Dominants vs dominés

Si le changement climatique nous aura appris quelque chose, c’est que face à un ennemi commun, la réponse est différente selon la nature et l’intensité du problème, mais aussi selon notre position dans la hiérarchie sociale. Ainsi, un entrepreneur ou un patron n’aura jamais le même raisonnement qu’un employé, tout autant qu’un fournisseur de biens ou de services face à ses clients, et ce, de par le bénéfice qui découle de l’opération de part et d’autre. Tel est le monde que l’on se sera façonné au cours des derniers millénaires. Et plus particulièrement depuis l’ère préindustrielle, où l’on aura assisté à un boom économique sans précédent. C’est ce qu’on appelle communément « le rapport dominant/dominé ».
De tout temps, le monde aura été régi par les mêmes lois, quels que soient l’époque et le système sociopolitique en cours. D’où cette question : comment, face à ces inégalités flagrantes, avons-nous fait pour accepter cette situation ? À cela, plusieurs réponses sont possibles. À commencer par le fait qu’en tant que communautés, nous aurons toujours eu besoin d’un ou plusieurs « chef(s) de meute », seuls capables d’assurer la cohésion du groupe. Quitte donc à accorder à ce(s) dernier(s) des privilèges uniques, et de facto « non partageables ». Mais aussi parce que les dominants auront toujours trouvé la bonne formule pour justifier ces inégalités. Celle-ci aura ainsi revêtu plusieurs formes au cours de l’histoire, du droit divin au mythe de la méritocratie, selon lequel donc les pauvres méritent d’être pauvres car n’ayant jamais fait l’effort nécessaire que pour devenir riches.
Cette lutte pour la méritocratie – commune à la majorité de nos sociétés modernes, et que l’on vénère d’ailleurs aussi chez nous comme une composante incontournable de l’équilibre social – amène pourtant son lot d’aberrations. Prenons pour exemples deux cas d’école : le football et l’entrepreneuriat. Ainsi, en Ligue 1 en France, un footballeur signant son premier contrat en tant que professionnel gagnera entre 2 800 et 15 000 euros, dépendant de ses qualités. Contre pas moins de 6 millions d’euros pour Mbappé. Certes, n’est pas Mbappé qui veut, mais cet écart salarial dépasse l’entendement. En gagnant 750 fois moins que Mbappé, le nouveau venu de Ligue 1 n’en est pas pour autant 750 fois moins talentueux ! Cette inégalité imposée par notre « sainte méritocratie » se retrouve d’ailleurs aussi dans la société américaine, où avec un salaire de USD 70 000 par an, un Américain moyen devrait, pour atteindre la fortune d’Elon Musk, travailler pendant… 3,1 millions d’années.
Cette réalité moderne, induite par les fondamentaux de notre économie, semble avoir balayé toutes les limites. Et c’est ce qui explique en grande partie notre inertie face aux grands enjeux planétaires, tel que le changement climatique – comme l’aura encore récemment prouvé la COP28. Aussi devrait-on se méfier davantage des « solutions » proposées par cette poignée de privilégiés qui dirigent le monde, lesquelles sont toujours économiquement orientées. Car plus que de préserver la planète, ceux-ci entendent avant tout conserver leurs privilèges. Ne manquant dès lors ni de ruse, ni d’audace pour faire passer leurs idées « bienveillantes ». Pour peu, ils se feraient presque passer pour l’abbé Pierre.
Pour rester dans la thématique, prenons l’exemple de la crise environnemantale et voyons quelles solutions les dominants ont exposées. Pour résoudre la question climatique, plusieurs voies sont proposées, la plupart menant au maintien du commerce d’énergies fossiles, du moins pendant un certain laps de temps. Temps qui sera bien sûr mis à profit pour édifier la prochaine structure énergétique financièrement viable : le renouvelable. Sauf que le problème ne sera pas résolu (tout au plus déplacé), car l’objectif des dominants est de « nourrir » les pays développés en voitures électriques, panneaux solaires et autres éoliennes en exploitant les terres rares des pays pauvres. À grands coups d’énergie fossile et de méthodes pour le moins douteuses, bien entendu.
A l’heure des grandes questions climatiques, et où l’avenir même de notre espèce (entre autres) est en jeu, le dominant use ainsi désormais d’un oxymore bien connu de tous, appelé « développement durable », mais qui, dans les faits, se noie dans le « greenwashing ». Car le terme repose sur des concepts aux antipodes du but recherché : la croissance économique et notre domination de l’environnement. En résumé, pour les dominants, la réalité tient en « une croissance infinie dans un monde fini ». Question : existe-t-il encore des dominés pour croire en ces calembredaines ?

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Michel Jourdan

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