Inspiration

Acharya Prafulla Chandra Ray

Prafulla Chandra Ray, père de l’industrie pharmaceutique indienne, figure parmi les grands hommes ayant marqué l’évolution scientifique et industrielle de l’Inde au siècle dernier. Éminent chimiste, chercheur méticuleux et fervent partisan de l’autonomie de son pays, il fonde la première usine pharmaceutique locale, le BCPW. Il forme toute une génération de scientifiques indiens qu’il encourage avec la force de ses propres convictions ; persuadé que « le progrès de l’Inde réside dans l’industrialisation », il met son savoir et toute son énergie au service de cet idéal. En plus de ses compétences en tant que chimiste, il touche plus d’un par une intelligence dotée d’humilité ainsi que par sa grande culture générale. La réalisation de ses projets découlerait en grande partie d’une éducation marquée par des lectures et des rencontres déterminantes. Est-ce que ce grand homme saurait encore inspirer les scientifiques du 21e siècle ?

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Un enseignant brillant et dévoué

Né le 2 août 1861 à Raruli-Katipara, un village  dans le district de Khulna (au Bangla Desh) d’une famille riche et cultivée, Prafulla Chandra Ray sera très influencé par son père, Harish Chandra Ray aux opinions libérales et sa mère Bhubanmohini Devi, une femme accomplie. Il commence son éducation à l’école du village fondée par son père et poursuit ses études à Calcutta dès 1871. Une santé fragile le fait interrompre ses études ; toutefois, il profite de cette interruption de deux ans pour apprendre les langues latine et grecque. Lecteur avide, il se nourrit également d’ouvrages biographiques et historiques sur Newton, Galilée, entre autres, tout en admirant la persévérance et l’énergie de Benjamin Franklin. Lors de la reprise de ses études en 1874, il subit l’influence de Surendranath Banerjee, professeur de littérature anglaise, considéré comme le père du nationalisme indien ; ce dernier fait naître en lui le désir de lutter pour l’indépendance de l’Inde et d’améliorer la qualité de vie du peuple indien.

En 1882, il se prépare pour un concours afin d’obtenir le « Gilchrist Scholarship », une bourse d’études qui lui permet de s’inscrire à l’Université d’Edinbourg et de financer des études scientifiques. Il obtient son diplôme de BSc en 1885 et son Doctorat en 1887. Grâce à une nouvelle bourse d’études, le « Hope Prize Scholarship », il reste un an de plus en Angleterre pour des recherches. Il est également élu vice-président de la « Chemical Society of the Edinburgh University ». À son retour en Inde en 1888, il commence sa carrière d’enseignant en tant qu’ « Assistant Professor » au Presidency College  où il travaille jusqu’en 1916. Nommé Professeur de chimie à l’« University Science College », il participe davantage au développement de la recherche scientifique en Inde. Il prend sa retraite à l’âge de 75 ans, mais demeure Professeur Emérite jusqu’à sa mort le 16 juin 1944.

Un chercheur engagé et fédérateur

Malgré un début professionnel modeste, Prafulla Chandra Ray maintient son optimisme et travaille avec acharnement et dévouement pour réaliser ses ambitions de chercheur patriote. Il consacre tout son temps et une grande partie de son salaire à la fondation de l’Ecole de chimie ainsi qu’au développement économique local en faveur d’une Inde nouvelle, qui commence à chercher son autonomie par rapport à l’Angleterre. La première usine pharmaceutique, le Bengal Chemical and Pharmaceutical Works (BCPW) est créée en 1901. D’autres d’industries suivent l’exemple grâce à son soutien dans des secteurs aussi variés que le textile, la céramique, l’édition, le savon et le sucre. P.C.Ray devient le moteur de cette nouvelle marche vers l’industrialisation ; sa détermination, son courage et la force de ses convictions lui permettent de rassembler des collaborateurs sérieux autour de ses projets divers et de les mener à bien.

Ses travaux de recherche en chimie sont publiés dans des revues scientifiques internationales. En faisant l’analyse chimique de certains minéraux locaux rares, il essaie de compléter certains éléments manquants du tableau de Mendeleev et en 1896, il arrive à isoler le composé « Nitrate de mercure » encore inconnu jusqu’alors. Il commence à se faire connaître dans le monde après ses découvertes. En 1904, lors des voyages d’études en Europe, il fait des conférences et aurait même impressionné William Ramsay au Chemical Society of London. Un de ses articles sur le célèbre traité sanscrit de « Rasendrasara Sangraha », constitué de textes datés du 14e siècle de Gopalakrishna sur la médecine ayurvédique, est très favorablement commenté par le chimiste français, Pierre Eugène Berthelot. Celui-ci va même l’encourager à publier ses recherches sur l’histoire de la chimie en Inde. Le premier volume de l’ouvrage « The History of Hindu Chemistry » paraît en 1902 et le deuxième volume en 1908. Il communique ainsi son intérêt pour l’histoire de la chimie en Inde et laisse un patrimoine unique aux générations futures. P.C.Ray avait constaté que les Indiens connaissaient peu leur passé  et ignoraient le dévouement et l’assiduité de leurs ancêtres dans l’acquisition du Savoir. Selon lui, il ne suffit pas d’être fier de son passé, mais encore faut-il suivre l’exemple des ancêtres dans la recherche du Savoir et du Progrès à travers la Science.

L’évolution de l’industrie pharmaceutique vers une nouvelle ère…

Reconnu comme un remarquable scientifique, P.C. Ray est également perçu comme un philanthrope doté de grandes qualités humaines. Patriote, il œuvre à sa façon pour l’indépendance de l’Inde en s’engageant dans la promotion de produits locaux. Pionnier des réformes sociales, il s’implique dans le quotidien en apportant son aide aux plus démunis, aux particuliers et aux institutions. Des veuves et des orphelins touchent le bénéfice de ses parts de la société BCPW. Lors des catastrophes naturelles (inondations, famines, tremblements de terre), il mobilise les ressources nécessaires pour venir en aide aux victimes. Mahatma Gandhi, qui avait une grande admiration pour lui, le surnomme « Doctor of floods ».

Prafulla Chandra Ray souhaitait que la science et l’industrie participent à l’indépendance de l’Inde et à son progrès socio-économique afin que les produits importés soient fabriqués localement et mis à la portée du peuple indien.  Depuis 1947, l’Inde s’est en effet sensiblement industrialisée. L’industrie pharmaceutique indienne a bien évolué. Le BCPW, fondé en 1901, aujourd’hui Bengal Chemicals and Pharmaceuticals Limited, est devenu une société florissante qui appartient à l’Etat indien depuis 1980. Le BCPL, actuellement constitué de quatre usines, fabrique une large gamme de produits allant des médicaments aux produits cosmétiques en passant par l’équipement chirurgical. Sur le marché mondial, l’Inde est actuellement considérée comme l’un des premiers producteurs de médicaments génériques. La politique pharmaceutique locale s’est également réformée. Depuis le 1er janvier 2005, l’Inde s’est engagée à respecter la propriété intellectuelle des molécules, dans le cadre des accords ADPIC (Aspects des Droits de Propriété Intellectuelle liés au Commerce) afin de développer des produits brevetés dans un climat réglementaire sain. Ces mesures ont sûrement eu des conséquences sur le prix des médicaments et l’intérêt public. Le débat demeure ouvert et les opinions partagées.

Allons-nous voir périr les valeurs humaines de générosité et de solidarité qui ont toujours fait la fierté de l’Inde ? Est-ce que la nouvelle génération de chercheurs sera fidèle au père de l’industrie pharmaceutique ? Ou est-ce trop vieux jeu pour l’Inde du 21e siècle qui, évoluant avec les nouvelles donnes de la mondialisation, a rejoint les marchés boursiers ? L’approche sociale sera-t-elle sacrifiée au détriment de l’enjeu commercial et de la rentabilité ?

Les temps ont changé. Autre temps, autres mœurs… Affaire à suivre…

« Science sans conscience n’est que ruine de l’âme », disait Rabelais.

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