À la veille du déconfinement – Bus : adieu porte- manteau !

Avec le déconfinement graduel entrant en vigueur dans les prochains jours, le système de transport par autobus, qui subit de plein fouet les répercussions de la pandémie de COVID-19, entame une nette transformation. Gestes barrières et social distancing devant être appliqués dans toute leur rigueur. Ainsi, le folklore de “porte-manteau”, soit les passagers n’ayant d’autre choix que de voyager debout dans les couloirs bondés des autobus du début à la fin, est appelé à disparaître irrémédiablement du paysage du transport en commun. La nouvelle réglementation pour réduire au maximum les risques d’une résurgence de la propagation du Virus Sans Frontière s’annonce sans pitié quant au nombre de passagers susceptibles de monter à bord de chaque autobus, avec de strictes consignes sanitaires à être respectées sans compromis. Week-End/Le Mauricien a fait le tour des compagnies d’autobus et des opérateurs individuels pour un constat des lieux avant le “roulé !” du déconfinement…UBS se prépare au redémarrage de ses activités

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Du côté de United Bus Service (UBS), le seul élément qui manque à l’équation d’un retour des autobus sur les routes est le manque de visibilité quant au nombre de passagers prévus. Toutefois, en prévision de cette décision du gouvernement pour un déconfinement par étapes, les autobus de la compagnie subissent tous les jours un nettoyage de fond en comble. Pour les besoins de cet exercice, tous les sièges sont nettoyés de même que les barres des autobus.

« Les autobus sont bien désinfectés pour que nous soyons prêts à rouler le moment venu », soutient le directeur général de UBS, Swaleh Ramjane. Le déconfinement entraîne tout un changement dans les rouages des opérations de cette compagnie. Désormais, avec le respect des gestes barrières, dont la distanciation sociale, un autobus de UBS qui transporte d’habitude 66 passagers ne devra se contenter que d’une vingtaine par voyage.
Les nouveaux arrangements à l’intérieur des bus prévoient qu’un seul passager par banquette de deux sera autorisé. Si le passager qui s’assoit devant est sur le côté droit, l’autre à l’arrière devra se mettre du côté gauche.

Avec ces nouveaux impératifs, UBS devra prévoir deux bus supplémentaires pour chaque véhicule en exploitation avec la prochaine étape du déconfinement. En sus de cela, les chauffeurs et receveurs porteront des masques et des gants, avec les passagers devant se protéger aussi avec des masques.

« Nous demandons également que les passagers remettent aux receveurs le montant exact du trajet pour éviter toute manipulation de pièces de monnaie ou de billets de banque », dit-il. Toutefois, pour UBS, les gels hydroalcooliques ne seront pas disponibles dans ses autobus. La raison, selon Swaleh Ramjane, est le fort taux d’alcool, soit 70%, considéré comme dangereux pour les autobus. « Le soleil fait chauffer les autobus et nous avons peur que ce produit ne soit la cause d’un feu », soutient-il en ajoutant que faire installer des distributeurs de désinfectant dans les autobus fera perdre du temps à chaque arrêt. « Si chaque passager applique du désinfectant en entrant ou en sortant de l’autobus, ce sera plus de temps qui sera nécessaire », dit-il. Ces craintes ont déjà fait l’objet de représentations aux autorités compétentes.

Mais un doute subsiste quant à l’attrait du bus avec le processus de déconfinement. Prenant l’exemple du Royaume-Uni où 85% des passagers ne voyagent plus en autobus, le directeur général de UBS craint une telle répétition à Maurice. S’il n’y a aucune visibilité pour prévoir ce qui se passera à Maurice, la situation demeure énormément difficile. « Nous ne savons même pas combien de passagers vont voyager », lâche-t-il.

Des coûts additionnels

Avec le couvre-feu sanitaire depuis la seconde quinzaine de mars, Swaleh Ramjane avance que les autobus de UBS ont roulé à perte et note que ce sont plutôt des personnes âgées qui ont voyagé. Cette catégorie de passagers a été supérieure par rapport aux passagers payants. Un autobus qui réalise des recettes d’environ Rs 30 000 par jour ne fait que Rs 1 800 en cette période de confinement. Et les dépenses par chauffeur et receveur s’élèvent à environ Rs 3 500, sans compter la facture du carburant. « Nous n’avons même pas pu couvrir les frais des chauffeurs et des receveurs », dit-il. Si les autobus de UBS ont roulé malgré les difficultés, c’est pour participer à l’élan de solidarité avec le gouvernement. Même après le déconfinement, il dit poursuivre ce que fait UBS.

Les nouvelles conditions d’opération dans le transport en commun font que UBS n’aura d’autre choix que de revoir les plans d’investissement par rapport à la flotte. Mais pour Swaleh Ramjane, si les passagers voyagent, la compagnie pourra tenir la tête hors de l’eau. « Les profits ne sont pas prioritaires. Des projets de faire l’acquisition de nouveaux autobus électriques étaient sur la liste de UBS, mais tout est gelé en ce moment. La priorité est de sortir de la présente situation. Par ailleurs, les nouvelles mesures sanitaires ont des coûts additionnels pour la compagnie. Les pharmacies nous vendent des gants à des prix exorbitants », s’insurge-t-il. Ces gants doivent être distribués au personnel quotidiennement et cette démarche représente un coût important.

À ce jour, Swaleh Ramjane soutient que la compagnie n’a pas fait le calcul des dépenses à cause de la situation. Pour assurer que le service soit correctement offert par UBS une fois le déconfinement appliqué, il demande que les Work Access Permits soient émis à tous les membres de son personnel. Selon lui, les employés de UBS travaillent suivant un roster et il estime qu’il n’est pas approprié qu’une seule partie d’employés travaille.

Par ailleurs, afin d’assurer la sécurité des passagers et de les informer de nouvelles pratiques à adopter en entrant dans ses autobus, UBS procède à placer des autocollants dans tous ses autobus à partir de ce week-end. « Dans un premier temps, nous recevrons environ 2 000 autocollants. Le personnel de la compagnie où nous avons passé la commande viendra pour les placer », explique Swaleh Ramjane.

UBS en a passé une commande de 4 000. Cette commande, dit-il, a nécessité un autre investissement. « Mais nous ne voulons pas trop forcer sur le gouvernement. Nous vivons déjà une situation extrêmement difficile », ajoute-t-il. Si les passagers sont appelés à porter un masque avant de monter à bord de l’autobus, Swaleh Ramjane avance que cette consigne « ne pourra être appliquée aussi longtemps que la loi ne suit pas. »

Par ailleurs, à partir de lundi, un premier groupe de fonctionnaires reprendra le chemin des bureaux. Selon Swaleh Ramjane, UBS a prévu de mettre 80 autobus sur les routes contre 18 en ce moment. Mais le nombre d’autobus augmentera pour répondre à la demande. « En fonction de ce premier jour, une décision sera prise quant au nombre d’autobus à mettre sur les différentes routes tous les jours », dit-il. S’agissant des fréquences des autobus, elles seront aussi plus régulières pour assurer que tous les passagers puissent voyager.
Pour que les opérations soient assurées, il espère avoir tous les Work Access Permits pour ses employés avant ce lundi. Il fait aussi ressortir que les officiers du ministère de la Santé ont demandé une liste d’employés de UBS qui ont travaillé dans les autobus durant la période de confinement pour effectuer des tests de Covid-19.

Le DG de TBS, Viraj Nundlall : « Prêt pour la reprise »

Comment Triolet Bus Service (TBS) se prépare-t-il pour le déconfinement ? « On attend le communiqué officiel du gouvernement pour ajuster notre flotte de véhicules », répond Viraj Nundlall, directeur général de Triolet Bus Service (TBS), en ajoutant que « je peux dire que, valeur du jour, nous sommes en train de mettre nos autobus aux normes. »
« La reprise se fera certainement dans des conditions exceptionnelles, car toutes les activités économiques ne vont pas reprendre en même temps. Mais nous avons quand même planifié pour opérer un maximum d’autobus sur nos lignes à partir du 15. Nous avons entendu dire que les autobus rouleront à 50% de leur capacité. Mais on n’a pas des détails précis sur la distanciation physique à l’intérieur des autobus », déclare Viraj Nundlall.

À ce jour, avec la période de confinement, TBS met sur la route une vingtaine d’autobus sur une flotte de 180 autobus. « La raison est qu’il y a eu très peu passagers sur les routes et il faut respecter les conditions sanitaires imposées par le gouvernement », dit-il en évoquant la situation financière difficile des opérateurs. « À part d’économiser sur le diesel, tous nos frais sont les mêmes en termes de paiement de salaires, de police d’assurance, de vignettes de déclaration de véhicules, etc. Le running cost excède donc les revenues attendus. D’ailleurs, les compagnies étaient déjà dans une situation difficile bien avant la période de confinement », conclut-il.Rs 100 M de manque à gagner pour les opérateurs individuels

Les opérateurs d’autobus individuels, regroupés à la Mauritius Bus Owners Cooperative Federation (MBOCF), ont fait le compte. Depuis le début de la période de confinement, ils ont enregistré un manque à gagner de l’ordre de Rs 100 millions. La raison : seulement une cinquantaine d’autobus individuels sur un total de 800 ont opéré durant cette période.
« On a déjà appliqué le système de distanciation sociale dans nos autobus, qui sont régulièrement lavés et désinfectés après chaque trajet. C’est pourquoi je dis que, nous, au sein de la fédération, nous sommes prêts à opérer normalement dans le cadre d’un déconfinement. À ce jour, nous opérons d’après un time-table pour un service minimal », a indiqué Sunil Jeenarain, secrétaire de la MBOCF. Pour l’heure, dit-il, « nous savons cependant que les personnes âgées ne seront pas appelées à voyager durant les heures de pointe et que les écoles ne reprendront pas de sitôt. Ce n’est qu’après avoir pris connaissance du nombre de secteurs qui seront appelés à opérer que nous saurons dire combien d’autobus nous allons mettre sur nos routes. C’est à partir de là qu’on saura si le maximum de passagers dans un bus sera de vingt ou de trente. En cas de déconfinement, nous allons augmenter le nombre d’autobus et diminuer l’intervalle aux heures de pointe », a-t-il dit.

L’unkown de la reprise reste le comportement des passagers. « Notre crainte est que, parfois, les passagers à bord des autobus n’ouvrent la porte de secours à l’arrière de l’autobus pour laisser entrer des passagers. Cela risque de devenir un problème, car il se pourrait qu’on ait affaire à ce moment à des passagers non autorisés dans les autobus. Il faut faire une campagne de sensibilisation à cet effet », souligne-t-il. Autre problème qu’il entrevoit : des passagers ne portant pas de masque qui veulent entrer dans les autobus. « Cela risque de créer une bagarre ou des menaces », dit-il.

Sunil Jeenarain souligne que les opérateurs d’autobus individuels font face à un problème de cash-flow actuellement, car ceux qui opèrent roulent actuellement à perte. Dès que le gouvernement présentera son plan de déconfinement, « nous allons alors formuler une demande pour une assistance financière, car il faut payer les travailleurs et acheter du diesel ». Il poursuit : « Il est du devoir du gouvernement d’aider les opérateurs d’autobus afin d’éviter toute demande de réajustement du ticket d’autobus. Il demeure un fait que les autobus sont appelés à rouler avec un nombre réduit de passagers. »

Cela fait 40 ans qu’il est employé en tant que receveur à United Bus Service. Pourtant, Issa Atchia n’aurait jamais imaginé qu’un jour son train-train quotidien serait à ce point bouleversé. Malgré tout, face à la nouvelle réalité imposée depuis que le pays est en confinement, il aura dû s’adapter, tout comme ses collègues d’ailleurs. Ce qu’il devra continuer de faire à partir de la semaine prochaine, avec le déconfinement graduel annoncé. Une situation qu’Issa se dit toutefois prêt à affronter.

Du fait de son âge (64 ans), Issa Atchia n’avait aucune obligation de travailler en période de couvre-feu sanitaire. Ce qui n’aura pas empêché cet habitant de Terre-Rouge de répondre présent lorsqu’on lui a demandé s’il était prêt à assurer du service. « On m’a donné tout l’équipement nécessaire, comme des gants, des masques, du désinfectant… Histoire que je puisse travailler en toute sécurité », dit-il. Certes, son travail reste le même, mais ce qui aura cependant changé, c’est son emploi du temps ainsi que ses habitudes. « Je me lave plus régulièrement les mains et le visage qu’avant. Je dois prendre toutes les précautions », confie-t-il.

Depuis le début du confinement, il travaille trois jours d’affilée avant de se voir offrir trois autres jours de repos. Un changement auquel Issa Atchia se sera malgré tout adapté. « Il m’a fallu environ trois jours pour m’accommoder de cette nouvelle réalité. » Le point positif, ajoute-t-il avec un large sourire, c’est « de voir moins de passagers que d’habitude. » Ce qui lui permet de mieux contrôler le public et de rappeler aux passagers, dit-il, « l’importance de toujours porter un masque » avant de monter dans l’autobus. Une consigne qui est « bien respectée », selon lui.

Durant ces semaines de couvre-feu, Issa dit aussi avoir noté que, sur la ligne d’autobus où il opère, les passagers étaient essentiellement des personnes âgées. « J’ai constaté que de nombreuses personnes âgées voyagent tous les jours. Certaines le font même jusque quatre fois par jour », dit-il. Et de se rappeler qu’un policier avait un jour arrêté son véhicule pour un contrôle, et que grande avait alors été sa surprise en voyant que les voyageurs étaient tous des personnes âgées.

Si l’anecdote fait sourire le receveur, ce dernier explique cependant que tout n’est pas toujours aussi drôle, la situation actuelle obligeant ainsi les employés à accepter certaines contraintes au pied levé. Issa en a d’ailleurs fait lui-même l’expérience mercredi, alors qu’il était normalement en congé après trois jours de travail. Son responsable de service lui a demandé s’il était disposé à remplacer un collègue malade, ce qu’a immédiatement accepté le sexagénaire. « Il faut aider la compagnie, qui passe par des moments difficiles », explique-t-il.

Compliqué de respecter la distanciation sociale

Malgré toute sa bonne volonté, le receveur fait néanmoins son maximum pour respecter les consignes sanitaires, même s’il est compliqué dans son métier de respecter la distanciation sociale. Ainsi, rappelant que sa journée débute à 7h15 pour prendre fin dans l’après-midi, Issa affirme prendre toutes les précautions pendant ses heures de travail, afin de se protéger, certes, mais aussi de protéger sa famille. Raison pour laquelle il dit prendre « toutes les précautions d’usage » lorsqu’il est de retour à la maison. Ainsi, dès qu’il rentre, il enlève ses vêtements dans une pièce à l’extérieur de la maison et s’enveloppe d’une serviette, qu’il aura déposée sur une corde avant de quitter la maison le matin. Après quoi, il court vers sa salle de bains.

Malgré tout ce luxe de précautions, sa famille s’inquiète quand même pour lui. Il ajoute ainsi qu’une certaine inquiétude régnait chez ses enfants lorsqu’il a accepté de travailler pendant le couvre-feu sanitaire. « Ils me décourageaient d’aller travailler. Ils ne voulaient pas que je parte à cause de mon âge, mais je leur ai expliqué que ma compagnie avait besoin de moi. Par la suite, ils ont compris », dit-il, non sans rappeler qu’avant l’épisode Covid-19, son intention était de prendre sa retraite en juillet. « Finalement, je pense que ce sera en décembre. »

S’il aura traversé finalement assez sereinement la période de couvre-feu, Issa se dit toutefois prêt à accueillir les prochains changements, dès la semaine prochaine, lorsque le public voyageur sera plus nombreux. En fait, il se dit même « enthousiaste » à cette idée, car contrairement à certains de ses collègues qui auront préféré rester chez eux durant le couvre-feu, notre interlocuteur dit s’être « déjà adapté à cette nouvelle manière de travailler. » Cela dit, Issa sait aussi que des problèmes avec le public surgiront probablement, notamment venant de passagers impatients et ayant longtemps attendu leur autobus.

« Et puis, comment contrôler ceux qui pousseront pour monter après avoir attendu si longtemps dans les abribus ? Ce sera un fardeau pour nous », poursuit-il, tout en espérant que les autorités feront respecter les consignes sanitaires. « J’espère aussi que les passagers paieront en nous donnant le compte rond, histoire de ne pas avoir à trop manipuler les pièces de monnaie et les billets. »

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