MEURTRE D’HÉLÈNE LAM PO TANG: La controverse sur l’heure du décès

Le chef-inspecteur (CI) Luciano Gérard, de la Major Crimes Investigation Team (MCIT) estime que le suspect Sanjeev Nankoo a dit la vérité quand il a avoué avoir tué Hélène Lam Po Tang, 61 ans, entre 15h et 16 h le 14 octobre 2010. La défense, menée par Me Rama Valayden, conteste fortement ces « aveux », puisque l’acte officiel du décès de la victime fait état de 23 h, le 13 octobre. Le contre-interrogatoire du CI Gérard, qui s’est déroulé en cour de Pamplemousses hier, était axé sur cette « maldonne ». D’autre part, la défense a fait le témoin lire un extrait du rapport ADN dans cette affaire, qui attesterait de la présence d’une femme autre que la victime sur les lieux du crime. Le représentant du State Law Office (SLO), Me Nataraj Mooneesamy, a expliqué à la magistrate que le Dr Sudesh Kumar Gungadin, et l’auteur de ce rapport d’analyses, Hafeeza Mooradun, devront être en mesure d’élucider ces points contentieux.
Pendant plus de deux heures, le CI Gérard a été soumis à un feu roulant de questions alors qu’il était entendu dans le cadre de l’enquête préliminaire sur le meurtre d’Hélène Lam Po Tang, se déroulant devant la magistrate Maryse Panglose-Kala au tribunal de Pamplemousses. Il a soutenu que le suspect Nunkoo dit la vérité quand il a expliqué, dans une de ses dépositions, avoir tué Hélène Lam Po Tang entre 15h et 16 h le 14 octobre dernier. C’est ce qu’il fait ressortir quand il a été confronté à la controverse au sujet de l’heure du décès de la victime avec l’acte de décès mentionnant 23 heures le 13 octobre 2010. Cet aspect de l’enquête et la teneur du rapport du FSL ont donné lieu à des échanges musclés entre le ministère public et la défense. Le Mauricien récapitule ci-dessous dans les grandes lignes le contre-interrogatoire du CI Gérard par Me Rama Valayden, dont les services ont été retenus par le suspect Nunkoo.
Q : Êtes-vous au courant du rapport du Dr Gungadin en date du 15 novembre 2010 ?
R : Je n’ai pas vu le rapport personnellement.
Q : Après la réception du rapport par la MCIT, y a-t-il eu d’autres enquêtes ?
R : Je ne suis pas en mesure de le dire.
Q : Avez-vous pris d’autres dépositions après le 15 novembre ?
R : J’ai consigné uniquement celle de Sanjeev Nunkoo.
Q : Qui a fait quoi dans cette enquête ? La MCIT est-elle un monde en désordre ?
R : J’ai consigné uniquement ses dépositions.
Q : Êtes-vous au courant du rapport du FSL en date du 26 février 2011 ?
R : Non.
Q : Donc, vous n’êtes au courant que du couteau, l’arme du crime, mais pas qu’on a retrouvé un profil d’une femme, autre que Mme Lam Po Tang ?
R : Une autre femme ? Non, je ne suis pas au courant.
À ce stade, Me Valayden demande l’autorisation à la Cour de montrer au témoin le rapport ADN en question en souhaitant que ledit rapport soit produit in due course. L’avocat demande alors au témoin de lire un extrait précis. Celui-ci s’exécute et lit : “found hair with root not similar to the deceased”. Le contre-interrogatoire reprend.
Q : Êtes-vous au courant que 20 brins de cheveux ont été retrouvés sur les lieux du crime ?
R : Non.
Q : Êtes-vous au courant que sur ces brins de cheveux, seulement neuf correspondent à ceux de la victime Hélène Lam Po Tang ?
R : Non.
Le contre-interrogatoire se poursuit alors avec des questions portant sur des aspects scientifiques de l’enquête, notamment sur l’utilisation du procédé Bluestar dans le but d’identifier des traces de sang qui auraient pu avoir été effacées sur les lieux du crime. Par la suite, la défense est revenue à la charge sur le Death Certificate Report de la victime. Ledit document est montré au témoin, qui est requis de lire à haute voix la date et l’heure du décès. “13.10.2010, 23 h”.
Q : En dépit de ce rapport, n’y a-t-il pas eu de concertation entre les enquêteurs et le médecin légiste ?
R : I am not aware.
À ce stade, la magistrate intervient : Comment savez-vous donc la date et l’heure de la mort ?
R : En me basant sur ses aveux. Il a dit que le jour du crime, le 14 octobre 2010, il est allé acheter un couteau à Jumbo Riche-Terre. On a vérifié. On le voit sur la caméra de surveillance. Le reçu pour l’achat de ce couteau existe. Dans son statement, il dit être entré chez la victime entre 15h et 16 h pour la tuer. Le même couteau a été utilisé. Il a montré à la police où il a jeté le couteau sous le pont Colville. La police a retrouvé le couteau. Pour moi, il dit la vérité. Il a tué la victime le 14 octobre entre 15h et 16h.
La magistrate : Vous vous êtes basé uniquement sur les aveux du suspect pour déterminer l’heure de la mort ?
R : Non pas seulement. Il y a aussi des bribes d’informations. De ce que nous avons constaté sur les lieux du crime, il se pourrait que la victime était en train de préparer à dîner. Il y avait des crevettes qui avaient été mises à dégeler dans la cuisine.
Me Valayden poursuit :
Q : Est-ce que ces crevettes ont été expédiées au laboratoire du FSL ?
R : Je ne sais pas.
Q : Confirmez-vous que le 14 octobre 2010, l’accusé a pris son travail à 6 h 30 du matin ?
R : Autant que je m’en souvienne. Il avait terminé ce jour-là vers 13 h.
Par la suite, la défense s’est appesantie sur des relevés d’appels téléphoniques et d’échanges de SMS obtenus par la police dans le cadre de l’enquête policière. Il a aussi été question des différentes versions données par le suspect dans ses statements.
Q : Dans le cadre de cette enquête, l’accusé a aussi dit que lorsqu’il est arrivé sur les lieux du crime, la victime était déjà morte. Avez-vous essayé de savoir laquelle de ces versions est vraie ou fausse ?
R : Il a essayé de donner plusieurs versions. Il a même appelé la police quand il était en prison pour donner une autre version encore. Il a bien tué Hélène Lam Po Tang. D’ailleurs lorsqu’il a dit qu’il avait jeté le couteau sous le pont Colville, la police a retrouvé le couteau. Pour moi, c’est ça la vraie version. Cette confession est corroborée par l’épisode de Jumbo ; le couteau est là. On a retrouvé le couteau. Il a aussi dit qu’il avait appelé la maison de la victime. En sus de cela, il a pris part à une reconstitution des faits où il a indiqué comment il est passé par-dessus un mur. On a relevé des traces de sang sur le mur. C’est cela la vraie version.
Q : L’accusé vous a-t-il dit qu’il y avait eu des échanges de SMS à compter du 8 octobre. Avez-vous vérifié ?
R : Oui.
Q : Avez-vous vérifié avec la National State Security (NSS) s’il était possible de “retrieve” les “contents” de ces SMS ?
R : Autant que je sache, la NSS n’est pas habilitée à vérifier le contenu des SMS. À travers un Judge’s Order, on peut obtenir des relevés de Mauritius Telecom et des compagnies. C’est tout. Seule MT peut en faire état.
Q : La MCIT a-t-elle demandé la teneur des SMS ?
R : Je pense que c’est possible.
Q : Avez-vous obtenu le contenu des SMS suivant le Judge’s order ?
R : Autant que je sache, c’est difficile d’obtenir le contenu. Les relevés probablement. Contents SMS pa gagne.
Q : Avez-vous fait la demande pour le contenu des SMS ?
R : Il faut poser la question à celui qui a juré l’affidavit pour demander le Judge’s Order.
Me Valayden s’est ensuite intéressé à un aspect précis de l’enquête, à savoir l’interrogatoire d’un groupe de maçons qui travaillaient vis-à-vis de la résidence d’Hélène Lam Po Tang le jour du meurtre, avant de revenir sur la question des SMS échangés par le suspect et son patron, Gary Lam Po Tang.
Q : Êtes-vous au courant d’un SMS en date du 21 octobre 2010 qui a été expédié sur le 251 8647 ?
À ce stade, il est demandé au témoin de lire le SMS en question, qui figure dans un rapport daté du 15 novembre 2010. Le CI Gérard lit le message suivant : “Obviously I am going to give it back to him. System Building needs to give me a letter that his work has been completed. Bank did not allow my dad to withdraw the money because it is a fixed depot kept as a guarantee. Called my friend and told him that I owe people and I need my money to be released”.
R : Oui je suis au courant de ce message.
La magistrate : Qui a envoyé ce message ?
R : Le suspect a envoyé ce message sur le portable de Gary Lam Po Tang.
Q : Comment ces messages ont-ils été récupérés par la police ?
R : L’IT Unit de la police avait récupéré ces SMS du portable de Gary Lam Po Tang.
Q : Êtes-vous au courant d’un SMS envoyé à Gary Lam Po Tang par l’accusé le 14 octobre 2010 à 16 h 53 ? Lisez-le…
R : Can’t get through to your phone. Will do the needful tomorrow. Sorry for the inconvenience.
Q : Y a-t-il eu d’autres enquêtes concernant le téléphone de Gary Lam Po Tang ?
R : C’est le Detective Inspector Jokhoo qui a pris son statement.
La défense s’est aussi intéressée à ce qui s’est passé après l’autopsie, notamment concernant la décision de rendre le corps à la famille. Le témoin a fait ressortir qu’il ne sait pas qui a pris la décision de la restitution du corps, tout comme ne pas savoir que le corps avait été incinéré par la famille. Le contre-interrogatoire du témoin a pris fin abruptement quand ce dernier a déclaré à Me Valayden qu’à aucun moment il n’a rencontré l’accusé en prison dans le but de lui demander d’accepter “enn case vol”, et ce hors de la présence de son homme de loi.
À ce stade, la magistrate Panglose-Kala a interrogé le CI Gérard sur la question de la date, de l’heure du décès et de l’éventuelle autre femme qui aurait pu être présente sur les lieux du crime.
Q : Saviez-vous quel jour la victime était-elle décédée ?
R : Le corps a été découvert le 15. Je ne sais pas quel jour elle est morte.
Q : Quel jour l’accusé s’est-il rendu là-bas ?
R : Le 14, soit le jour où il a acheté le couteau.
Q : Étiez-vous au courant que l’acte de décès fait état du 13 octobre ?
R : Non.
Q : Savez-vous qu’un certificat de décès est indiscutable et que pour le changer, il faut aller devant la cour Suprême. L’acte de décès dit le 13 octobre 2010 à 23 h. Le corps a été découvert le 15 octobre, l’accusé dit qu’elle a été tuée le 14 octobre. Si vous aviez su pour l’acte de décès avant, qu’auriez-vous dit à l’accusé ?
R : Que sa version n’est pas vraie.
Q : Quelle conclusion tirez-vous ?
R : Qu’il aurait fallu enquêter encore.
Q : Votre enquête s’est arrêtée juste parce qu’il a dit Monn touye ?
R : Je suis satisfait de sa version.
Q : Que va-t-il donc se passer ?
R : Il faut voir si le médecin n’a pas fait une erreur.
Q : Une erreur ? S’il y a erreur, il faudra aller en cour Suprême…
R : Oui je suis d’accord.
Q : Le rapport ADN mentionne : Full female profile, hair with roots not similar to deceased. Qui est cette personne ? Vous ne pouvez regarder uniquement dans un tout petit trou. Si un type sera condamné à 65 ans aux Assises, il faut voir toutes les possibilités…
Me Mooneesamy, le représentant du State Law Office, intervient et souligne : “Evidence will be adduced later that this profile belongs to the deceased herself”.
La magistrate poursuit :
Q : Did you investigate her close relatives ?
R : Oui, les proches aussi. Sa soeur, son beau-frère. Elle avait été se promener la veille…
Q : Et si vous aviez été au courant du rapport avant ?
R : Si j’avais vu le rapport, j’aurais été enquêter.
Q : À ce jour, nous pouvons dire que l’enquête n’est pas trop bonne ?
R : L’enquête est bonne.
Me Mooneesamy intervient de nouveau et fait ressortir que le nom du surintendant Soopun, responsable de la MCIT sera ajouté à la liste des témoins. Et de préciser au sujet de la date et de l’heure de la mort : “prosecution will explain why at this stage there is a discrepancy. I won’t say the reason now so as not to adduce evidence from the bar. Dr Gungadin will depose to that effect. The apparent discrepancy will be explained”. Il cite alors l’article 145 de la Civil Service Act selon lequel tout “death certificate should be admissible until the contrary is proved”. Et de faire ressortir que Me Valayden doit forcément connaître cet article de la loi en sa qualité d’ancien Attorney General. Ce dernier acquiesce. La magistrate Panglose-Kala a conclu la séance d’hier en ces termes : “We have to have a thorough enquiry. No lead should be let loose”.
Les travaux de l’enquête préliminaire se poursuivront demain matin.

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