La troisième édition du festival du livre de Trou-d’Eau-Douce s’est achevée le 15 à Trou-D’Eau-Douce. Dans un entretien accordé à Le-Mauricien, le directeur du festival, l’écrivain Barlen Pyamootoo, également instigateur du projet, en fait un bilan positif tant sur le plan de la participation des locaux – de l’ouverture que leur procure une telle manifestation – que de celle des écrivains et du public. Barlen Pyamootoo se réjouit aussi du partenariat privé-public pour avoir en outre bénéficié du soutien du ministère des Arts et du Patrimoine Culturel, cette fois-ci. « Dès le départ, je voulais travailler avec les forces privées et publiques », affirme-t-il. Et d’ajouter : « Il est important qu’il y ait de telle manifestation pour l’image du pays, sur le plan touristique ». En 2024, les Antilles et l’océan indien seront à l’honneur pour la quatrième édition.
Quel bilan faites-vous du festival ?
Cela peut paraître bizarre parce que je suis le directeur du festival. J’ai rencontré des personnes que je connaissais parmi de vieilles dames ayant fait le déplacement et qui ont pu assister à tout : la nuit de la lecture qui a pris fin à une heure du matin, le concert de jazz du groupe Mo’zar, dirigé par Philippe Thomas. Il y avait quelque chose de particulier à ce festival. Le lieu est important : c’est sur la plage, on voit la mer, les gens sont libres, on entend la musique et des conversations littéraires, le décor est magnifique. Tout le monde est saisi par le décor.
Trou-d’Eau-Douce est un village de pêcheur et un lieu touristique important. Le village a un caractère : les gens sont francs, ils parlent fort. Il y a donc la rencontre entre les gens qui viennent d’ailleurs et qui font souvent partie de l’élite intellectuelle et des gens simples de Trou-d’Eau-Douce. Cette coexistence est magnifique. C’est ça aussi un festival du livre : on se rencontre, on se parle, on partage nos connaissances, on n’est pas d’accord… Ça se passe sur l’estrade, dans les gradins et tout autour du lieu.
La programmation joue un rôle important pour la tenue d’un bon festival. La littérature indienne était à l’honneur. Les auteurs indiens étaient très contents. Parajuwal par exemple est arrivé avec des livres en anglais parce que nous avions seulement les versions françaises de ses livres.
À la fin de chaque festival, je fais le tour des libraires et les éditeurs qui ont tenu des stands pour voir comment cela s’est passé. Ils ont été ravis :il y a eu du monde, des gens sont venus acheter des livres. Les commerçants de Trou-d’Eau-Douce sont satisfaits également : l’économie locale tourne. C’est une bonne chose. Cela les incite à participer davantage. C’est tout cela un bon festival.
Que comprenez-vous par « les gens parlent fort » ?
Dans les sociétés rurales l’écrit est absent. Trou-d’Eau-Douce est un village où l’éducation n’a pas été une priorité pour les gens de la génération précédente. Beaucoup de ceux de ma génération ne savent pas lire. Dans une société orale, l’écrit est considéré comme sacré. On ne lit pas, on se parle et quelques fois, on se parle de loin et c’est pour cela que les gens parlent fort.
Certaines personnes auraient souhaité que le festival ait lieu en ville, en périphérie ou dans un grand village pour attirer plus de monde…
Est-ce qu’on peut faire le festival d’Avignon à Marseille, qui est plus grand ? Le Festival de Trou-d’Eau-Douce doit se faire à Trou-d’Eau-Douce. Il y a des gens qui ont fait un effort important pour venir de Tamarin, de Mahébourg et d’ailleurs.
Il y en a qui ont loué une maison pendant les trois jours et trois nuits du festival. Il faut lutter, il ne faut pas tomber dans la facilité pour avoir plus de monde. Et encore, je ne suis pas certain qu’il y aurait plus de monde s’il avait été organisé ailleurs. Les gens qui viennent au festival sont des amoureux du livre. Ce sont des gens qui achètent des livres. Ils sont authentiques.
Pourquoi avoir choisi Trou-d’Eau-Douce pour abriter ce festival ?
C’est le village que je connais le mieux, j’y habite. Je connais les gens C’est compliqué d’organiser un festival mais on travaille avec les gens plusieurs mois à l’avance et ils participent à la nuit de la lecture. Le travail commence dès mars. C’est important la lecture, cela donne une ouverture sur le monde. C’est important pour l’éducation. C’est un projet global.
En quoi consiste ce travail ?
On rencontre des jeunes qui veulent lire. On les aide à choisir les textes. Ils apprennent à les lire convenablement c’est-à-dire avec leurs tripes. Ils travaillent les techniques respiratoires. Ils font des pauses. On pousse l’art de la lecture le plus loin possible. Cela ne peut pas se faire en un mois. C’est un travail de longue haleine. Parfois, ils changent de textes parce qu’ils ont été trop gourmands…
Comment cela s’organise-t-il ?
Chacun dans le comité d’organisation a des fonctions spécifiques. L’artiste Magalie Veerasamy-Hoquet travaille avec les jeunes, les dimanches, à Trou-d’Eau-Douce. Il y a aussi Claudia Roy, artisane à Trou-d’Eau-Douce et Ari Panjanadum, retraité de l’éducation après une carrière à l’école élémentaire du Lycée La Bourdonnais et à l’île de La-Réunion qui les prennent en charge.
Vous avez bénéficié du soutien du gouvernement, notamment à travers le ministère des Arts et du Patrimoine culturel et la Mauritius Tourism Promotion Authority (MTPA).
Oui. Déjà, l’année dernière la MTPA nous avait aidés. Nous avons eu le soutien du ministre Obeegadoo, du président de la MTPA, Donald Payen et de son directeur Arvin Bundhun pour avoir des chambres d’hôtel au Véranda de Palmar. Le ministre des Arts et du Patrimoine culturel nous a accordé une subvention. Pour nous, c’est important.
Dès le départ, je voulais travailler avec les forces privées et publiques. Le secteur privé nous a aidés aussi : Alteo, Anahita. Il est important d’avoir un équilibre entre le privé et le public. C’est important sur le plan touristique qu’il y ait des manifestations comme cela pour l’image du pays. Nous avons des touristes qui viennent aussi.
Êtes-vous satisfaits de l’intégration de la population locale à ce festival ?
Oui mais il faut continuer à travailler avec eux. Il y a eu d’anciens participants qui sont toujours très jeunes qui sont revenus et de nouveaux qui s’y sont joints. Ils sont de Trou-d’Eau-Douce mais aussi d’Argy, de Bonne-Mère dans la région de l’est.
Comment les contactez-vous ?
Comme c’est une activité extrascolaire et qu’ils sont mineurs, on passe par les familles. Claudia Roy est celle qui s’en charge. Elles sont contentes et fières de la participation de leurs enfants : Elles sont présentes, elles écoutent, elles acclament. On peut voir la joie sur les visages.
À quoi pouvons-nous nous attendre pour la prochaine édition ?
L’année prochaine le voyage géographique va être Les Antilles et l’océan indien. Nous inviterons des auteurs antillais comme Patrick Chamoiseau, Danny Laferrière et Gisèle Pineau. Avec Philippe Rey comme conseiller littéraire, Ananda Devi et bien d’autres, nous ferons nos choix d’ici à mars 2024. Nous inviterons aussi des écrivains de l’océan Indien : Madagascar, Mayotte, La Réunion, l’île Maurice et d’autres îles pour qu’il y ait une rencontre entre les deux zones géographiques et littéraires.
Pourquoi combiner ces deux aires géographiques ? Est-ce dû à leurs caractères insulaires ?
Oui tout à fait. Les Antilles ont une population particulière : la plupart sont des descendants d’esclave, des créoles comme on dirait dans la terminologie à Maurice. On va peut-être fêter cette créolité. On a une ligne directrice, on va tout affiner d’ici quelques mois.
Pourquoi choisir une zone géographique particulière à chaque fois ?
Ce n’est pas le seul festival organisé ainsi. Le festival de Paris par exemple le fait, aux États-Unis c’est pareil. Cela permet des rencontres. On se focalise et on met de l’avant une littérature particulière. Nous avons commencé par évoquer l’histoire de Maurice et les cultures implantées.
La première édition était à la sortie du confinement et nous avons commencé par les auteurs mauriciens. La 2e édition était consacrée à la France, pays qui a beaucoup aidé la culture à Maurice notamment à travers le Centre culturel Charles Baudelaire, ensuite, l’Institut Français de Maurice. Nous avons aussi rendu hommage à la littérature francophone en invitant le prix Goncourt, Mohamed MBougar Sarr.
Cette année, c’était l’Inde. Les Mauriciens connaissent l’Inde à travers ses films et sa musique, mais très peu sa littérature. Nous avons voulu célébrer ses auteurs qui montent en puissance comme Geetanjali Sree, Shoba Narayan et Perumal Murugan pour ne citer qu’eux ainsi que les autrices mauriciennes : Priya Hein, Shenaz Patel, Davina Ittoo, Melanie Pérès.