédible pour la recherche à des fins scientifiques, médicales et pharmaceutiques.

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