Les langues de Pravind

On le sait désormais officiellement : le Premier ministre parle plusieurs langues. Il y a, tout d’abord, celle qu’il utilise quand il parle à l’ensemble des citoyens de ce pays au Parlement, dans les fonctions publiques et les cérémonies socio-culturelles, en direct ou retransmises en long et en large par la MBC.
Il y a, ensuite, celle qu’il utilise lors des réunions privées, comme celle qui eut lieu dans le Sud et au cours de laquelle il remit en cause un jugement d’une magistrate et critiqua le DPP, coupable de s’être appuyé sur le jugement de la magistrate.
Il y a, également, le langage qu’il utilise pour s’adresser aux membres du MSM lors des réunions des instances orange. C’est dans une de ces réunions que le leader du MSM s’est laissé aller à des confidences surprenantes sur ce qui semble être son état d’esprit actuel.
Il a d’abord déclaré que s’il n’était pas élu aux prochaines élections, ce ne serait pas un drame personnel pour lui. Puis, il a ajouté la fameuse phrase qui a fait le buzz, la semaine dernière : « Mon ennemi principal n’est pas l’opposition, mais la presse. »
Ce qui n’était pas un scoop eu égard aux propos et agissements de Pravind Jugnauth contre la presse depuis qu’il occupe le fauteuil de Premier ministre. Est-ce qu’il s’agissait d’un slip of the tongue ou l’expression de la pensée profonde du leader du MSM ?
L’interrogation en serait restée au stade de supposition si l’Independant Broadcasting Authority (IBA) ne s’était pas mêlée de l’affaire grossièrement et en se couvrant de ridicule, comme à chacune de ses interventions. Dimanche matin, alors que toute la presse ne parle que de la petite phrase du PM, l’IBA fait savoir qu’elle ouvrira une enquête sur l’affaire. Selon cette « autorité » dirigée par des nominés politiques, la diffusion de la phrase de Pravind Jugnuath sur une radio était illégale puisque son auteur – qui ne l’a jamais reniée – l’a exprimée lors d’une réunion privée. Comme ça arrive très souvent avec les stratégies de la kwizinn, en essayant de protéger – a posteriori – Pravind Jugnauth, l’IBA n’a fait que mettre un coup de projecteur sur sa déclaration et relancer les questionnements sur son contenu et l’état d’esprit de son auteur.
On peut comprendre que Pravind Jugnauth soit suffisamment préoccupé pour laisser échapper ce type de réflexion. Tout le capital politique qu’il espérait tirer des différentes augmentations et allocations de fin d’année a été balayé par la calamiteuse gestion du passage du cyclone Belal par le ministre responsable et le gouvernement. La grossière tentative – à laquelle a participé le PM – d’utiliser le directeur de la météo comme bouc émissaire a fait long feu. Le remboursement des réparations des voitures noyées au Caudan et dans les environs ne fera pas oublier que la catastrophe aurait été évitée si les autorités politiques avaient laissé les techniciens faire leur travail. Le feel good factor que devaient créer les cadeaux de fin d’année du gouvernement s’est envolé dans les vents de Belal et l’amateurisme – ou, carrément, l’incompétence – qui a caractérisé la construction des drains pour dévier les eaux des grosses pluies en cas d’inondations.
Quand on voit ce qui s’est passé aux quatre coins du pays en termes de drains bouchés, de cours et de maisons inondées, de routes recouvertes d’eaux boueuses provoquant des embouteillages monstres, on est en droit de questionner l’attribution des contrats – de milliards de roupies – pour la construction de drains. Avec le mauvais temps persistant et ses conséquences, le gouvernement a dû renvoyer deux inaugurations dont il espérait tirer un capital médiatique et politique : le pont de Sorèze, ainsi que le port et l’aéroport d’Agaléga.
Sans compter les tiraillements – ou la guerre ouverte – entre membres du gouvernement. On a ainsi entendu un ministre accuser un de ses collègues pour défendre une PPS contre qui serait menée une campagne par « certains » au MSM.
On peut comprendre que face à toutes ces situations négatives, Pravind Jugnauth soit un peu embrouillé et fasse les déclarations qui traduisent le fond de sa pensée. N’en déplaise à l’IBA, le fait que celle en cause aurait été faite lors d’une réunion privée ne diminue pas sa portée.
En fin de compte, le principal ennemi de Pravind Jugnauth n’est pas la presse, mais lui-même et ses déclarations qui soulignent le malaise qui règne au sein de son gouvernement et de son alliance. En guise de conclusion, qu’il me soit permis de lui conseiller de méditer sur le proverbe suivant : « il faut tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de parler.»

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