Rajni Lallah : « Sans un plan de reconstruction, le désamiantage n’est pas valable »

Le gouvernement a lancé un projet pour le désamiantage des anciennes maisons EDC/CHA, jugées dangereuses pour la santé de ses occupants. Il existe une cinquantaine de régions à travers l’île où des personnes vivent dans cette situation. Toutefois, pour Rajni Lallah, membre du Komite konzwin Lalit-abitan lakaz lamyant, ce projet ne pourrait se concrétiser sans un véritable plan de reconstruction du gouvernement. Car à ce jour, si les bénéficiaires ont une aide de l’État pour louer une maison temporairement et pour la dalle, ils devront eux-mêmes reconstruire leurs maisons. Ce qui, pour Rajni Lallah, serait impossible pour certains.

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Pourquoi organisez-vous des manifestations devant les Citizen Advice Bureau de différentes circonscriptions depuis deux semaines ?
Il s’agit surtout d’une démarche des résidents de maisons ex-CHA contenant de l’amiante. Ils ne sont pas venus manifester, mais ont essayé de rencontrer leurs députés. Hier, ceux d’Henrietta étaient à Floréal dans le but de rencontrer Étienne Sinatambou, qui est aussi ministre de l’Environnement, ayant la responsabilité d’éliminer l’amiante dans ces maisons. Mais il n’était pas là, tout comme cela a été le cas pour d’autres ministres dans d’autres circonscriptions. Devant le refus des autorités de les écouter, ces personnes sont très en colère. Je peux vous dire qu’il y a une grande frustration.

Le gouvernement a tout de même lancé un projet de désamiantage et a demandé aux familles de se faire enregistrer. Cela ne vous satisfait pas ?
Je dois préciser qu’il y a eu des annonces dans les médias concernant un projet de désamiantage. Il n’y a pas eu de décision officielle du gouvernement. Ce que nous demandons, c’est qu’une telle décision passe par le cabinet et qu’il y ait un engagement du gouvernement. Les communiqués, on en a déjà vu. Tout comme les enregistrements. Ce n’est pas la première fois qu’on demande à ces familles d’aller s’enregistrer auprès du Citizen Advice Bureau. Depuis 2015, il y a eu plusieurs exercices de ce genre. C’est pour cela que nous insistons pour qu’il y ait une décision par le cabinet, ainsi qu’un plan de reconstruction.

Le gouvernement a proposé de venir en aide pour des matériaux de construction et prend en charge le loyer jusqu’à Rs 5 000…
Oui, mais ce sont les bénéficiaires eux-mêmes qui doivent s’assurer de la reconstruction. Le ministre Sinatambou est venu le rappeler à la télévision la semaine dernière. Je crois que le gouvernement ne saisit pas la dimension de ce problème. Si ces personnes vivent encore dans ces maisons, souvent délabrées, ce n’est pas par plaisir ou par choix. Elles y sont contraintes parce qu’elles n’ont pas les moyens de reconstruire leur maison. Souvent, il s’agit de retraités ou de personnes n’ayant pas un emploi stable, qui ne peuvent avoir un emprunt ou avoir de l’argent pour payer des maçons. Si le gouvernement vient dire aujourd’hui qu’il faut détruire ces maisons, c’est qu’il reconnaît qu’il y a un problème. Cependant, on ne peut détruire sans avoir un plan de reconstruction. Autrement, cette mesure que veut apporter le gouvernement restera un vain mot, parce que les personnes n’auront jamais les moyens de reconstruire.

Selon vous, il ne s’agit encore une fois que d’annonces ?
Nous avons noté qu’à chaque fois qu’il y a un mouvement, il y a des annonces. Il n’y a pas de décision formelle. En 2015, il y avait un comité qui avait été mis en place pour le désamiantage des maisons ex-CHA. Par la suite, il y a même un communiqué qui avait été émis. Mais il n’y a rien eu jusqu’à maintenant. Je me demande également si ces communiqués ne sont pas des “delaying tactics”. Il faut aussi savoir que parfois la question de propriété est très compliquée. Il y a souvent plusieurs héritiers sur ces terrains et des mésententes du point de vue légal. Le problème aurait pu être résolu si le gouvernement avait un plan de relogement. Par exemple, la location des maisons, comme cela se faisait pour les maisons CHA dans le passé.

Combien de familles vivent encore dans ces maisons ?
Il y en a environ 2 100 dans les quatre coins de l’île. Cela va de Goodlands à Mahébourg, en passant par Triolet, Grand-Gaube, Poudre-d’Or, Pointe-aux-Piments, Moka, Riambel, Rose-Belle, La Gaulette, La Sourdine, Rivière-des-Galets, entre autres. Il faut aussi savoir que ces maisons ont été vendues par le gouvernement lui-même. En 1986, quand le gouvernement avait pris la décision de fermer la CHA, il avait vendu les maisons à leurs occupants. À cette époque, on savait déjà que l’amiante était dangereux pour la santé. Depuis 1984, il y a déjà eu des rapports à ce sujet. Donc, le gouvernement a vendu ces maisons tout en sachant qu’elles représentaient un danger pour la santé de ses occupants; il a donc la responsabilité de s’assurer que ces maisons soient “safe”.

En 2002, il y avait le rapport John Addison mettant en cause la responsabilité du gouvernement. Mais rien n’a été fait. Ce qui nous a poussés à porter plainte au bureau de l’Ombudsman. Ensuite, il y a eu le rapport du Dr Sibartie du ministère de la Santé, qui avait dit qu’il fallait trouver une solution, même si cela devait coûter cher. Il y a eu aussi le rapport de Truth and Justice Commission mettant en cause les maisons en amiante. Le dernier rapport en date est celui de l’Ombudsperson for Children, Rita Venkatasawmy.

Quel est le sentiment des personnes vivant dans ces maisons ?
Il y a une grande colère. Surtout quand elles entendent parler de tous ces grands projets comme les villas, “smart cities” ou autoroute au coût de 600 M pour desservir une “smart city”. De plus, tout le monde est conscient que dans peu de temps, le Parlement sera dissous… D’où la nécessité que le gouvernement prenne la responsabilité de reconstruire ces maisons aujourd’hui.

Quelle est votre opinion de la politique du logement ?
Même s’il y a des inaugurations dans plusieurs endroits en ce moment, il faut se rendre à l’évidence que la moitié des familles nécessitant une maison ne sont pas qualifiées pour la NHDC. Il y a des demandes par milliers pour ces maisons. Combien en ont obtenu ? Il faut utiliser les terrains pour construire des maisons sur les mêmes bases que les maisons de la CHA. La crise du logement est en train de créer une crise sociale aiguë. D’une part, il y a la spéculation sur la valeur des terrains et d’autre part, il y a des gens qui se battent pour les terrains d’héritiers, comme on dit. Cela aggrave la crise sociale. Il y a eu des drames à cause de ces terrains.

Cela dit, il faut rappeler que la majeure partie des terrains ne sont pas utilisés dans l’intérêt de la population. Une grande partie est, d’une part, occupée par la canne à sucre qui ne rapporte plus et que le gouvernement doit même subsidier. D’autre part, le gouvernement a fait toutes sortes de concessions de taxe sur la conversion des terrains agricoles pour le développement immobilier. À Lalit, nous avons toujours dit qu’il faut utiliser les terres dans l’intérêt de la population et pour le secteur alimentaire. Il faut planter à manger.

Quelles seront vos prochaines actions ?
Il y a des consultations dans différentes régions pour décider de la marche à suivre. Il y a une tendance pour une action nationale à Port-Louis. Une décision sera prise en temps et lieu.

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