BRIN D’HISTOIRE D’ACTUALITÉ : La réforme électorale ratée de sir Seewoosagur Ramgoolam…

Dans l’interview qu’il a accordée à Week-End cette semaine (voir plus loin), Jack Bizlall, l’animateur du Mouvement Premier Mai, met en garde, avec raison, contre toute tentation de faire de la réforme électorale un jeu électoraliste partisan. En effet, quelque soit le degré de sincérité que chacun — particulièrement un dirigeant politique influent — peut démontrer dans sa démarche en vue de créer le meilleur système électoral qui soit, l’arrière-pensée de vouloir couper l’herbe sous les pieds de son adversaire politique risque toujours de prendre le dessus, s’éloignant ainsi dangereusement de ce que devrait être un système d’intérêt commun pour la population. Et ce n’est pas sir Seewoosagur Ramgoolam, le Premier ministre qu’a connu notre jeune nation, qui aurait pu dire le contraire s’il était encore de ce monde…
Sir Seewoosagur, après avoir obtenu en 1966 du gouvernement colonial britannique l’introduction du système électoral à vingt circonscriptions de trois députés chacune et d’une 21e circonscription à deux sièges
à Rodrigues, fut lui-même bien obligé, arrivé à 1982 devant un terrible challenge que représentait le MMM pour son pouvoir, de reconnaître que des changements constitutionnels étaient devenus nécessaires. Dans une lettre personnelle qu’il adressa depuis le Strand Palace Hotel de Londres à son cher Nadess (nom affectueux de sir Veerasamy) Ringadoo, sir Seewoosagur Ramgoolam, alors en convalescence, rappela à son ministre des Finances qui assumait la suppléance au poste de Premier ministre qu’il (SSR) lui avait déjà fait des suggestions et qu’il devrait commencer à réfléchir sérieusement à inclure dans le manifeste électoral du Parti travailliste les changements constitutionnels suivants :
(1) que des laboureurs (actual and active) soient représentés directement à l’assemblée législative. SSR devait alors recommander six représentants directs de laboureurs, soit un représentant pour les régions ainsi regroupées : (a) Rivière du Rempart-Triolet-Pamplemousses-
Montagne Longue-Roche-Bois (b) Bon Accueil-Montagne Blanche-Quartier Militaire-Moka (c) Rose-Belle-Mahébourg-Rivière des Anguilles (d) Savanne-Rivière-Noire-Beau Bassin-Petite Rivière (e) Quatre-Bornes-Stanley (f) Curepipe-Vacoas-Phoenix ;
(2) que les travailleurs des municipalités et des conseils de districts soient directement représentés à l’assemblée. Soit 1 pour Port Louis, 1 pour Rose-Hill, 1 pour Quatre-Bornes, 1 pour Curepipe, 1 pour le conseil de district du Nord et 1 pour le conseil de district du Sud ;
(3) que les artisans de l’industrie sucrière aient trois représentants (1 de Flacq, 1 du Nord et 1 pour le Sud et les Plaines-Wilhems.
SSR fit d’autres suggestions à sir Veerasamy Ringadoo. Il affirma souhaiter :
— l’institution d’une Chambre haute (équivalent d’un Sénat) de, disons, 50 membres dont la moitié serait des membres élus, l’autre moitié des nominés sur la base des résultats d’élections générales. SSR avait opté pour 5 nominés pour le Nord, 5 pour Flacq, 5 pour Grand-Port, 5 pour le district de Savanne couplé à celui de Rivière-Noire et 5 pour les Plaines Wilhems ;
— une loi pour les droits des travailleurs ;
— que la représentation proportionnelle soit analysée et considérée sur la base des élections générales « to bag people of PRL & others ».
À l’époque, débordé sur la gauche par le Mouvement Militant Mauricien, SSR recommanda également à sir Veerasamy Ringadoo un certain repli vers le manifeste électoral initial du Parti travailliste de 1959. Du moins dans son aspect qui concernait la nationalisation d’une partie des avoirs du secteur privé et des grosses firmes mais, toutefois, avec l’accord de ces derniers. Il suggéra donc le take over de 25 à 30% des avoirs contre des compensations en argent ou sous forme d’arrangements au moment de la transaction.
En faisant ses confidences à son « cher » Nadess, sir Seewoosagur Ramgoolam avait, semble-t-il, de la suite dans les idées. Effectivement, ce ne fut pas la toute première fois qu’il exprimait ainsi son intention d’accroître la représentation des travailleurs au Parlement. Sept ans plus tôt, à l’occasion du 40e anniversaire du Parti travailliste, dans un livre intitulé Le souffle de la libération, rédigé par les soins de James Burty David, longtemps l’historien officiel du Labour, en réponse à la question « on trouve une subtilité politique dans votre intention d’augmenter le nombre de sièges à l’Assemblée. Quelle est votre explication ? », SSR eut la réponse suivante : « Elle (l’explication) est toute simple. Dans une société aussi complexe comme la nôtre, où les communautés sont nombreuses, je pense qu’il serait un facteur d’équilibre que de s’assurer d’une plus large représentation. La seule préoccupation qui a inspiré cette intention c’est la satisfaction de tous et de la paix parmi tous. Je vais même plus loin pour affirmer que les travailleurs doivent obtenir un double vote. s’il est vrai que l’Assemblée est une plateforme de débats où seules siègent, en principe, les personnes d’un certain niveau intellectuel, il n’en demeure pas moins vrai que les travailleurs connaissent et peuvent discuter de leurs problèmes avec conviction, enthousiasme et lucidité. Aussi, nous pensons qu’il est temps que la démocratie évolue vers d’autres formules plus humaines et que les institutions garantissent d’une participation directe des travailleurs ».
Mais on a pu par la suite constater que, en réalité, de subtilité politique l’intention de sir Seewoosagur en était belle et bien remplie… Il finit par se trahir lui-même dans sa lettre à sir Veerasamy en lui confiant que « toutes les suggestions qui avait été faites will take the wind off the sails of the MMM » et « qu’elles sèmeraient la confusion, laissant la population fortement divisée en faveur du Parti travailliste, au moins pour en avoir entrepris la démarche ».
SSR était convaincu que ses « projected measures allaient retourner la majorité de l’électorat en faveur des travaillistes » et recommanda expressément à sir Veerasamy de réunir les conseils légaux rouges pour les examiner et les traduire dans la loi. Mais à la fin du jour, les élections générales de juin 1982 vinrent trop vite, aucune modification ne put apporter au système électoral et le pouvoir travailliste fut balayé par 60 sièges à 0…
Moralité de l’histoire : il n’est définitivement jamais bon de laisser une réforme électorale entre les mains des seuls politiques ! Ils seraient trop capables d’imaginer mutuellement des coups qui serviraient que leurs propres desseins et aucunement l’intérêt général des citoyens !

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