Vue des confins de la galaxie, la guerre d’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine paraît totalement incompréhensible. Vue de la banlieue de Paris, c’est encore pire. Alors, que peut-on en penser quand elle est vue de Maurice ?
Il faut dire que lorsque les attaques ont commencé le 22 février 2022, la quasi-totalité des Européens n’en ont pas cru leurs yeux, à commencer par les Ukrainiens qui se trouvaient aux premières loges. Il y avait bien eu la guerre menée par les Russes en Syrie, les attaques contre la Géorgie, l’envahissement de la Crimée mais pourquoi les moscovites qui détenaient déjà une partie du Dombass auraient-ils voulu augmenter leurs conquêtes au risque d’en payer le prix fort en argent, en matériel et en soldats ?
Pour le comprendre, il faut remonter plus haut.
Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, l’Union soviétique avait noué des relations très étroites avec la famille des Assad, dictateurs impitoyables de la Syrie depuis 1946. Elle avait même établi une base militaire puissante à Tartous à partir de 1971. Il faut savoir que l’obsession des Russes depuis le début du XVIIIe siècle est d’accéder à ce qu’ils appellent « les mers chaudes » mais que la Turquie, gardienne des détroits du Bosphore et des Dardanelles depuis la convention de Montreux de 1936 rend le passage difficile. C’est pourquoi les Russes ont mis tant d’acharnement à trouver un autre passage par l’Afghanistan vers le Pakistan, mais sans succès. La guerre civile syrienne a amené le président Bachar El-Assad à demander l’aide de ses amis russes qui se sont empressés de débarquer de nouvelles troupes et du matériel militaire supplémentaire. Le 21 août 2013, une attaque chimique aux gaz a tué, à l’est de Damas, plus d’un millier de personnes selon des chiffres invérifiables. Or, les Etats-Unis, la France et la Grande Bretagne avaient averti Assad que l’utilisation des gaz contre les civils syriens serait considérée comme une « ligne rouge » à ne pas franchir.
Malheureusement, alors que la France voulait une intervention militaire contre le régime du dictateur, les Etats-Unis du président Obama ont reculé au dernier moment, laissant les Français seuls…Cette reculade, ou cette lâcheté des Occidentaux, a fait penser à M. Poutine qu’il pourrait continuer ses entreprises criminelles sans que les Américains et les Européens réagissent. L’Histoire lui a donné raison. Il a donc continué en attaquant d’abord la Géorgie dont il a croqué deux morceaux puis il a envahi la Crimée sans que Paris, Londres et Washington réagissent autrement que par des protestations verbales. Dans le même temps, il excitait les séparatistes du Dombass en leur envoyant ses « petits hommes verts » de Wagner et autres milices pour entretenir un état de guerre larvée. Cette situation a confirmé en lui l’opinion que les Occidentaux étaient des lâches, des ramollis, des pervers qui n’auraient jamais le courage d’intervenir s’il s’en prenait, cette fois, à l’Ukraine. C’est cela qui l’a décidé à se lancer dans la folle expédition du 22 février 2022. Mais, de façon inattendue, les Ukrainiens ont fait preuve d’un courage admirable et les Européens se sont réveillés de leur sommeil, puissamment aidés par les Américains, décidés à affaiblir durablement la Russie.
On en est là. Les tragicomédies de Prigogine, Souvorikine et Poutine ne laissent présager de bon et la crainte de la bombe atomique oblige les Occidentaux à faire preuve d’une extrême prudence dans leur aide à l’Ukraine. Nul ne sait comment tout cela se terminera. Dans l’immédiat, les Ukrainiens ont fait mieux que sauver les meubles, l’OTAN s’est renforcé de la volonté d’adhésion des Finlandais et des Suédois, Les Européens, surmontant leurs divisions traditionnelles, ont fait preuve d’unité et les Russes ont plus perdu que gagné.
Peut-être y a-t-il à l’Ile Maurice une voyante extralucide qui nous aiderait à y voir clair. En toute hypothèse, elle sera bienvenue à Paris… A défaut, comme on trouve réponse à tout dans la littérature française, je me permets de suggérer à nos amis mauriciens de relire « Salammbô » de Flaubert ou bien un extrait des « Conquérants », le célèbre sonnet de Heredia. Tout y est dit !
Paris, 29 juin 2023