Élections 2024 : Choix Cornélien ?

- Publicité -

Jean-Michel Martial

Voilà ce qui nous attend sous peu ; un choix cornélien, pourrions-nous dire dans le cadre des prochaines élections générales. Ce dit choix – une belle expression française qui prend naissance au 17e siècle – implique la notion d’un dilemme, quelque chose de complexe, ou même, voire impossible à résoudre. Il ne s’agit pas ici d’une alternative et quelle que soit l’option que nous choisirons, elle entraînera des conséquences compliquées pour une très grande partie de nos concitoyens.

La grande question de ce début d’année, et qui est sur toutes nos lèvres : C’est pour quand notre prochaine échéance électorale ? Les uns disent qu’ils ont un mandat de cinq ans et qu’ils iront jusqu’au bout alors que les autres, eux, annoncent que les élections sont imminentes.

Personnellement, ce sera la septième fois que je me rendrais aux urnes cette année mais pour la première fois ce choix sera cornélien. Je m’explique :

Après des années de progrès, je constate un ralentissement à tous les niveaux ; économique, social, environnemental, énergétique, sportif, culturel, et j’en passe. Je pourrais même aller plus loin et parler d’un nivellement vers le bas. Nous nous contentons depuis quelques années du minimum alors que nous pourrions viser beaucoup plus haut.

Arrive notre Indépendance en mars 1968 et quelques soubresauts plus tard, ce magnifique peuple qu’est le Mauricien s’est attelé à la construction de sa Nation. Les premières trente années passèrent à grande vitesse. Nous étions indistinctement tous à l’œuvre ; homme, femme, jeune, vieux, noir, marron, jaune, blanc, hindou, musulman, chinois, catholique. Nous avions tous le même objectif ; faire de cette nation, une nation où il fait bon vivre, une nation où tous auraient eu une part du gâteau, ou chacun aurait une place, sa place.

Notre degré d’ambition était à son apogée. Nous n’étions plus des mollassons et sommes devenus le temps de quelques années, un bel Aigle majestueux. Nous étions capables de nous élever au-dessus de la mêlée. Nous n’étions plus une nation de suiveurs ou de dépendants ; nous n’étions plus une petite ile au milieu d’un vaste océan. Nous sommes alors devenus une référence parmi les iles de l’océan Indien, une référence en Afrique et même pris comme exemple dès fois au niveau mondial.

De 1968 à 1998, nous sommes passés de quelques 805,000 à 1,160,000 habitants, soit une croissance démographique de quasiment 44%. Avec cette main d’œuvre grandissante, nous avons construit des routes à la pelle, des hôtels, des écoles, construit des usines de textile, introduit le secteur boursier, dynamisé le secteur de la construction et par ricochet, nous avons créé de nouveaux emplois. Le Mauricien travaillait, souriait, investissait, étudiait et était patient. Il avait une place, il avait sa place.

Malheureusement, ce ‘feel-good factor’ n’allait pas durer éternellement. Les vingt-six années qui suivront seront bien plus ardues.

Le premier tournant sera le triste épisode de la mort de Kaya en détention policière en février 1999. Avec pas mal de zones d’ombre autour de son décès et afin de marquer son insatisfaction, le peuple se révoltera. Des émeutes éclateront à Roche-Bois avant de gagner d’autres localités. Notre Ile Maurice, où il faisait si bon vivre, sera marquée à tout jamais car il y aura mort d’hommes, des incendies, de multiples vols et d’innombrables scènes de vandalisme. Le malaise est profond car une partie de la population se sent exclue du développement et ne trouve plus sa place.

Le tissu social s’est alors brisé et les problèmes de société n’ont cessé de croître. Depuis le début de ce 21e siècle, nous ne parlons que de pauvreté, d’exclusion, de drogue, de meurtre, de viol, de suicide, de problème scolaire, de corruption, de népotisme et d’accaparement politique.

Oui, nous visions haut dans les années 1980 et malheureusement nous nous contentons depuis les années 2000 de vivoter. L’Aigle majestueux que nous étions est aujourd’hui malade et même assez mal en point. Que s’est-il passé depuis ? Comme Kaya le disait dans une de ces chansons, sommes-nous devenus subitement une « Ras Kouyon » ?

Je suis un Mauricien lambda ; pas de MBA, pas de PhD et ne suis qu’un simple employé d’une entreprise du secteur privé. Mais je suis un citoyen qui aime son pays, qui aime savoir ce qui se passe autour de lui et qui souhaite absolument que son pays retrouve sa gloire. Et pour retrouver cette gloire d’antan, nous devons absolument passer par quelques étapes bien simples :

• La première est celle de revoir la Constitution de notre pays. Ce que nous avons hérité du système colonial britannique en 1968, qui marchait alors, ne marche plus aussi bien aujourd’hui. Le contexte local a changé et nous devons absolument nous réadapter. Je ne dis pas qu’il faille tout jeter, mais certainement d’y revoir de larges extraits et les principaux seraient ; celui de revoir les pouvoirs de notre Premier ministre, redonner les lettres de noblesse à la fonction de notre Président de la République et de revoir le mode de nomination de certains postes clés.

J’ouvre, ici, une parenthèse afin de féliciter cette action citoyenne entreprise par Rezistans ek Alternativ. Leur démarche d’une plateforme élargie afin de réfléchir ensemble sur les réformes possibles et souhaitées sur notre Constitution est la preuve qu’ensemble, nous pouvons.

• La deuxième serait une réforme électorale en bonne et due forme. Il serait souhaitable entre autres, d’introduire une dose de proportionnelle au système actuel du ‘First Past The Post’, d’abolir le ‘Best Loser System’, d’augmenter le nombre de députés, de revoir le plafond des dépenses électorales, l’enregistrement des partis politiques et surtout celle de la limite du nombre de mandats pour le Premier ministre.

• La troisième serait celle d’un contrôle plus rigoureux concernant nos besoins en main-d’œuvre étrangère. Que voyons-nous ou plutôt ; qui voyons-nous aujourd’hui sur les chantiers de construction, dans nos usines de textile, aux caisses des supermarchés, aux stations-service, etc… ? Les Mauriciens ont disparu (émigrent-ils ?) pour laisser la place à une main-d’œuvre étrangère qui vit ici dans des conditions bien souvent inhumaines. Faisons d’une Ile Maurice pour les nôtres ; du vrai ‘Made In Moris’.

• Le quatrième aspect serait celui d’une réelle volonté de combattre le trafic de drogue. Il m’est impensable de dire que nous ne sommes qu’un petit état insulaire de 2,040 km2 et que toute cette drogue circule aussi librement. Il semble encore une fois que nous nous contentons des quelques kilos saisis çà et là alors que les gros bonnets courent toujours. Moins de drogue voudrait dire moins de vols, moins de viols, moins de meurtres… moins de fléaux quoi.

• Le cinquième et dernier aspect serait de redonner du plaisir à ce peuple extraordinaire qu’est le nôtre. Il est temps de mettre l’accent sur nos capacités humaines. Nous devons œuvrer ensemble pour notre bien commun.

John Fitzgerald Kennedy a dit un jour : “Ask not what your country can do for you – ask what you can do for your country”. Nous devons vulgariser cette phrase auprès des jeunes et elle doit véritablement résonner en nous. Notre pays, notre société, n’est pas un amas d’individualités mais bien un ensemble de bras qui doit œuvrer collectivement afin de réussir. Et pourquoi pas un jour avoir un nouveau ministère ; celui ‘du Bien Commun, du Bien-Être et de la Discipline’.

Oui, ce choix important est cornélien. Ayant été tellement déçu de nos décideurs politiques en ce dernier quart de siècle, cette fois-ci, je suis totalement perdu. Quel est le choix offert ici ?

Les Orange… Elles sont au pouvoir depuis dix ans. L’usure et l’accaparement du pouvoir, l’omniprésence de son leader comme maitre absolu, suivi d’une horde de béni-oui-oui et les scandales quotidiens jouent contre eux. Quant aux Rouges-Mauves… Certes ils ne sont pas au pouvoir depuis dix ans mais cette curieuse impression d’une chasse aux sorcières s’ils sont élus joue contre eux. Ils parlent de changement ; mais qui avons-nous comme les deux principaux dirigeants ? En sus de cela, ils nous ont offert un pitoyable cinéma ces derniers jours avec leur alliance et résultat, le peu de crédibilité qu’ils avaient s’est envolé. Quant aux Bleus, ils sont peut-être les plus crédibles des quatre grands blocs dans l’histoire. Leur démission du Gouvernement en décembre 2016 lors de l’épisode de la ‘Prosecution Commission’ et celle de l’opposition d’avril 2024 montre qu’ils ont encore un soupçon de conviction. Maintenant, s’ils s’allient aux Orange, ce sera leur fin.

Ces principaux blocs sont des partis du passé ; du déjà-vu et je pense tout à coup à ce bon Hibernatus – qui se réveille après un long sommeil et qui constate amèrement que les mêmes personnes (Jugnauth, Ramgoolam, Bérenger et Duval) sont toujours les dirigeants des principaux partis et de notre pays.

Quid des autres partis ? Est-ce que cela peut marcher ? À première vue non car avec notre système en place du ‘First Past The Post’ et aussi du fait que notre électorat ne connaît que les quatre grands blocs susmentionnés, les quelques éléments très valables au sein de ces ‘petits partis’ peineraient à se faire élire. Cependant, je pense que notre ‘Salut’ y est et que nous, électeurs, devons oser cette fois. Notre pays se doit de produire une nouvelle force politique !

Notre pays et ses concitoyens doivent regarder dans une autre direction. Assez avec les mêmes diktats des castes, de religion, de famille, de pourcentage ethnique, etc… Quand j’entends sur les ondes d’une radio privée que : « Pour un front bench, nous devons avoir les différentes représentations ethniques du pays ». Cela me fait envie de vomir. Ne sommes-nous pas Mauriciens avant tout ? Sur notre passeport, il est clairement inscrit : ‘’Citizen of Mauritius’’ et non « Hindou » ou « Musulman » ou encore « Population Générale ». Je n’ai aucun problème d’être gouverné par un membre d’un autre groupe ethnique tant qu’il est honnête, travailleur, charismatique, humain, humble, laïque et impartial.

La réforme doit être totale si nous souhaitons avancer. Il y a bien vingt ans de cela, un ami me fit une proposition. Celle de rejoindre un parti politique… mais d’autres personnes me découragèrent car elles me dirent : « To enn blan twa ». Cela me fit mal et je rejetais cette proposition. J’ai alors manqué de courage alors qu’aujourd’hui, j’aurais certainement répondu par l’affirmative.


Je rêve de ce moment où mes frères et sœurs mauriciens feront la différence entre la politique et le politique. Je rêve de ce moment où nous, électeurs, ne nous laisserons plus berner par les politiciens. Je rêve de ce moment où nous voterons pour des hommes et des femmes qui veulent servir et non se servir. Je rêve de ce moment où nous voterons pour un programme réfléchi et non d’un programme fait en quatrième vitesse, où les postes à pourvoir sont plus importants que les actions elles-mêmes.

Je l’admets ; je suis un utopiste et c’est peut-être pourquoi mon choix est cornélien. C’est pourquoi que j’ai envie de croire que mes trois petites croix peuvent changer quelque chose.

Bon choix à vous.

- Publicité -
EN CONTINU

l'édition du jour

- Publicité -