Les “bourik” de Pravind

Qu’il loin le temps où les enfants se précipitaient pour se rendre à l’école les jours de pluie. Les jours d’averses étaient des jours de fête, des moments de fun. Le ciré protégeant la tête, le haut du corps et le cartable, les élèves du primaire et les collégiens s’empressaient, dès la fin des classes, de marcher pieds nus dans les drains en bordure de route pour rentrer à pied à la maison.

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C’était l’époque où les drains ouverts des principales agglomérations urbaines ne débordaient pas et que l’eau des pluies dévalait tranquillement le long des grands ruisseaux pour se retrouver à la mer. Pas de dégâts, pas d’inondation et aucun besoin d’aller dans des centres de refuge que certains ont cru bon de rebaptiser centres d’évacuation. Mot qui revêt une certaine connotation violente.
Aujourd’hui, les enfants, déjà confrontés à la malbouffe et à l’embonpoint précoce ne savent plus marcher pour aller à l’école. Pire, dès qu’il pleut, les parents doivent se brancher sur les radios pour savoir comment ils vont organiser leur journée, dépendant qu’il y ait classe ou pas. Une énormité qui touche l’ensemble du territoire, qu’il pleuve à Bramsthan ou Mon Bois ou que le soleil darde à Tamarin et à Grand Gaube.
Le paroxysme a été atteint cette semaine avec le congé scolaire général de mercredi dernier, jour qui n’a enregistré que quelques gouttelettes sur les zones habituelles. Or, surprise, les cours étaient en ligne et leur annonce fut tardive.  Le lendemain, jeudi, du vrai mauvais temps et de très fortes pluies dès le matin mais la décision est tombée:c’était école pour tous. La perplexité était totale chez les parents et tout le personnel éducatif.
La météo que Pravind Jugnauth dénonçait alors qu’il était dans l’opposition, traitant même ses directeurs de “bourik” et qu’il s’amusait à tourner en bourrique en disant que, lorsqu’elle annonce la pluie, il y a le soleil et vice-versa, doit définitivement améliorer sa performance.
Plus personne ne comprend le sens de la “veille” de fortes pluies. Une veille ne peut pas se dérouler sur plusieurs jours. Il y a, en plus, une définition exacte à donner à cette veille, ce que le public est censé faire ou ne pas faire. Comme c’est le cas pour les avertissements cycloniques. Veille, fortes pluies ou pluies torrentielles: il faut mieux expliquer cette graduation et celle des précautions qui vont avec.
Le plus cocasse et le plus provocant dans toute l’affaire aura été le Government Notice de vendredi menaçant ceux qui s’aventurent dehors d’une amende de Rs 100,000 — le tarif du Dip Kid, diraient les mauvaises langues — et même une peine d’emprisonnement de deux ans, ce dont le fils du commissaire de police a été épargné malgré sa condamnation.
Or, ceux qui n’avaient plus rien à la maison en cette fin de mois, ont bien dû aller acheter leurs provisions à la tabagie du coin ou au supermarché, d’autres ont été contraints de rendre visite à leurs parents âgés pour voir s’ils étaient en sécurité et en manque de rien tandis que les députés et autres élus ont fait ce qui était attendu d’eux, être au plus près des attentes de leurs mandants et leur venir en aide. Ce sont ces personnes qui étaient sous le coup de pénalités aussi sévères? Ce serait bon de savoir qui sont ces “génies” qui prennent de telles décisions insensées. Ce genre de décrets confirme qu’il y a bien, au sein de ce régime, des petits potentats avec de grands penchants dictatoriaux.
Absent de tout l’épisode inondation, le Premier ministre est apparu vendredi, très chiffonné et assis dans un fauteuil où il avait l’air d’être allongé avec ses boutons de chemise pliés et écartés comme s’il était dans un état de torpeur. Mais cela n’a pas suffit.
Pour répondre à cette pléthore de critiques virulentes que lui-même et ses ministres ont essuyé et aux  humoristes de la toile qui ont ironisé en disant que “nou pena drain mais nou ena train”, le voilà qui a fait une sortie sur le terrain hier, pour obtenir l’intégralité du bulletin télévisé du soir et faire sa petite propagande habituelle.
Les drains, c’est une énorme blague. Pas toujours désopilante parce que les drains peuvent s’avérer déterminants pour la sécurité des personnes et des biens. Entre les annonces tonitruantes de Renganaden Padayachy faites dans son budget de 2021 affirmant fièrement que les drains étaient au coeur de son exercice comptable et même de la croissance, les fanfaronnades du ministre Bobby Hureeram et les propos tenus vendredi-même par Pravind Jugnauth affirmant que les drains ont prévenu les inondations, il y a un constat bien plus réaliste et au plus près de la réalité, celui du directeur de l’Audit.
Dans son dernier rapport, celui de 2022, il évoquait le retard dans l’achèvement des travaux enclenchés depuis 2019 mais aussi les bizarreries récurrentes des contrats passés par le gouvernement MSM comme le projet de Cottage. Le bénéficiaire du contrat pour un montant de Rs 139 millions en décembre 2018 devait terminer l’aménagement des drains en mars 2019 sauf que les travaux étaient au point mort en juillet 2020, le contracteur ayant été placé en liquidation judiciaire. Il avait quand même eu le temps d’empocher près de la moitié de la valeur du contrat global, soit Rs 53,7 millions. Et ce n’était qu’un des exemples du gaspillage des ressources publiques dénoncé dans le rapport de l’audit.
Au-delà des drains défaillants ou inexistants, il y a, répétons-le, un problème d’aménagement du territoire. Il n’y a pas encore un plan clair pour le bâtiment, résidentiel, commercial et industriel et, surtout, le vert. On construit n’importe où, n’importe comment et aucune supervision adéquate des sites ou du respect du cahier des charges, aucun ordre de démolition lorsque l’illégalité est caractérisée.
On évoquait ici même le 4 octobre 2020 l’existence d’un “GM en béton”. Rien n’a changé. Aucune réflexion sur la pertinence de certains projets dont ceux qui défigurent les flancs des collines, qui dégradent les wetlands ou qui massacrent les arbres. On continue à bétonner à tout va. Et on ose appeler ça “développement” et “modernisation”. Un  concept criminel.

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