Dans l’ombre tamisée de ma chambre, l’aube se distingue doucement sur mon clavier et mon écran d’ordinateur. Le vent passe à travers les fenêtres entrouvertes et rythme les rideaux dans une danse langoureuse. Les timides reflets jouent à cache cache de même que des pensées vagabondes qui traversent mon esprit. Dans cette atmosphère intimiste, je me réfugie dans l’univers secret de mes mots et de mes pensées.
De manière succincte, je pense à mon rituel de chaque soir : une sorte de rendez-vous avec moi-même où je laisse mes souvenirs s’exprimer, mes émotions se déverser, et je relie les évènements d’une même journée comme pour faire une alliance entre ces derniers, puis je les relis dans ma tête. C’est ainsi qu’en un clin d’œil joyeux, ma journée devient un enchevêtrement de phrases qui capturent l’essence de mes jours.
Hier, le ciel était d’un bleu si profond qu’il était presque irréel et les formes des nuages amenaient à rester figé, les yeux fixés sur le ciel. Là, contemplant la Création, l’instant était une invitation à la rêverie, un moment accroché dans le temps.
Et puis, comme pour me ramener sur terre, il y a eu ce bruit au loin, ce sourire croisé dans la rue, un éclat de rire fugace et d’autres petites connexions avec le monde qui m’entoure, si simples et pourtant si précieux : tout ceci a illuminé ma journée !
Je me rappelle encore cet autre après-midi insouciant de mai, il y a quelques jours – ou était-ce quelques décennies ? –, où courir dans les champs de canne dorés par le soleil, avec le vent jouant dans mes cheveux, était complice de folies enfantines. Ces instants de liberté pure, où le temps semble suspendu entre ciel et terre. Nous avons tous des moments comme cela, tout au moins dans nos rêves, si ce n’est pas dans la réalité.
Et puis, il y a ces souvenirs teintés de mélancolie, ces instants de douleur que nous enfouissons au plus profond de nous-mêmes. Des épreuves qui façonnent notre résilience, des cicatrices qui témoignent de notre force intérieure et des combats qui apprennent à tomber pour mieux se relever.
Nos souvenirs, scellés par les mots, deviennent alors le gardien de ces trésors du passé, un sanctuaire où nous pouvons les revisiter à notre guise, les faire revivre à travers les lignes tracées par les lettres tapotées sur le clavier. C’est en faisant face à ces images que même dans l’obscurité des souvenirs douloureux, il y a toujours une lueur d’espoir, une leçon à tirer, une force à puiser.
Ces notes que nous prenons deviennent aussi un témoin silencieux d’une tranche de notre vie avec ses joies et ses peines, ses déceptions et ses mérites, ses doutes et surtout son espérance. Elles offrent un abri où nous pouvons parfois être entièrement nous-mêmes, sans masque ni artifice, et être d’autres fois totalement dans l’imaginaire, comme pour nous protéger de tout ce qui nous assaille.
Chaque jour, dans la douceur du crépuscule, ne faut-il pas laisser nos âmes s’envoler à travers les mots et les images, à la rencontre du passé, pour mieux embrasser l’avenir qui nous attend ? Tout ceci a de quoi réjouir notre présent si tant soit peu qu’on veuille se laisser bousculer, chambouler par les imprévus qui laissent libre cours à l’improvisation.
Plus tard, dans l’écho de ce même crépuscule qui sombre, les souvenirs affluent comme des vagues caressant le rivage de notre mémoire. C’est alors que coucher sur du papier les mots et les maux est une passerelle du passé à l’avenir ; la passerelle étant le présent. Ce va-et-vient est une invitation à revisiter les moments qui ont sculpté notre parcours, non pas pour nous éterniser dans la nostalgie, mais pour transmettre ce qui a été appris, revivre ce qui nous donne de la joie et remplit nos âmes, apprendre de nos erreurs, connaître nos limites… La liste des bénéfices est longue. La seule chose que nous devrions éviter avec les souvenirs, c’est de s’y éterniser ou de s’en servir pour fuir.
Dans la douceur et la caresse de la nuit qui s’installe, ne faut-il pas rencontrer ce passé même récent ? Mais à quoi sert-il de noter les souvenirs à part pour se les rappeler ? C’est tout simple : compter seulement sur notre mémoire – sacrée bonne mémoire ! – est risqué : elle peut flancher et laisser place aux regrets de l’oubli. Souvenirs effacés ! À jamais.
Ainsi, chaque mot inscrit noir sur blanc est une empreinte indélébile sur le chemin de notre vie et est imprégné de l’essence d’un moment intérieur vécu ou partagé. Un bout de soi que nous pouvons partager, un brin d’histoire que nous pouvons transmettre… Ne serait-il pas dommage qu’un jour, au-delà du trépas qui nous aura surpris, on ne se souvienne de nous seulement que par un nom et un visage flou ? Ne serait-il pas mieux qu’on ait le souvenir d’un nom et d’un visage accompagnés d’un panier d’aventures ou de notes rangées dans un tiroir ?
Demain, une nouvelle page s’ouvrira, vierge de toute histoire. Et je serai toujours là, fidèle au rendez-vous, à me remémorer, prête à inscrire les mots qui composeront le récit de ma vie, sur le clavier où je vois mes doigts danser entre les reflets encore timides du soleil.
Vous l’aurez deviné, je suis de ces personnes qui pensent qu’il faut immortaliser ce qui nous tient à cœur. Je crois aussi qu’un moment qui n’existe pas encore a toutes ses chances de devenir un souvenir écrit du bout des doigts, au son d’un murmure du bout des lèvres.