Gratuité des écoles pré-primaires : Craintes d’une baisse de la qualité au profit de la quantité

Une table ronde souhaitée avec tous les acteurs concernés

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L’annonce du Premier ministre dans son message à la nation pour les 55 ans d’Indépendance de Maurice a pris de court les propriétaires-gérants d’écoles pré-primaires, enseignants et parents. Pravind Jugnauth a promis que les écoles pré-primaires seront gratuites dès janvier 2024. Une mesure qui sonne comme un parfum d’élections générales derrière la porte, disent certains, relevant que les écoles pré-primaires gratuites existent déjà, soit au sein des municipalités ou Conseils de districts, ou encore dans les écoles primaires gouvernementales. Pour d’autres, cette mesure suscite des questionnements et, surtout, des appréhensions.
Du fait notamment que si ce serait une chance égale pour tous les enfants de fréquenter une école pré-primaire de qualité, pour certains parents, une telle mesure – qui reste pour l’instant encore floue –ramènerait à la baisse le niveau de l’éducation des institutions privées. D’où la demande des associations regroupant des établissements privés et publics pour la tenue d’une table ronde avec tous les acteurs concernés en vue d’obtenir plus de précisions à ce sujet et d’apporter leurs suggestions.

Si elle surprend, cette annonce est, dans un premier temps, accueillie comme une mesure qui donnera l’égalité des chances à chaque enfant, afin de pouvoir accéder à une scolarisation de qualité. D’ailleurs, dans son message, le PM a fait comprendre que “le ministère de l’Éducation et celui des Finances préparent un système de grant-in aid pour les écoles pré-primaires et même celles du privé seront invitées à y participer. Nous voulons que le pré-primaire devienne gratuit, afin que les enfants entre trois et cinq ans aient la chance de fréquenter une école pré-primaire de qualité.” Reste que dans la pratique, les professionnels du domaine s’interrogent quant à sa mise en place. Car d’une part, si les écoles privées existent, c’est qu’il y a une demande pour cela.

Depuis la nuit des temps, les écoles maternelles sont payantes. Les autorités sont venues à un certain moment avec l’accès aux écoles pré-primaire gratuit, en installant des unités dans certaines écoles gouvernementales et les municipalités ainsi que les Conseils de district, dans le but de favoriser l’accès à l’éducation pour tous. Cependant, aujourd’hui, si on compte à Maurice plus de 500 écoles maternelles en opération, 188 d’entre elles sont rattachées aux établissements primaires de l’État, dont une cinquantaine pour les municipalités et Conseils de district. Au niveau du privé, on en compte quelque 350. Et, là encore, avec l’évolution de la société, la qualité du service diffère en fonction de l’établissement. Les parents dépensent entre Rs 600 et Rs 15,000 selon la grandeur de l’école et le service offert, incluant, pour certains, outre des activités parascolaires, le déjeuner et le goûter de l’enfant. D’où la disparité des prix de scolarité, ainsi que des frais d’enregistrement.
Non à la standardisation!

Les propriétaires et gérants des écoles maternelles n’ayant pas été consultés avant cette annonce du PM, le flou perdure, dès lors, quant à sa mise en application dans dix mois. “Que signifie grant-in aid? Est-ce que cela couvrira tous nos frais ? Nous devons non seulement payer les enseignants, les carers et le personnel pour le nettoyage, mais aussi le loyer, l’électricité… Gérer une école maternelle privée a un énorme coût. L’État pourra-t-il investir autant d’argent dans toutes les écoles maternelles ?”, se demandent plusieurs directeurs d’écoles pré-primaires privées.
D’autres font ressortir que s’ils ne sont pas contre l’accès à la scolarisation privée à tous les enfants, il n’en demeure pas moins qu’il ne devrait pas y avoir, comme pour les écoles du gouvernement, une standardisation du système car chaque établissement a son propre ADN. “C’est ce qui fait la renommée et le choix des parents pour notre école”, soulignent-ils. Ils font ressortir que cette mesure, qui entrera en vigueur à partir de janvier 2024, mérite d’être longuement planifiée avant d’être lancée. D’où la requête des associations d’établissements privés et publics pour une table ronde avec tous les acteurs concernés en vue d’obtenir plus de précisions à ce sujet, mais aussi pour y apporter leurs suggestions.

Le choix doit revenir aux parents
Du côté des parents, les appréhensions se sont installées depuis l’annonce du PM, le 12 mars. Certes, il s’agit d’une bonne chose de donner accès à une éducation de qualité à tous les enfants. Mais les parents estiment que ce faisant, les établissements, qui accueilleront davantage d’élèves, risquent de baisser la qualité de leur service. “On ne sait pas encore à combien s’élèveront les subsides du gouvernement pour que les écoles privées puissent opérer. Mais déjà, avec les caisses de l’État qui sont vides, nous ne nous attendons pas à grand-chose. De ce fait, il y a un risque que les établissements qui ne recevront plus autant d’argent que s’ils étaient payés par les parents, offrent moins en termes de prestations et de services”, craignent-ils.

Ces parents ajoutent que si cette mesure bénéficierait à tous les enfants, le choix devrait tout de même leur revendiquant à la qualité d’éducation qu’ils souhaitent. “Comme c’est le cas, d’ailleurs, pour le primaire et le secondaire. Il existe des établissements qui coûtent et ceux qui peuvent se le permettre envoient leurs enfants dans ces établissements renommés. Comme c’est aussi le cas pour les soins de santé. Ceux qui ne peuvent pas vont dans les hôpitaux, et ceux qui peuvent vont dans les cliniques privées. Le choix nous appartient”, disent-ils.

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Question à Rishi Nursimulu, fondateur-président de Dukesbridge : « Dans le monde de l’éducation, qualité est le maître-mot, pas gratuité »
M. Nursimulu, quelle est votre opinion sur la mesure de gratuité à partir de l’année prochaine pour le préscolaire annoncée par le Premier ministre ?
Nous avons tous été pris de court par cette annonce. Et une semaine après, pour être honnête, je suis à la croisée des chemins. D’une part, je suis partant pour rendre notre éducation plus accessible. D’autant que je partage totalement la conviction de Nelson Mandela qui est que l’éducation est l’arme la plus puissante que vous puissiez utiliser pour changer le monde. L’idée du PM serait donc louable. D’autre part, toutefois, ma formation en économie m’a appris que rien de bon n’a jamais découlé d’une stratégie de nationalisation complète. L’Australie, le Royaume Uni et plusieurs autres pays ont passé des années à rechercher les meilleures stratégies pour combler tout écart dans les écoles maternelles et le meilleur modèle a toujours été de fournir des subventions aux écoles individuelles sur un « means-tested basis », au lieu d’une stratégie de nationalisation. Le 5 janvier 2023, la presse singapourienne a demandé à son ministre de l’Éducation s’il envisagerait de nationaliser les écoles maternelles. Après beaucoup de délibérations, le gouvernement Singapourien a tranché contre la nationalisation et j’apprécie son explication : d’un point de vue pédagogique, dans les premières années de l’éducation d’un enfant, il ne devrait pas y avoir de modèle one-size-fits-all. L’accent devrait être plutôt mis sur la diversité de modèles éducatifs pour les élèves ayant des besoins divers. Sans doute, notre PM a ses raisons. Comme il a déjà annoncé l’initiative publiquement, c’est inutile de continuer à en discuter. Ce sera aux écoles de décider de s’inscrire ou non.
Avez-vous été sollicité par les autorités par rapport à cette nouvelle configuration qui sera établie à partir de janvier 2024 ?
Non. Ni avant l’annonce, ni après l’annonce. J’ai discuté avec de nombreux propriétaires d’écoles cette semaine et aucun d’entre nous n’a encore été sollicité par les autorités. Étant quelqu’un qui comprend à la fois les implications économiques et pédagogiques, j’ai demandé une rencontre avec le ministre des Finances pour apporter mon humble participation à ce sujet.
Cette annonce du PM a, donc, pris tout le monde de court et les critiques pleuvent, certains évoquant que Pravind Jugnauth a défoncé une porte ouverte du fait que l’accès à certaines écoles maternelles est déjà gratuit dans les municipalités, district council et autres écoles du gouvernement. Votre avis ?
Je dois souligner, avant tout, que je n’ai aucune affiliation politique et que je ne veux certainement pas entrer dans un débat politique. En effet, plus d’une centaine d’écoles maternelles sont déjà gratuites. Le gouvernement a investi énormément dans ses écoles primaires pour instaurer la section maternelle. Il y aussi celles gérées par les municipalités. De ce que je retiens de mon dialogue régulier avec le ministère, je considère qu’il y a des places disponibles dans ces écoles, d’autant plus que la population étudiante dans son ensemble est en baisse, compte tenu du faible taux de natalité. Le choix revient aux parents de voir dans quel établissement ils souhaitent envoyer leurs enfants, en tenant compte de leurs moyens financiers ainsi que des services offerts par chaque établissement.
Effectivement, il y a cette question de finances, mais dans l’ensemble, la majorité des parents préfèrent les écoles privées pour le préscolaire. Quelles sont les raisons ?
Dans le monde de l’éducation, qualité est le maître-mot, pas gratuité. Qu’on le veuille ou non, il y aura toujours un fossé entre le service privé et le service public. Il est très rare qu’un employé de l’État dirige une entreprise avec le zèle et le dévouement d’un propriétaire privé. Dans le jargon économique, c’est l’effet de la « main invisible » qui opère sur les marchés libres. Ceci est reconnu mondialement. En Nouvelle-Zélande, par exemple, lorsque l’idée de rendre les écoles maternelles gratuites a été étudiée en profondeur, le Conseil de la Petite Enfance du pays a qualifié la politique de « dangereuse » et de « la plus grande menace pour la qualité de la petite enfance de notre génération » (NZ Herald, 2007, 27 avril). À Maurice, les parents veulent la meilleure éducation pour leurs enfants et ils sacrifient beaucoup pour y arriver. Cela fait partie de notre ADN.
Êtes-vous d’accord qu’il y a un problème d’accessibilité à une bonne scolarisation dans le secteur préscolaire ? Si oui, quelle solution proposeriez-vous au ministère des Finances ?
Dans un marché libre, le prix est déterminé par les forces de l’offre et de la demande. Et la demande d’écoles reflète la qualité de l’éducation offerte. Je comprends qu’à mesure que la demande de qualité fait grimper les prix, les enfants dont les parents ne peuvent pas se le permettre sont laissés pour compte. Mais c’est là qu’interviennent les écoles publiques gratuites et, peut-être, quelques écoles privées devraient rejoindre le scheme pour rééquilibrer.
Si la qualité de ces écoles gratuites est améliorée, aucun enfant ne sera délaissé. Si vous demandez aux bonnes écoles privées d’aider à améliorer le niveau des écoles gratuites, j’en connais beaucoup qui seraient plus qu’heureux de le faire sans frais. Ce serait mon plus grand honneur d’apporter mes idées. Ce partenariat public-privé nécessiterait beaucoup moins de dépenses publiques qu’une nationalisation complète et maintiendrait la diversité de l’éducation, tout en offrant une éducation de qualité gratuite à tous ceux qui en ont besoin.
Quelle est votre opinion quant aux crèches ? Ne doivent-elles pas aussi être gratuites ?
Le taux de natalité est faible. Beaucoup de parents n’ont qu’un seul enfant. Quand je les questionne à ce sujet, il devient clair que le coût de soigner un bébé est un facteur dissuasif majeur. Ce n’est pas sorcier de déterminer que les crèches sont plus chères que les écoles maternelles parce que leur ratio de Carer par bébé est nettement plus élevé. À Maurice, il n’y pas de soutien financier au niveau des garderies, bien qu’elles soient reconnues à l’échelle mondiale comme la solution-clé permettant aux jeunes mamans de réintégrer le marché du travail. C’est pour cette raison que plusieurs gouvernements du monde misent gros sur la subvention du childcare (bébés 0-2 ans). La semaine dernière, le Royaume-Uni a annoncé la gratuité de la crèche jusqu’à 30 heures par semaine sous forme de subvention. Je suis convaincu que c’est dans la nursery ou garderie que se situe le vrai challenge dans le secteur de la petite enfance, pas le préscolaire où existent déjà des écoles gratuites.

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