Osons la raison !

De tout temps, l’être humain aura toujours craint le changement. Pour autant, et par la force de choses, il y aura souvent été contraint, du fait par exemple d’un coup d’Etat, d’une guerre ou d’une catastrophe naturelle. Ainsi l’histoire regorge de changements radicaux au sein de civilisations. Certaines auront disparu, d’autres survécu, mais jamais ces bouleversements n’auront hypothéqué notre survie en tant qu’espèce.

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D’où probablement ce sentiment de toute-puissance et d’invulnérabilité que nous aurons développé au cours du temps. Mais les choses pourraient vite changer.

Au regard de récents rapports scientifiques, si nous ne passons pas à la vitesse supérieure – et ce, immédiatement –, le changement climatique pourrait signifier le clap de fin de notre merveilleuse histoire, sans « happy end », faut-il le souligner. Pourtant, ce n’est pas faute de ne pas avoir été prévenu. Quant au coupable, puisqu’il en faut un, ce n’est ni Dieu et sa volonté divine, ni la nature et ses caprices, pas plus que « la faute à pas de chance » – et qui donnerait un caractère aléatoire à notre devenir. Non, la coupable, au risque de la faire paraître comme l’éternel bouc émissaire de votre serviteur, c’est la « croissance ».
Dans les faits, la majorité des problèmes anthropiques contemporains tirent leurs origines dans la corrélation de deux types de croissance : la croissance démographique et la croissance économique. Commençons par la première ! Au XVIIe siècle, le monde comptait 500 millions d’habitants, avec une croissance démographique de 0,3%/an, soit un doublement de la population tous les… 250 ans. Pourtant, début 1970, la Terre abritait déjà 3,6 milliards d’individus, contre près de 8 milliards un demi-siècle plus tard, c’est-à-dire maintenant.

La croissance économique, elle, suit une autre courbe depuis plusieurs décennies, et croît beaucoup plus vite que la croissance démographique. En d’autres termes, l’on produit davantage que les gens se reproduisent. Ce qui n’est bien entendu pas sans risque, car les ressources sont limitées à la taille de notre planète. Avec une population en expansion constante, il arrivera forcément (comme c’est d’ailleurs déjà le cas, ponctuellement ou de manière prolongée) un moment où les ressources alimentaires et en eau potable viendront à manquer. Et c’est évidemment tout aussi vrai pour les sources d’énergie fossile. Pour reprendre la conclusion du rapport Meadows de 1972, « dans un monde fini, la croissance ne peut être infinie ».

Ce concept est assez facile à comprendre, et devrait donc l’être davantage à accepter. Or, il n’en est rien ! Ce n’est cependant pas tant ce cheminement de pensée qui pose problème, mais plutôt ses implications. Car si l’on concède que l’on produit et consomme beaucoup trop, autrement dit bien plus que de raison, cela induit obligatoirement qu’il faudrait ralentir le rythme, et donc que l’on accepte de tirer un trait sur nos rêves de croissance soutenue (et des profits qu’elle génère). Un changement que l’on n’est pas prêt d’accepter, pas plus hier qu’aujourd’hui d’ailleurs.

Le souci, c’est que tout le monde profite du système, bien que dans des proportions différentes selon que l’on est consommateur ou producteur. Les premiers à s’opposer à ce courant de pensée auront d’ailleurs été ceux qui auront traditionnellement toujours été portés par le capital, les chefs d’entreprise en tête, mais aussi l’appareil politique, qui dépend de plus en plus largement des premiers nommés. Ainsi pourrions-nous citer l’ex-président américain Ronald Reagan qui, en 1983, déclarait : « Il n’y a pas de limite à la croissance, car il n’y a pas de limite à l’intelligence humaine, à son imagination et à ses prodiges. » Ou encore son successeur, George Bush, qui, au Sommet de la Terre, en 1992, avait affirmé que « le mode de vie des Américains n’est pas négociable ».

Plus près de nous, le président français, Emmanuel Macron, affirmait il y a quelques mois encore que renoncer à la croissance économique au nom de l’écologie n’était « pas raisonnable ». Osons lui rétorquer que ce qui ne serait « pas raisonnable », c’est au contraire de condamner l’existence même de toute vie du fait de notre inaptitude à envisager quelconque changement de paradigme, que ce soit par confort ou par paresse. L’humanité, semble-t-il, peut prétendre à un autre dessein que d’être sacrifiée sur l’autel du capitalisme.

Michel Jourdan

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