Dans l’ombre de Sitting Bull

Combien de forages ferons-nous encore ? Combien de mines creuserons-nous ? Combien d’arbres abattrons-nous ? Comment ferons-nous lorsque la Terre n’aura plus rien à nous offrir ? Quand serons-nous enfin rassasiés ? Comme toute espèce, et plus encore du fait de ce cadeau offert par l’évolution que l’on appelle « intelligence » – et qui nous confère, aime-t-on penser, un statut spécial par rapport aux autres vivants –, l’humain aura toujours cherché à maîtriser son environnement, avec toutefois cette particularité intrinsèque de chercher à en exploiter tout ce qui nous semble exploitable, et plus encore. Avec le résultat que l’on connaît : une société régie par l’accumulation, où le bien-être est conditionné par la possession, et où la pensée du « toujours plus » est plus dominante que n’importe quelle autre « religion ».

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Au final, nous aurons, au fil des millénaires – mais plus particulièrement au cours de ces derniers siècles –, basculé en quelque sorte dans un « Nouveau monde ». Une ère, appelée anthropocène, où l’humain n’a de cesse d’exploiter, de produire, de consommer. Un monde où le pouvoir est roi; ou l’argent est loi. Qu’importent les conséquences. Sauf qu’aujourd’hui, après avoir été malmenée pendant tant de temps, la planète reprend ses droits. C’est qu’elle en marre, la planète. Et on la comprend. Pour elle, l’homme est une plaie, une calamité ambulante… Un virus dont il faut se débarrasser.

Ce n’est pourtant pas faute de ne pas nous avoir avertis; jamais les signes n’auront en effet été aussi nombreux, aussi lisibles. Et lorsque le moment sera venu, et que le mur nous aura réveillés de notre déni, alors réaliserons-nous peut-être que cette fin, alors inévitable, aurait justement pu être évitée. Du moins si nous avions su écouter cette terre qui nous nourrit. Et accessoirement ces quelques hommes qui, dans leur grande sagesse, auront tenté de nous prévenir. À l’instar de Sitting Bull qui, après avoir été à la tête du soulèvement Sioux et Cheyenne, griffonnait en 1889 – soit un an avant sa mort (il a été tué d’une balle dans la nuque) – quelques paroles prophétiques au président des Etats-Unis d’alors, Benjamin Harrison :

« Pour l’homme blanc, une parcelle de terre ressemble à la suivante, car c’est un étranger qui arrive dans la nuit et prend à la terre ce dont il a besoin. La terre n’est pas son frère, mais son ennemi, et lorsqu’il l’a conquise, il va plus loin. (…) Il ne semble pas remarquer l’air qu’il respire. Comme un homme qui met plusieurs jours à expirer, il est insensible à la puanteur. (…) Enseignez à vos enfants ce que nous avons enseigné aux nôtres, que la terre est notre mère. » Le « peau-rouge », comme il aimait lui-même se définir, conclura sa lettre avec des mots poignants, et encore aujourd’hui plus qu’hier tellement tenaces : « Quand le dernier arbre sera abattu, la dernière rivière empoisonnée, le dernier poisson capturé, alors seulement vous vous apercevrez que l’argent ne se mange pas. (…) Votre esprit de rapacité vous fera disparaître. »

« Bison assis » était l’un des derniers représentants de cette « race » de précurseurs. D’autres suivront, plus écoutés, du fait qu’ils appartenaient à « notre monde » – en plus certainement d’avoir la « bonne » couleur de peau –, mais leur message tombera tout aussi rapidement dans l’oubli que celui de Sitting Bull. Jusqu’à ce que la dure réalité nous rappelle à leur souvenir. Trop tard, hélas ! Car le mur est là, déjà visible au coin de la rue, mais rien ne semble vouloir ralentir notre course. Notre insouciance et notre envie de posséder à tout prix sont trop fortes.

Alors nous attendons, comme les êtres stupides que nous sommes, que se tarissent nos rivières, que les derniers poissons montent agoniser à leur surface, que nos prairies sèchent et que nos dernières forêts tombent sous les coups de notre folie, de nos bulldozers et de nos feux. Que notre air devienne si vicié que l’enfer nous paraîtra plus respirable. Et que la grande faucheuse appelle ses amis en renfort pour venir à bout des derniers représentants de cet étrange fruit de l’évolution que la Terre aura engendré : l’homme ! Alors peut-être rejoindrons-nous, quelque part dans les cieux, Sitting Bull et ses frères d’armes. Histoire de fumer avec eux, pour la première et dernière fois, l’ultime calumet de la paix ! Ce qui, il faut l’avouer, nous fera une belle jambe !

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