LA CABANE SUR LES FALAISES

En cette matinée de dimanche, malgré la menace cyclonique qui pèse sur la rentrée scolaire tant attendue, Ludovic se prépare joyeusement à reprendre le chemin de l’école. Je l’entends murmurer à sa sœur Natasha que c’en était fini des longues journées à la maison et que c’était : « Retour aux longues heures à l’école. Enfin, papa, oh ! » Puis, pensif, il se remémore les derniers mois d’école passés péniblement devant son écran, tout en nous partageant ses sentiments. Le soulagement de la reprise se lit sur son visage. L’excitation de revoir ses amis et ses professeurs aussi. À la bonne heure ! Qui aurait cru qu’un jour les enfants auraient été si contents d’aller retrouver leurs professeurs à l’école ?

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C’est alors que mon mari, levant les yeux de son « relaxant » jeu Candy Crush, laisse les bonbons colorés de ce jeu trop envahissant à mon goût pour nous faire une proposition des plus inattendues et, ô combien intéressante : « Allons nous promener dans le sud ! Allez, hop, on embarque sandwiches, boissons, snacks ! Hop, hop, hop ! » Aussitôt dit, aussitôt nous commençons notre organisation de dernière minute… qui nous prendra quand même une bonne heure à peaufiner !

Nous quittons les hautes Plaines Wilhems pour cette route, belle mais pas toujours sécurisante, vers le grand sud de notre petite île. Nous choisissons le plus de dépaysement possible en embrasant le chemin de la nature, des arbres et des rares automobilistes, et prenons, donc, la route passant devant Mare-aux-Vacoas (pas fameux comme taux de remplissage !), puis Grand-Bassin, pour ensuite longer la route du thé. Les feuilles vertes se perdent à l’infini en s’unissant au gris du ciel, victime, lui, du temps grisonnant. Plusieurs tons de poivre et sel, mêlés aux tons de vert, se côtoient en une belle harmonie.

Plus loin, beaucoup plus loin, nous roulons le long de cette allée bordée d’imposants et de superbes arbres avant de passer par Saint-Aubin. Puis, nous entrons dans Souillac et nous dirigeons vers le paisible et magnifique panorama en face du Foyer de l’Unité qui offre, devant lui, une vue splendide du grand sud sauvage. Nous marchons quelques dizaines de mètres avant d’atteindre les rochers immenses sur lesquels touristes et Mauriciens s’aventurent, s’émerveillent, se prennent en photos cheveux au vent. Ils prennent ainsi le temps d’observer la mer déchaînée, ses vagues et ses écumes qui jaillissent d’un peu partout. Les promeneurs scrutent l’horizon, bien défini par un trait d’un bleu plus soutenu. Derrière cet horizon, il n’y a pas âme qui vive, c’est quand même incroyable. La mer, l’océan, les eaux abyssales et rien d’autre.

Cette pensée vertigineuse a de quoi laisser courir notre imagination avec toutes sortes d’éventualités possibles et impossibles, et nous renvoyer à nous-mêmes face à l’immensité du rien ou du tout (ici c’est presque la même chose) qui se déploie sous forme d’eaux profondes à l’infini.

Cet endroit est quand même bien inspirant et au-delà de l’apaisement qu’il apporte, j’ai une envie soudaine d’entrer dans cette cabane plantée au bord des falaises pour y demeurer un long moment. Je partage ce désir fou à ma famille qui, ni une ni deux, accepte dans un même élan. Nous restons ainsi à l’abri de ces petits vents annonçant qu’une perturbation atmosphérique se prépare au loin, plus près de Rodrigues. Faite de bois et de paille, la cabane nous accueille et nous invite à nous y installer pour mieux profiter de la vue, tout en écoutant le sifflement du vent qui crie au rythme d’un métronome. Elle nous protège également de la brise qui, elle, souffle sans répit.

Face à la mer, je me retrouve face à moi. Je ne peux m’empêcher de réfléchir à la vie, à ses tempêtes et ses accalmies, sans vraiment fléchir devant les bourrasques qui s’y collent. Mais ici-là, je sens que c’est un lieu de ressourcement, de bouleversement aussi peut-être, mais surtout un lieu où l’évidence se révèle sans crainte, sans tambour ni trompette.

Chaque vague m’émerveille et m’effraie de par sa puissance. Elle me fascine encore plus lorsqu’elle s’apprête à s’écraser de toutes ses forces contre les falaises. Lorsque je la vois foncer vers moi, je ne me peux m’empêcher de m’approcher un tout petit peu, histoire de recevoir les éclaboussures, comme une bénédiction d’en haut — certainement plus pure celle-là ! — qui viendrait nous redonner courage et vigueur.

Dans tout ce vacarme se dégage une intrigante symphonie combinant le vent contre les rochers et la brise dans les arbres qui laisse les feuilles fébriles et tremblantes. On entend aussi l’océan qui avance en rugissant, tel un lion plein de confiance, et les vagues qui se cognent aux majestueux rochers noirs avant de se retirer et repartir à nouveau vers cet infini qui nous laisse pantois. Tout cela pourrait presque donner le vague à l’âme.

Au-dessus, côtoyant les nuages, je crois voir un aigle qui étale ses ailes avec splendeur et assurance. Il plane au-dessus de ma tête, les yeux rivés sur ma famille, comme pour nous inviter à aller encore plus au fond dans notre réflexion intérieure. Cet oiseau fastueux me rappelle que nous sommes faits pour gravir les montagnes et pour abattre les obstacles. Nous sommes appelés à tellement plus grand et beau que ce qu’il nous est donné de voir. Nous sommes conviés à vivre dans la confiance de la providence et à travailler comme si de providence, il n’y en avait point.

Soudain, un bruit me tire de cette réflexion intime. « Camille… » Ce prénom se prolonge à l’infini, à cause de l’écho, dans un son assourdissant qui se noie dans ce concert émis par le vent et la mer.

Aussitôt, je sors de la cabane que je m’étais créée comme un antre, le temps d’un instant, d’un instant de réflexion, d’une réflexion personnelle, tellement revigorant et apaisant. D’aigle, il n’y en avait certes pas, mais je reste convaincu qu’à la fois plus haut et ici-bas, il y a plus grand que moi. Il y a cet Être suprême à qui j’appartiens. Je n’invente pas de paysages pour me consoler et je n’écris que pour me rappeler des fois, qu’un jour, les réjouissances et les cicatrices de mes souvenirs ne se dissipent ou ne s’évadent. Avec le temps, tout ne s’en va certes pas, mais les traces s’estompent, même lorsqu’on désire fortement de les prémunir de toute dégradation. Mais le temps a souvent raison de nous.

Je quitte alors ma cabane, emportant avec moi les joies et les leçons de vie, le courage et les apprentissages des épreuves. Et en route pour de nouvelles aventures, plus loin, toujours dans ce sud sauvage de notre île. « Allez ! Hop, hop, hop ! »

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