Pleins Feux sur le Cybersecurity & Cybercrime Bill : La liberté d’expression sur le gril

La section «Failure to moderate undesirable content», épée de Damoclès sur la tête des administrateurs des pages Facebook et de la presse en ligne

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L’Information and Communication Technologies Authority (ICTA) avait pris la décision de faire marche arrière sur ses intentions de mettre en place un outil destiné à décrypter le trafic sur les réseaux sociaux.  Toujours est-il que «la censure» pourrait se concrétiser sous une autre forme à la lumière de la présentation, le 22 octobre dernier au Parlement, du Cybersecurity & Cybercrime Bill. En quoi ce projet de loi sera-t-il différent de la proposition d’amendement de l’ICTA ? Cette question est sur toutes les lèvres depuis l’analyse sévère émise par Roshi Bhadain le 30 octobre : «Cette loi est pire que l’actuel Computer Misuse & Cybercrime Act, en sus d’être anticonstitutionnelle.» On a interrogé un homme de loi, un expert en informatique et le juriste de formation Alexandre Laridon  pour qu’ils nous donnent leur avis sur les contours de ce document de 36 pages.  Les témoignages s’accordent  sur le fait que ce projet n’est qu’un nouvel arsenal légal «encore plus liberticide» présenté, cette fois, au Parlement sans consultation avec le public.

Le président de l’ICTA, Dick Ng Sui Wa, qui a disparu des radars, était aux manettes pour piloter le projet mort-né visant à exercer un contrôle strict sur les contenus diffusés sur les réseaux sociaux et le Web en général. Au tour du ministre de  la Technologie, de l’innovation  et de la Communication (Tic) de proposer des amendements au Computer Misuse and CyberCrime Act qui date de 2003, sous prétexte de lutter contre la mauvaise utilisation d’internet et que Maurice soit en ligne avec la Convention de Budapest en matière de cybersécurité. Ce dernier avait annoncé la couleur le 9 septembre, lors du lancement de l’application mobile de Shell Mauritius en déclarant que « nous sommes en 2021, nous avons besoin d’une loi actualisée. Il faut aussi que cette loi donne un encadrement légal pour protéger les gens et les entreprises. »

Sur la toile, chacun y va de ses commentaires sur ce qu’il pourrait advenir de la liberté de s’exprimer et de gloser sur Facebook et d’autres sites internet au cas où le gouvernement se décide à introduire cette loi. Un informaticien requérant l’anonymat explique les dérives que pourrait engendrer cette loi : « Elle autorisera les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) à stocker les données des utilisateurs des réseaux sociaux et d’autres sites en ligne pour les remettre à la police pour les besoins d’une enquête. Le ministre n’avait-il pas annoncé que Facebook avait promis de revoir les processus de communication avec les autorités locales en matière de contenus ? Comment peut-on proposer des lois qui bafouent les fondements même de la démocratie dans un petit pays comme Maurice où le contrôle et la modération sont faciles ? »

Les membres du comité choisis par le gouvernement
L’informaticien s’insurge premièrement contre la manière dont les membres du comité national de cybersécurité seront nommés : « Vous trouvez ça normal que ce comité sera composé de membres sélectionnés uniquement par le gouvernement qui a, encore une fois, raté une occasion en or de prouver sa bonne foi. » La section 23 du projet de  loi intitulée Failure to moderate undesirable content a également retenu son attention. « It shall be the responsibility of the administrator of an online account to moderate and control undesirable content that has been brought to his attention by an investigatory authority », peut-on lire en substance dans cette section du document. Or, selon interloculeur, « pou ena mari deriv ar sa kalite metod là ! Je crains une cacophonie lorsqu’il s’agira de situer les responsabilités. Les responsables des pages Facebook n’ont qu’à bien se tenir car ils auront la lourde responsabilité de passer des heures à filtrer des contenus, sous peine de payer Rs 1 million ou passer 20 ans en prison. Au même titre que les pages Facebook des grands groupes de presse qu’on vise avec cette loi. »

Le juriste de formation Alexandre Laridon abonde dans le même sens en ce qu’il s’agit de la section 23 : « L’abandon du projet de l’ICTA n’était qu’un leurre. C’était évident. La section 23 m’interpelle car elle concerne non seulement les administrateurs des pages sur Facebook mais aussi la presse en ligne. Ils seront passibles de poursuite en cas de contenus indésirables. Le pire c’est que les peines sont beaucoup plus sévères comparé à l’ICT Act. La porte ouverte à tous les abus et, comme par pur hasard, ce projet de loi vient au moment où les feux des projecteurs sont en plein sur le gouvernement avec la situation de la covid-19 et le nombre de cas positifs et de décès. »

Concurant à l’aspect purement légal, un homme de loi a confié à Week-End que les lois actuelles sont déjà bien ficelées avec des paramètres bien définis et que le projet de loi présenté n’a pas sa raison d’être. « L’article 288(1) du Code pénal stipule que toute imputation ou allégation portant atteinte à l’honneur ou à la réputation d’une personne constitue une diffamation. Et le paragraphe 3 indique que par l’un des moyens spécifiés à l’article 206, si un accusé est reconnu coupable sous ledit délit, il sera passible d’une peine d’emprisonnement. Le projet de loi proposé par le gouvernement est un fourre-tout qui vise à museler tous ceux qui s’exprimeront contre le gouvernement », dit-il.

Les Avengers montent au créneau
Le panel d’avocats des Avengers n’est pas resté de marbre devant ce projet de loi. «La loi que le gouvernement veut introduire contrôlera tous les commentaires et les programmes en direct sur les réseaux sociaux. Ils vont tout faire pour empêcher les personnes de s’exprimer. Nous ne sommes pas d’accord. C’est la raison pour laquelle nous envisageons la possibilité d’organiser des manifestations», déclare l’homme de loi Rama Valayden. Une série de consultations est déjà en cours avec des ONG pour peaufiner la stratégie à adopter pour mobiliser la population. Rama Valayden souligne que «si la loi est votée, une catégorie de personnes pourrait être exclue des réseaux sociaux. Principalement ceux qui portent un jugement critique sur les dérives de ce gouvernement.»

 

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