Me Priscilla Balgobin-Bhoyrul : « Le Mauricien a une fausse idée du fonctionnement de la justice »

Notre invitée de ce dimanche est Me Priscilla Balgobin-Bhoyrul, élue en début de semaine au poste de présidente du Bar Council. Dans l’interview qu’elle nous a accordée jeudi dernier, elle revient sur son parcours professionnel et ses objectifs en tant que nouvelle présidente de l’ordre des avocats mauriciens.

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Avec des parents juges, j’imagine que votre choix de carrière a été automatique. Vous avez été naturellement et familialement poussée à étudier le droit pour devenir avocate…

— Ce n’était pas le cas, c’était un choix personnel. Je ne crois que j’étais condamnée à faire du droit à cause de mes liens familiaux puisque mon frère n’a pas fait le droit. Je peux vous dire que quand j’ai dit à mon père que je voulais devenir avocate, il m’a plutôt découragée, me conseillant d’aller plutôt vers l’enseignement. Depuis que je suis petite, j’ai été fascinée par le métier d’avocat, qui est un métier exigeant et où l’on apprend constamment.

J’imagine que quand vous êtes retournée à Maurice après vos études, le fait d’avoir des parents juges vous a aidée pour vos débuts…

— Pas nécessairement. Au cours des premières années dans la profession, j’ai vraiment râlé, comme la grosse majorité des avocats débutants. Je voulais faire du pénal, du civil et un peu de commercial aussi. J’ai découvert que les entreprises ne donnent jamais du travail à un avocat débutant, d’autant qu’elles ont déjà leurs hommes de loi avec qui elles ont des relations privilégiées. Par ailleurs, les clients ne changeaient pas d’avocats, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui en raison des spécialisations de la profession. Et puis, aujourd’hui, de manière générale, les gens changent plus facilement de profession en cours de route. Au début j’ai fait un peu de tout : les divorces, les cas de violence domestique, les litiges, les assurances et les accidents de voiture, et j’ai également travaillé pour des ministères. Donc, je changeais de secteur dans le cadre de mon métier avec pratiquement chaque nouveau cas, et je peux dire que j’ai beaucoup aimé passer d’un dossier à un autre et que j’ai beaucoup appris. Pour répondre précisément à la question, j’ai commencé par le bas — il m’est arrivé d’avoir des fins de mois très difficiles — et j’ai gravi petit à petit les échelons avant de me faire une réputation.

Vous faites maintenant beaucoup de travail d’avocat d’affaires dans le cadre d’un cabinet international…

— En 2006, un client m’a référée à une firme étrangère spécialisée en droit des affaires qui cherchait un avocat à Maurice. C’est comme ça que j’ai commencé à faire du droit des affaires tout en continuant à prendre des cas dans d’autres secteurs. Je ne dirai pas que ma priorité c’est le droit des affaires, mais que c’est une grosse partie de mon travail actuel.

Après ce résumé de votre parcours, arrivons à maintenant à votre actualité. Qu’est-ce qui vous a poussée à présenter votre candidature à la présidence du Bar Council ?

— Dans le passé, j’ai déjà occupé plusieurs postes au sein du Bar Council et j’avais déjà partagé mes idées sur ce qui, à mon avis, devrait être fait pur améliorer le fonctionnement de l’association. À la fin de l’année dernière, j’ai eu l’occasion de discuter avec des collègues sur mes idées et propositions. Les discussions se sont poursuivies et des collègues m’ont dit que la meilleure manière de mettre en application mes idées était de présenter ma candidature à la présidence. Je me suis dit pourquoi pas, je me suis accordé 48 heures de réflexion, ai consulté mes proches et deux-trois autres personnes qui m’ont encouragée dans cette voie, et je me suis lancée.

Comment fait-on une campagne pour l’élection au Bar Council : avec des meetings, des réunions privées ou des messages postés sur les réseaux sociaux ?

— Avant, il n’y a avait pas de campagne à proprement parler. On inscrivait son nom sur la liste des candidats pour le poste concerné et les membres votaient pour vous. Ou pas. Pour cette élection, j’ai découvert qu’il y avait pas mal de candidats et qu’il ne suffisait pas de faire acte de candidature, mais qu’il fallait également faire campagne comme les autres candidats. Des collègues m’ont dit, avec raison, qu’il ne suffisait pas de s’asseoir et d’attendre le jour de l’élection, qu’il fallait que je dise ce que je souhaitais faire si j’étais élue et je devais dire pourquoi il fallait voter pour moi. J’avais plein de projets que j’avais partagés avec certains amis et collègues, mais je n’en avais rien écrit. J’ai résumé mes idées en un projet et l’ai fait parvenir aux membres de l’association. Beaucoup ont réagi en posant des questions et en demandant des précisions.

Quels étaient les thèmes principaux de votre campagne ?

— Tout d’abord, continuer le travail commencé par la précédente équipe de direction. Quand j’ai commencé dans le métier, j’ai eu la chance de bénéficier du soutien des membres de la profession, mais, je le précise tout de suite, pas parce que mes parents étaient de la profession. À l’époque, il y a 24 ans, il n’y avait qu’une centaine de personnes dans la profession. Tout le monde se connaissait et les nouveaux étaient accueillis, entourés, guidés. Mais au fur et à mesure, le nombre a augmenté et les rapports avec les nouveaux ne sont plus les mêmes. Une autre de mes idées est de faire en sorte que ceux qui viennent de prêter serment aient le même contact, dont j’ai bénéficié, avec les membres de la profession.

Vous trouvez que les jeunes avocats sont isolés ?

— Beaucoup d’entre eux le sont en raison du fait que la profession s’est développée et s’est spécialisée. Ce qui fait que les avocats se regroupent naturellement avec ceux qui travaillent dans une étude, ce qui n’est pas le cas du jeune avocat qui débute et qui est perdu dans cette profession. Les nouveaux sont accueillis à bras ouverts, mais il manque un cadre qui encouragerait de contacts avec les autres membres de la profession.

Est-ce plus difficile de commencer une carrière d’avocat aujourd’hui qu’il y a 24 ans ?

— Oui, dans la mesure où avant on travaillait seulement sur la criminal law et la civil law. De nos jours, il y a plein de secteurs et de spécialisations, et c’est difficile d’avancer tout seul dans ce monde qui bouge à toute vitesse. Il faut être très organisé et avoir les moyens d’avoir les outils électroniques indispensables — logiciels, antivirus, etc.

Il y a 1 300 avocats à Maurice, qui sont tous membres du Bar Council de facto, mais il semblerait que moins de la moitié participé à la dernière élection. Est-ce que ce taux d’abstention élevé signifie qu’une majorité d’avocats ne s’intéresse pas aux élections du Bar Council ?

— Je pense qu’il y a plusieurs raisons pour expliquer cela. Il y a le fait qu’aujourd’hui tous les avocats n’ont pas leurs bureaux à Port-Louis et que certains n’avaient pas le temps de venir voter. Beaucoup ont regretté ne pas pouvoir voter par proxy. Aujourd’hui, avec l’électronique, c’est facile de faire des sondages pour connaître l’avis des gens sur des questions précises. Je crois qu’il faudra interroger nos membres sur divers sujets afin de mieux faire fonctionner le Bar Council, pour qu’il se rapproche plus encore de la profession et de ses besoins.

Sur 427 votes exprimés, vous en avez obtenu 246, alors que le dernier n’en a récolté que 4. Comment expliquez-vous votre victoire électorale ?

Je dois dire que j’ai été un peu surprise par le résultat, car je pensais qu’il allait être plus serré. Je pense que ce sont mes explications sur mon projet qui a fait la différence.

Votre victoire aux élections du Bar Council pourrait-elle vous inciter à faire de la politique active ?

— Je vous réponds catégoriquement : jamais ! Il y a des sujets qui passionnent beaucoup de Mauriciens, comme la politique, le football et les courses, dans lesquels je n’ai aucune intention de m’aventurer. Je trouve qu’on critique un peu trop facilement à Maurice. On entend souvent dire que le gouvernement aurait pu mieux faire, que l’opposition n’aurait pas dû avoir fait ça, que les autorités ou mes voisins auraient pu mieux faire. Je pense qu’il serait plus intéressant que l’on fasse les choses, chacun à son niveau, plutôt que de dire ce que les autres devraient faire. Vous allez sans doute dire qu’il faut passer par la politique pour faire avancer et bouger les choses, je pense le contraire. Comme pas mal de Mauriciens, je fais partie d’associations qui peuvent aider à faire avancer les choses dans le bon sens sans passer par la politique. J’essaie d’aider du mieux que je peux hors de la politique

Quel est votre projet prioritaire en tant que nouvelle présidente ?

— Je vais avoir, ce jeudi après-midi, la première réunion du nouveau Bar Council ou nous allons discuter des priorités et établir un calendrier. Mais je peux déjà dire que je vais m’assurer qu’il y ait une bonne entente, du calme et de la sérénité au sein de la profession et avec tous ses partenaires. Je suis peut-être naïve, mais je veux croire que tout le monde veut aller dans le bon sens.

Les relations entre le Bar Council et la police ont été assez tendues l’année dernière. On a même parlé de malaise et le commissaire de police a systématiquement refusé de rencontrer les membres du Bar Council ces deux dernières années. Comment allez-vous rétablir une entente qui n’existe pas ?

— Le Bureau du Bar Council envoie actuellement des demandes de rendez-vous à nos partenaires pour faire connaissance et étudier les dossiers que nous avons en commun. J’espère de tout cœur que tous les rendez-vous que nous demandons seront acceptés, y compris par le commissaire de police. Je sais que l’année dernière, plusieurs avocats ont fait des plaintes contre la police. Je crois que les problèmes ne peuvent être résolus qu’à travers le dialogue et de franches discussions.

l Le fait que le président du Bar Council soit une femme va-t-il aider à l’amélioration des rapports avec le judiciaire, qui est également présidé par une femme, la cheffe juge ?

— Je crois que les relations entre les avocats et le judiciaire sont déjà très bonnes et qu’on n’a pas nécessairement besoin de deux femmes pour les améliorer. Bien sûr, il faut essayer de faire mieux dans l’intérêt des deux parties, et j’espère que ce sera le cas.

On le dit depuis des années : les affaires en cour prennent du temps et il arrive souvent qu’un des protagonistes meure avant qu’un jugement ne soit rendu. Que faut-il faire pour rendre plus rapidement la justice avec le nombre d’avocats en constante augmentation ?

— Si nous avons 1 300 avocats à Maurice, nous n’avons malheureusement pas 1 300 cours de justice. L’infrastructure ne suit pas l’augmentation des cas. Je crois que le Mauricien a une fausse idée du fonctionnement de la justice. Il pense que les juges, les magistrats et les avocats aiment faire traîner une affaire et s’entendent sur des renvois. La très grosse majorité des avocats ne demande pas systématiquement des renvois et n’est pas heureuse d’aller dix fois en cour pour le même dossier. Les avocats ne sont pas contents de cette situation, tout comme les juges et les magistrats. Cela dit, je trouve que les choses se sont améliorées ces derniers temps. Au niveau commercial de la Cour suprême, les choses bougent et les renvois ne sont pas systématiquement accordés.

Ailleurs dans le monde, avec le mouvement #MeToo, le comportement des avocats vis-à-vis de leurs collègues féminins a été souvent mis en exergue, dénoncé. Est-ce également le cas à Maurice ?

— Aujourd’hui, la profession légale et le judiciaire mauricien sont largement féminisés, et je pense que les femmes ne se laissent pas faire. Personnellement, je n’ai jamais ressenti de la discrimination, mais en fin de compte, le choix de retenir les services d’un avocat plutôt que d’une avocate dépend du client, du fait qu’il se sente plus à l’aise avec un homme qu’avec une femme. On l’oublie souvent, mais en dernier lieu, c’est le client qui décide.

L’année dernière, un faux avocat est parvenu à pratiquement plaider en cour. Jusqu’aujourd’hui, on se demande comment une telle chose a pu arriver !

— C’est une affaire incroyable qui est sans doute un reflet de la société dans laquelle nous vivons. C’est un problème de société plus qu’un problème de la profession légale avec les gens qui prétendent être ce qu’ils ne sont pas. Nous aurions dû avoir réalisé que cette personne, qu’on a vu en cour et dans des conférences de presse, n’était pas un avocat. Cela me ramène à ce que nous disions au début de cette interview : la profession s’agrandit, les relations entre collègues diminuent et il est difficile de rester en relation avec tout le monde. Je pense que le Bar Council a un rôle à jouer pour améliorer les relations entre ses membres en organisant des activités régulières, de petits événements en plus des deux grands annuels qui ont lieu actuellement. Il faut aussi dire que le Young Bar est très actif, très dynamique et organise régulièrement des activités. Je compte sur les anciens pour leur sagesse et le partage de leur expérience et les jeunes pour leur dynamisme. Bref, je peux et je vais travailler avec tout le monde.

l C’est pour ça que dans une déclaration à un confrère, vous avez dit qu’il y avait trop de clans au sein du Bar Council ?

— Je ne suis pas sûre que le mot clans était approprié dans ce cas précis. Aujourd’hui, la profession est de plus en plus spécialisée en droit pénal, droit civil, droit commercial, droit bancaire, sans compter les nouvelles technologies, et toutes les études et bureaux ne sont pas à Port-Louis. Pendant la courte campagne pour les élections, j’ai souvent entendu dire : qu’est-ce que celui qui fait le criminel sait sur le commercial, qu’est ce que ceux qui travaillent dans les finances à Ébène savent sur ce qui se passe à Port-Louis ? Les spécialisations ont conduit à une espèce de divisions en groupes, en clans, et on semble oublier qu’au départ et avant tout, nous sommes tous des avocats. Il faut mettre fin à ce climat de division et créer des relations entre tous les avocats, quelles que soient leurs spécialisations.

J’avais l’impression que vous parliez de clans politiques…

— Ce n’était pas le cas. Il y a pas mal d’avocats qui font de la politique, certains sont membres du Parlement comme partout ailleurs dans le monde, et c’est leur droit. Ces appartenances politiques n’ont rien à faire avec le Bar Council.

Certaines personnes disent que si autrefois on faisait le droit et on devenait avocat par conviction et par passion, aujourd’hui, on le fait plus en termes d’investissement, de business, en calculant combien il faut investir en études et combien ça peut rapporter…

— La réalité est que les jeunes qui entrent aujourd’hui dans la profession n’ont pas le temps de faire ces calculs. Au cours des premières années, la préoccupation va être comment payer la location de l’étude, rembourser les prêts pour le matériel de bureau, l’électricité et l’assistant – s’il y en a un — et se nourrir. Des gens disent que 1 300 avocats c’est trop. Ce n’est pas vrai : si tous font fait le métier comme il se doit, avec ce qu’il faut de passion, il y a de la place pour tout le monde. Pour moi, pour bien pratiquer ce métier, il est essentiel d’être passionné et de beaucoup travailler. Ce n’est pas facile, il y a de la concurrence et les clients ne se trouvent pas facilement. Il y a d’autres jobs bien mieux payés que le nôtre, malgré ce que pense le public. Vu de l’extérieur, le métier d’avocat est beaucoup plus glamour qu’il ne l’est en réalité.

Il faut quand même dire qu’avec les honoraires que réclament les stars du barreau, on pourrait avoir l’impression que la profession roule sur l’or…

— Ce n’est pas le cas. Tous les avocats n’ont pas droit à ce type d’honoraires.

Comment envisagez-vous votre présidence ?

— J’aurais aimé travailler en tant que présidente en toute sérénité, avec une équipe très motivée dans le sens large et prête à relever les défis. Que nous ayons de bonnes relations avec tous nos partenaires afin de travailler ensemble pour l’avancement de la profession, celle de la justice et les intérêts de nos clients. Nos membres sont les avocats, pas le public, mais il profite quand le Bar Coucil travaille avec ses partenaires pour une meilleure administration de la justice. S’il y a des amendements aux lois, nous allons y contribuer en donnant nos points de vue. Nous allons être présents dans les médias quand cela sera nécessaire. Nous allons également prendre en considération les plaintes du public, s’il y en a, avec le sérieux voulu.

Merci de me permettre d’enchaîner avec la dernière question. Il a été souvent question dans le passé de brebis galeuses de la profession…

— Je n’ai pas envie de reprendre la formule que vous venez d’utiliser. Nous ne sommes pas là pour dire aux confrères comment faire leur travail. J’ai proposé la création d’un comité des sages avec nos aînés pour justement encadrer et conseiller les nouveaux et agir comme un rempart afin d’éviter à certains de faire des choses qu’ils ne devraient pas. Dans d’autres pays, il existe des guides pour aider les jeunes avocats à prendre la bonne décision dans des cas spécifiques ; ce genre de guide n’existe pas à Maurice. Mon idée est de créer ce comité des sages qui pourra être consulté sur des questions liées à l’éthique et la profession, prodiguer des conseils en partageant leur expérience et leur sagesse. Je pense qu’il y a des membres qui ont pu s’égarer et que ces conseils leur permettront d’éviter les écueils et retrouver le bon chemin. Mais cela étant, si une plainte du public sur des manquements d’un membre de la profession est justifiée, je vous promets que le Bar Council va s’en occuper avec tout le sérieux nécessaire.

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