House of Digital Art : la scène culturelle sous les feux de la rampe

Enrichissante rencontre à l’occasion de la cinquième édition Talk Series du groupe Attitude, jeudi soir, à House Of Digital Art, à Port-Louis. Le thème étaur axé sur les challenges et les ambitions de la scène culturelle à Maurice. Ce Talk-Show a été rendu possible à l’initiatuve du groupe Attitude, qui entend nourrir sa réflexion sur le rôle qu’il peut jouer comme opérateur économique et touristique en matière de réation sur le front de la culture.

- Publicité -

Passer de la visibilité à l’impact pour le groupe Attitude. Lors d’une table ronde en deux parties,  les sujets ont porté sur l’offre culturelle, la façon de pérenniser un projet en tenant compte du modèle économique et l’approche des promoteurs. Une scène culturelle comporte ses écueils et ses enjeux. Et il y a plusieurs portes d’entrée pour aborder un sujet aussi vaste que l’art et la culture.

Mais ainsi que l’a dit Marie-Noëlle Elissac-Foy, fondatrice de The Talent Factory qui a agi comme modératrice du Talk-Show, l’approche se veut plus pragmatique pour cette rencontre autour des challenges et des ambitions de la scène culturelle à Maurice.

Le panel d’intervenants pour  cette première partie de la table ronde était constitué d’Astrid Dalais de House Of The Digital Art, Daniella Bastien, anthropologue et artiste, Jon Rabaud, réalisateur et directeur de Magic Wheel Pictures et Ashish Beesoondial, Theatre Manager au Caudan Arts Centre. Il fallait pour démarrer cette table ronde le regard d’une anthropologue en la personne de Daniella Bastien portant sur une question précise. Pourquoi en tant qu’individu, on a besoin de culture ?

« L’anthropologie, c’est l’étude des êtres humains, et la culture est l’élément fondamental de l’anthropologie. L’anthropologie, c’est la diversité des peuples et l’unicité du genre humain. La culture est un élément vital pour comprendre comment l’être humain représente le monde, par le présent, le passé et l’avenir. Et, surtout comment il se lie les uns aux autres. Est-ce que l’homme existe sans culture ? On a créé un mode, une façon d’être au monde, de se représenter le monde. Et c’est ce qui nous rend vivants et nous fait nous connecter au monde. Cela nous permet de nous rendre compte de la diversité et de la richesse du genre humain. On a besoin de culture. Je me souviens de la chanson de José Bhoyroo des années 80 qui dit : Kan enn pep pa konn so listwar, so lorizin, li kuma enn pie pena rasinn. La culture nous permet de nous enraciner et de nous inscrire dans une historicité et de se connecter à soi-même et aux autres », fera valoir Daniella Bastien.

Astrid Dalais  a abordé la nécessité de s’inscrire dans un territoire, une histoire. D’où l’événement tenu en un lieu magique comme La House Of Digital Art. Un premier bilan satisfaisant pour Astrid Dalais, car le lieu a accueilli 20 000 visiteurs de tous horizons, en deux mois d’installation. Elle prévoit  que « la House Of Digital Art est appelée à évoluer ».

Selon Astrid Dalais, il y a une dizaine de créations majeures qui invitent à changer de repère, à vivre de nouvelles expériences car l’art numérique est assez nouveau. « Du coup, ce sont des formes nouvelles à la fois pour le public et pour les artistes qui s’expérimentent. Ce lieu favorise la création et l’expérimentation. On a eu Maurice dans toute sa splendeur… une dame qui est venue fêter ses 83 ans à la House Of Digital Arts, des enfants, des ados, des touristes. Chacun a apporté son lot d’émotions et quand on leur demande la raison de ce bouleversement, certains nous ont répondu que La House Of Digital Art redonne de l’espoir. Et je crois que la culture a ce pouvoir de nous ramener cet espoir pour de nouveaux imaginaires, de nouvelles histoires, éveiller notre curiosité et nous aider à sortir des sentiers battus et de notre quotidien », témoigne-t-elle.

Un espace qui permet de se donner rendez-vous, de s’arrêter pour contempler, découvrir… Selon l’intervenante, avoir un lieu pour se poser et s’inscrire dans la durée permet d’aller plus loin dans la création.

« Nous faisions toujours la part des choses entre la location de matériel, le son, la lumière, la vidéo et du coup, il ne restait pas de budget pour la création. Nus avons inversé la roue en mettant en place une salle avec un équipement technique de qualité qui permet de dédier 75% du budget à la création, d’accompagner les artistes dans leurs créations, recherches, expérimentations, expériences immersives et digitales. Avoir un lieu permet de travailler plus cet alliage avec les acteurs locaux, régionaux, internationaux. Nous ouvrons les frontières, ce qui nous permet de voir plus grand et d’accueillir un échange culturel vivifiant de manière permanente », indique-te-lle.

« Avec l’offre viendra la demande »

Pour sa part, Ashish Beesoondial a dit reconnaître que ce lieu a permis de dynamiser la scène culturelle mauricienne, tout en s’appesatissant sur le gros travail accompli à cet égard. « Le Caudan Arts Centre est arrivé à un moment opportun avec deux théâtres importants fermés pour cause de rénovation. Et quand la décision avait été prise de construire le Caudan Arts Centre, René Leclézio avait dit : “Avec l’offre viendra la demande”. Cinq ans après, le constat est clair, ce n’était pas trop tôt d’avoir ce lieu pour les artistes avec le nombre de projets en cours. Et pas qu’au Caudan mais à travers l’île, dans les restaurants, les hôtels, les malls à Maurice, il y a cette demande pour la culture. » Selon Ashish Beesoondial, le Caudan Arts Centre ne s’est pas contenté d’être uniquement un lieu de diffusion « mais aussi de formation des élèves au théâtre. »

Le rôle des centres commerciaux a aussi été abordé, de même que celui des restaurants, des lieux de diffusion de culture qui se réinventent. « Les Malls sont des lieux de prédilection si on veut offrir une offre culturelle. Il faut repenser à la manière de procéder et faire que les gens accèdent à de la culture. Les Mauriciens sortent en famille et la réflexion concernant la culture en famille devrait être abordée à nouveau. Doit-on payer pour accéder à la culture ? Des Malls”sont des lieux de prédilection. Si on veut offrir une offre culturelle, il faut repenser à la manière de procéder pour faire les gens accéder à la culture », suggère Daniella Bastien.

Astrid Dalais rebondit sur l’importance de toucher tout le public dans n’importe quel endroit. « Si nus avions dès le départ une vision avec des acteurs de la culture, nous aurions eu beaucoup plus de diversité et d’authenticité. Car souvent la culture, elle, arrive à la fin. On dit que vous avez tel espace, telle scène. L’artiste vient à la fin alors que s’il était positionné dès le départ, le lieu aurait été mieux conçu. »

La vraie question, selon Daniella Bastien, est de savoir comment accéder à ces personnes qui développent ces lieux. Et Astrid de renchérir : « Nous avons envie de collaborer, mais le métier d’artiste a moins de crédibilité que celui de l’urbaniste, de l’architecte. Il y a un manque de crédibilité parfois à Maurice envers tout ce qui est artistique. L’envie est là, les gens lisent, écoutent de la musique, dansent, apprécient l’art et la culture, mais de là à faire le pas et changer la donne, c’est un pas qui reste encore difficile à franchir », concède-t-elle.

La bataille pour trouver des sponsors

Marie-Noëlle Elissac-Foy pose la question de rentabilité et la manière de soutenir d’autres projets. Ashish Beesoondial, revernant sur la mission du Caudan Arts Center, souligne que« nous avons  mis en place un plan pour les artistes. Nous les accueillons pour discuter de programmes. Il y a toujours un grand travail à faire pour attirer toutes les personnes. Venir dans un théâtre n’est pas nécessairement une affaire de toutes les cultures. Je me souviens que récemment, nous avonseu la visite des élèves des écoles primaires et la première question que les enfants ont posée : Eski nou dan ene la sal sinema ? Si les enfants viennent dans une salle de théâtre pensant qu’on est dans une salle de cinéma, cela est inquiétant. Il y a toute cette volonté d’ouvrir des portes mais aussi la réalité financière.  Nus avons  essayé d’avoir plusieurs événements avec des élèves, nous travaillons à des prix réduits. »

Ashish Beesoondial fait état de la responsabilité de l’Etat de contribuer à un lieu culturel et d’avoir un plan de financement.

Jon Rabaud, réalisateur de The Blue Penny ,qui a tenu huit semaines à l’affiche mauricienne, a parlé de son film tourné avec peu de moyens mais qui reste un vrai défi de culture et de divertissement. « C’était surprenant et épuisant ! À Maurice, on n’a pas l’habitude de voir des films mauriciens, il y avait un gros travail de communication pour ramener le public en salle. Il faut une offre constante et détaillée pour le public. S’ils aiment, ils reviennent au ciné », dit-il.

Au sujet de l’engouement pour son film, retuent qu’ « il y a eu au départ de la curiosité car l’offre proposée n’était pas commune, il n’y avait pas encore eu de thriller. La qualité de l’image, la lumière, l’ambiance n’étaient pas communs. Passé l’effet de curiosité, le public a été attiré par le film. C’est une bonne structure de communication qui a fait aussi le succès. »

Sur ces entrefaites, Daniella Bastien enchaîne : « il faut construire un lien et quand on parle d’offre culturelle, on ne voit pas le patrimoine immatériel dans notre offre culturelle, c’est quelque chose qui est en train de disparaître. Dans une histoire, ce qui rattache tous les Mauriciens, c’est ce patrimoine immatériel. Et les gens se connectent à l’histoire de Tizan, sirandane, aux comptines. Dans notre offre culturelle, il ne faut pas oublier non plus ce qui nous rattache au pays et comment faire des références subtiles dans des lieux, pièces de théâtre, film à ce patrimoine immatériel unique.»

Marie Noëlle Elissac-Foy indique, par la suite, que « le patrimoine nous rattache aussi à notre identité.» Et Astrid Dalais d’ajouter : « nous avons besoin de nous rencontrer et ne plus vivre de manière individuelle. Les lieux, les films, les rendez-vous culturels sont des lieux de rencontre. »

Autre question de débat lors de cette table ronde, la difficulté d’associer la culture à la filière coporate. Ashish Beesoondial a évoqué plusieurs modèles de sponsorship. « Il y a des corporate qui veulent offrir des événements à leurs clients, c’est cela qui marche le mieux. Cela reste toujours une grande bataille à trouver des sponsors et attirer d’autres personnes qui n’ont pas accès aux événements culturels. Il fait redonner à l’art et à la culture leurs lettres de noblesse. On a tous la responsabilité de recentrer l’art et la culture. »

 

- Publicité -
EN CONTINU

l'édition du jour

- Publicité -