Démarche antidémocratique ou coup de maître?

Au terme de plus de dix heures de débats sur le Local Government (Amendment) Bill, présenté par le ministre Anwar Husnoo, la seule chose dont on est certain, c’est que les quelque 310 000 électeurs des cinq municipalités de Maurice devront attendre encore au plus deux ans pour élire de nouveaux conseillers municipaux. Et ce, malgré le fait que ceux en place actuellement ont été élus depuis 2015 et ont déjà bénéficié de deux prolongations. Ces extensions des mandats des conseillers municipaux devaient prendre fin le 14 juin prochain.

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Le timing de l’annonce concernant l’octroi de pouvoirs au président de la République pour étendre de deux ans le mandat des conseils municipaux et le renvoi des municipales a pris le pays par surprise il y a une semaine déjà. Ce qui explique la remarque du leader de l’opposition, Xavier-Luc Duval, qui a reproché au gouvernement de n’avoir pas donné suffisamment de temps aux parlementaires pour réfléchir à cet amendement.

Il est vrai que la classe politique parlementaire et extraparlementaire était dans l’expectative, et qu’une décision gouvernementale était attendue incessamment, en respect des provisions légales. Les leaders de l’ex-Plateforme de l’Espoir avaient de leur côté concentré leurs forces sur la réclamation d’élections générales, tout en maintenant ouverte l’option de municipales, où le Ptr, le MMM et le PMSD avaient envisagé de présenter une liste commune pour confronter le pouvoir en place. Les vives réactions des forces de l’opposition sont dans la logique des choses et pouvaient être anticipées. Les municipales et les législatives font partie intégrante de toutes les démocraties. Dans n’importe quel pays démocratique, le renvoi des élections serait considéré comme une entorse directe à la démocratie, et aurait provoqué les mêmes réactions de la part des partis de l’Opposition et d’une frange de la population.

À Maurice, il semblerait que ce renvoi était attendu pour la simple raison que, malgré tout ce qu’on dit, les élections générales ne sont pas loin, du moins dans une année au plus. Organiser les municipales à la veille des élections générales n’a pas de sens, du moins ne sert pas l’administration de la ville. D’autant qu’on ne sait qui prendra les rênes du pouvoir. Pour autant, il va de soi que le renvoi des élections peut être utilisé comme un argument majeur dans le cadre d’une campagne électorale contre le gouvernement qui a pris cette décision. À ce propos, les partis de l’opposition parlementaire et extraparlementaire ne feront aucun cadeau au gouvernement, et la mobilisation a d’ailleurs déjà commencé. LPM a déjà annoncé ses couleurs en envisageant une contestation en Cour suprême pour « décision anticonstitutionnelle et antidémocratique ».

C’est dans le but de contrecarrer cette vague que le Premier ministre a tiré une justification en or de son chapeau : la nécessité de reformer les structures, l’organisation et les politiques des collectivités locales. « On raterait une occasion en or pour faire progresser les collectivités locales si nous organisions les élections municipales cette année dans la configuration existante », affirmait ainsi au Parlement Pravind Jugnauth. Ivan Collendavelloo considère pour sa part qu’il fallait choisir entre la réforme des administrations régionales ou les élections municipales. Le gouvernement a ainsi réussi à instiller une intention démocratique dans une décision perçue et considérée comme antidémocratique et anticonstitutionnelle. Il y a fort à parier que les recommandations qui devraient être faites avant la rentrée parlementaire de 2024 feront partie du programme électoral du gouvernement comme une des propositions fortes pour les prochaines élections générales. On verra ensuite si elles seront mises en œuvre.

En vérité, le renvoi des municipales est un obstacle majeur retiré sur la route du gouvernement vers les élections. Le deuxième est la présentation du budget 2023-2024 vendredi prochain. Nous saurons alors si le gouvernement a renvoyé le scrutin municipal par peur d’affronter l’opposition ou s’il a réussi un coup de maître.

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