L’argent ne fait pas le bonheur

Vieux proverbe attribué à Pierre Choderlos de Laclos qui résonne une nouvelle fois à la lecture du dernier rapport sur l’indice du bonheur 2024. S’il est vrai qu’il faut prendre les rapports avec une certaine prudence, il n’est pas superflu d’en tirer quelques enseignements pouvant nous permettre de relativiser et de réorienter nos politiques de démocratie, de méritocratie et de justice sociale. Tout repenser, c’est peut-être le moment, en cette année électorale.

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Que dit ce rapport conjoint des Nations Unies, de l’université d’Oxford et de l’institut Gallup publié le 20 mars dernier ? Que Maurice a, en une année, dégringolé de la 52e à la 70e place et que cette descente dans le tableau est constante depuis 2019, mais qu’elle est particulièrement spectaculaire sur les deux dernières années.

Pour ceux qui scrutent la société mauricienne, cela n’a rien de surprenant puisque les observations du rapport rejoignent ce qu’ici nous constatons depuis un moment déjà. Les seuls qui laissent transparaître un peu de bonheur sont les personnes âgées qui vivent dans l’illusion d’une amélioration financière avec les hausses de leur pension universelle de retraite et qui tirent une satisfaction d’avoir connu ce qu’elles considèrent comme le golden age dans lequel elles ont vécu.

La technologie a aussi amélioré la perception du bonheur des personnes âgées. Du téléphone fixe utilisé à communiquer avec des enfants et des petits-enfants à l’autre bout du monde aux conversations WhatsApp, du bus qui passait toutes les heures aux transports aujourd’hui facilement accessibles, elles ont indéniablement connu un bond en avant aussi quantitatif que qualitatif.

Cette impression de confort chez les personnes âgées risque d’être bien vite tempérée par un quotidien qui devient de plus en plus angoissant. Elles découvrent que l’argent ne fait pas nécessairement le bonheur, même si certains y ajoutent « qu’il y contribue ».
Vie chère, médicaments coûteux et qu’on ne trouve pas dans les pharmacies des hôpitaux publics, une violence rare et inédite à leur encontre. Qui aurait pensé que des petits-fils escroqueraient leur grand-mère et qu’elles seraient même sexuellement agressées, comme ce cas récent d’une vieille dame de 80 ans violée chez elle ?

Pour le reste, le bonheur reste un concept très abstrait, si ce n’est qu’il est complètement inexistant. Les plus « malheureux » ou les « moins heureux » sont les jeunes. Voilà qui n’est absolument pas une nouvelle. Depuis que l’on dit que les jeunes n’ont plus foi dans ce pays, qu’ils sont nombreux à vouloir se faire la malle, rien n’a changé.
Les raisons de ce triste état des lieux sont pourtant archi-connues. Une absence de perspectives, un horizon bouché parce que les dés sont pipés et que ce ne sont que des proches, des pistonnés, nou bann qui obtiennent les postes rémunérateurs dans l’administration publique.

On peut prendre la dernière nomination d’un organisme public. À l’instar de ce directeur d’Air Mauritius qui parle comme s’il avait été recruté après un appel à candidatures ouvert à toutes les compétences en gestion aéronautique, alors qu’il n’est qu’un nominé politique. Peut-être pas le pire de tous, mais qu’il ait été parachuté sur une base partisane, c’est l’évidence même.

Entre la drogue et un poste dans le privé, également accusé aujourd’hui de se soumettre au bon vouloir d’un régime autocratique, et l’émigration, le choix est vite fait. Il y a quelques années, les parents encourageaient fortement leur progéniture à rentrer au pays après leurs études à l’étranger. Aujourd’hui, ils sont les premiers à leur dire que c’est bien mieux pour eux de « faire leur avenir » ailleurs. Quand bien même ils souffrent de leur absence.

Lorsqu’ils regardent autour d’eux, la déliquescence atteinte par une certaine politique, des coups de canif donnés à la démocratie sans complexe et assumés, l’assaut donné, avec violence, sur les derniers bastions de l’indépendance comme le Directeur des poursuites publiques, un interventionnisme poussé à l’extrême jusqu’à exclure une conseillère qui aurait commis le crime d’aimer un président de conseil d’un autre bord politique, il n’est pas difficile de comprendre le désarroi de nos jeunes.

Et ce n’est pas un Rs 20 000 ponctuel à la majorité qui pourra changer cette perception qu’il n’y en a que pour les « chatwas » et qui mettra fin au sentiment de désemparement chez les jeunes. Il ne suffit pas de sortir des âneries du genre « mo même Père Noël, mo ena boukou kado pou distribie » pour rassurer les jeunes et atténuer leur désespérance grandissante.

La jeunesse ne veut pas de cadeau. Elle veut la prévisibilité, un emploi mérité contre un diplôme reconnu, une attribution de marchés publics sur une base transparente et une égalité de droits et de devoirs pour tous et non pas sur le critère du « noubanisme » ou selon que l’on soit sur le bon versant de la montagne.
Il n’y a malheureusement pas que l’indice du bonheur, dont certains pourraient contester le postulat sur un plan philosophique ou religieux, il y a aussi un autre classement qui est tombé et qui n’est guère plus reluisant. À l’indice du développement humain, également publié il y a quelques jours, c’est la même dégringolade. De la 59e place, on est descendu à la 72e.

En cause, la perpétuation des inégalités malgré les grands discours puisque, comme évoqué ici même : tant qu’il y aura des ghettos qui côtoient des gated, et que plusieurs mondes antagoniques se frayent sans jamais se rencontrer ni échanger, on aura une société faite de frustration, de violence et d’agression. Les meurtres et les accidents de la route étant les manifestations les plus évidentes de cette névrose qui a gagné nos concitoyens.
Feel-good factor, vous avez dit en choeur, messieurs et mesdames de la majorité. Il faut très vite réviser vos slogans creux répétés comme des perroquets et vous attaquer aux problèmes de fond qui traversent notre société.

JOSIE LEBRASSE

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