Raj Mohabeer : « Les drogues menacent la sécurité et la stabilité de la région occidentale de l’OI»

Une dizaine de ministres des pays de la région de l’océan Indien occidental ainsi que des représentants des États-Unis, de France, de l’Inde et de la Chine, entre autres, participeront à la première conférence ministérielle sur le trafic de drogue et l’abus de substances illicites dans cette partie des Mascareignes; Cette conférence, qui sera ouverte officiellement par le Premier ministre, Pravind Jugnauth, jeudi prochain, devra déboucher, entre autres, sur la création d’un observatoire de la drogue dans l’océan Indien.

- Publicité -

En prélude, Le-Mauricien a rencontré Raj Mohabeer, chargé de mission auprès de la Commission de l’océan Indien (COI) et qui compte une longue expérience dans l’organisation de ce genre d’événements, notamment à travers la conférence ministérielle sur la sûreté maritime dans l’océan Indien occidental et le programme régional de sécurité maritime (MASE). Il relève que « les drogues menacent la sécurité et la stabilité de la région occidentale de l’océan Indien » et que cette conférence ministérielle régionale permettra de justifier la nécessité de renforcer les partenariats internationaux et d’échanger les meilleures pratiques, de partager les renseignements et d’assurer une complémentarité entre les actions mises en place par la communauté internationale.

Maurice organisera la semaine prochaine une conférence ministérielle sur le trafic de drogue. Pouvez-vous nous en parler ?
En effet, le gouvernement mauricien, en collaboration avec la Commission de l’océan Indien, organise la première conférence ministérielle sur le trafic de drogue et l’abus de substances dans l’océan Indien occidental du 26 au 28 avril.

Plusieurs rapports dont ceux de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC) ou de l’Ong Initiative mondiale contre le crime organisé (Global Initiative), entre autres, démontrent que l’océan Indien occidental (OIO) est une zone de transit importante reliant l’Afrique de l’Est, le Moyen-Orient et l’Asie du Sud.

Ces routes maritimes sont également exploitées par des réseaux criminels pour transporter des marchandises illicites, telles que des stupéfiants, vers les pays de la région dont Maurice. Un volume et une diversité croissante de drogues illicites font l’objet d’un trafic dans les pays de la région compte tenu de leur proximité avec les routes principales du trafic d’héroïne, et de la méthamphétamine ainsi que la cocaïne.

Or la plupart des pays de la région ne sont ni suffisamment équipés pour faire face au double impact de l’augmentation du trafic et de la consommation de drogue, ni pour traiter les problèmes liés à la drogue et les facteurs qui poussent la croissance des marchés de la drogue dans la région. Les drogues menacent la sécurité et la stabilité de la région occidentale de l’océan Indien.

Les marchés de la drogue étroitement interconnectés de la région et son hétérogénéité avec la diversité des capacités d’interventions, que ce soit en termes d’interventions sanitaires et sociales, ou en termes de lutte contre le trafic, nécessitent une coopération régionale pour faciliter les échanges d’expériences et concerter ses actions communes. La lutte contre la drogue est un défi mondial et nécessite une coopération au-delà des pays de la région de l’Océan Indien Occidental.

Pour renforcer la coopération régionale en matière de lutte contre le trafic de drogue, il est nécessaire de mettre en place des cellules régionales, de monter des opérations conjointes et de créer des mécanismes de partage d’information. Cette démarche incluant les efforts d’application de la loi vise à perturber les chaînes d’approvisionnement en drogue.

Cela justifie la nécessité de renforcer les partenariats internationaux et d’échanger les meilleures pratiques, de partager les renseignements et d’assurer une complémentarité entre les actions mises en place par la communauté internationale. C’est dans ce contexte que le gouvernement mauricien a décidé d’organiser la première conférence régionale en collaboration avec la Commission de l’océan Indien.

Donc, quels sont les objectifs de cette conférence ministérielle ?
Cette première conférence ministérielle sur le trafic de drogues et l’abus de substances dans la zone de l’Océan Indien Occidental devra mettre en place une plate-forme pour faciliter des discussions de haut niveau visant à proposer des actions communes pour améliorer les capacités des pays de la région à relever les défis liés au commerce de la drogue et du trafic illicites.

Elle devrait, par conséquent, recommander une approche holistique, intégrée, transversale à travers quatre principaux domaines d’intervention stratégiques : (1) la prévention, (2) la rupture de la chaîne d’approvisionnement en traquant les trafiquants de drogue et leurs réseaux, (3) l’amélioration des services de santé et de prestations sociales et (4) un renforcement de la coopération régionale et internationale.

En gros, nous nous attendons que la conférence adopte une stratégie régionale de l’océan Indien occidental contre le trafic de drogue et de l’abus de substances, mette en place un réseau d’institutions nationales qui coordonnent la lutte contre la drogue, et crée un Observatoire régional de la drogue.

Qui seront les participants ?
Elle réunira des représentants des gouvernements de l’Océan Indien Occidental, des institutions régionales et internationales concernées ainsi que des États partenaires souhaitant relever les défis ayant trait à l’offre et la demande liées à l’abus de drogue et de substances illicites.

Une réunion de hauts officiels est prévue le 24 pour préparer la conférence ministérielle. Compte tenu de la complexité des questions concernées, il est attendu que la délégation de hauts officiels comprenne des personnes chargées de la coordination des politiques, de la recherche, du développement, du suivi et de l’évaluation dans les domaines suivants : les services et interventions en matière d’abus de substances illicites, y compris la réduction de la demande, la réduction des risques, le traitement, la réadaptation et la prévention ; la lutte contre le trafic de drogue et les crimes financiers ayant trait à la drogue ; et la coopération régionale et internationale sur les enjeux du trafic et de la consommation de drogue.

Vous avez parlé de stratégie régionale contre le trafic de drogue. Qu’est-ce qui peut être fait concrètement ?
Le trafic de drogue dans la région du Sud-Ouest de l’océan Indien représente un défi majeur. Selon le Rapport mondial sur les drogues 2023 publié par l’ONUDC, les marchés des drogues illicites continuent de se développer, avec des conséquences convergentes et déstabilisantes. Le rapport souligne que le nombre de consommateurs à l’échelle mondiale s’élevait à plus de 296 millions de personnes en 2021. Ce qui représente une augmentation de 23% par rapport à la décennie précédente.

Le nombre de personnes souffrant de troubles liés à la consommation de drogues a également augmenté de 45 % en dix ans, atteignant 39,5 millions, selon le rapport de ONUDC. Le trafic à partir du Nord de l’océan Indien approvisionne non seulement les grands bassins de consommation comme l’Europe, mais contribue également à la déstabilisation des pays riverains de l’océan Indien.

Comme vous le voyez, les défis qui en découlent sont des questions d’ordre mondial. Le trafic de drogues dures est dû au fait que l’océan Indien occidental fait partie de la route convoitée par les trafiquants. Certains pays sont utilisés comme des points de transit et constituent des marchés, même modestes par rapport à l’ensemble du marché. Le problème est que les pays de la région de l’Océan Indien Occidental font face à des limites opérationnelles, techniques et en ressources pour faire face à la tendance croissante du trafic de drogues, aux effets connexes (violence, criminalité, flux financiers illicites, santé publique).

De plus, la nature évolutive de l’offre et de la demande de drogues et de l’abus de substances oblige à adapter continuellement les cadres nationaux de réponse et à adopter une approche régionale, partagée, en capitalisant notamment sur les expériences des pairs. Les questions liées à l’offre comprennent les substances traditionnelles qui sont cultivées et produites localement, les nouvelles substances psychoactives (drogues synthétiques) telles que celles qui sont fabriquées dans les laboratoires locaux et l’importation des drogues majeures comme la cocaïne et l’héroïne.

C’est dans ce contexte qu’une stratégie régionale de lutte contre le trafic de drogue et l’abus de substances (SRLD) est proposée. Une telle intervention stratégique régionale pourrait apporter une valeur ajoutée aux actions déjà en cours au niveau de chaque État de cette partie de l’océan Indien. Il permettra la mise en place d’un cadre de coopération régionale dans ce domaine important. Cette approche reflète également le point commun de l’Afrique au cours de la session spéciale de l’Assemblée générale des Nations Unies de 2016 sur le problème mondial de la drogue ainsi que du document final de l’UNGASS sur le renforcement de la coopération internationale et régionale, qui découle du principe de responsabilité commune et partagée, prévoyant un engagement avec les partenaires internationaux.

Y a-t-il eu des rapports consacrés spécifiquement à la situation dans l’océan Indien ?
Il convient de rappeler qu’un document sur la SRLD de l’Océan Indien Occidental pour relever les défis liés aux drogues a circulé et été révisé lors de la conférence sur le trafic, l’abus de drogues et de substances en avril 2023 et avait fait des recommandations. Parmi celles-ci figuraient la réduction de la demande pour la drogue à travers des facilités pour la prévention, la réadaptation et le traitement ainsi que s’attaquer aux dommages ayant trait à l’abus de drogues et de substances ; la réduction de l’approvisionnement en drogue pour préserver la paix et la stabilité dans les États membres.

Il en ressort que la SRLD comprend quatre domaines d’intervention spécifiques et un domaine transversal qui englobe à la fois les aspects liés à la demande et à l’offre : des mesures de prévention à travers la sensibilisation et la formation des citoyens et des parties prenantes de la société et des programmes de sensibilisation ; la rupture de la chaîne d’approvisionnement en localisant les trafiquants de drogue et leurs réseaux, l’échange d’information entre la police, les douanes et la coopération judiciaire renforcée entre les pays aussi qu’au niveau régional dans la mesure du possible.

Les aspects sanitaires et sociaux comprennent des échanges de bonnes pratiques et la mise en œuvre de traitements appropriés, la prise en charge médicale spécialisée des addictions et la formation des professionnels de la santé et du social : un renforcement de la coopération régionale et internationale et de la coordination ainsi que de l’engagement politique et de la redevabilité ; la promotion de la R&D (recherche) en tant que question transversale. Ces questions devraient être prises en compte dans le cadre de la stratégie régionale

Il est nécessaire de désigner une institution régionale pour promouvoir la mise en œuvre de cette stratégie régionale en mettant l’accent sur les éléments suivants : assurer une collaboration stratégique avec des organisations et des partenaires internationaux, y compris les agences des Nations unies, en matière de contrôle des drogues, de santé, de droits de l’homme et du développement. Il est question aussi d’assurer un niveau durable de dialogue politique et de partage d’informations sur les stratégies, les objectifs et actions y relatives avec les partenaires internationaux aux niveaux régionaux et bilatéraux.

Ces dialogues constituent un important volet de l’approche régionale de la coopération interrégionale et internationale. Il s’agira d’identifier les partenaires internationaux et de créer une synergie avec le travail des acteurs internationaux, de rechercher les ressources nécessaires pour renforcer son rôle et d’aider les États membres à s’acquitter de leurs obligations conformément à la SRLD.

Il est également nécessaire de disposer (1) d’un outil de suivi des progrès réalisés avec la création d’un observatoire régional des drogues et (2) d’un mécanisme de mise en réseau des organisations nationales et de coopération pratique entre les pays. Il est prévu que la SRLD soit finalisée lors de la réunion des hauts officiels en vue de son adoption éventuelle par la conférence ministérielle ainsi que soit identifiée une institution régionale chargée de sa mise en œuvre. La conférence ministérielle permettra également aux partenaires de s’engager à soutenir la mise en œuvre de la SRLD.

Vous avez parlé plus tôt de l’observatoire régional des drogues. Des précisions…
Il est nécessaire de mettre sur pied cet observatoire régional des drogues dans l’océan Indien qui permettrait d’évaluer objectivement les progrès réalisés en matière d’efficacité des acteurs sur la lutte contre le trafic de drogue ainsi que la prévention, la réadaptation, le traitement et les services, les mesures et politiques qui sont en place. Les éléments de base de l’ORD, tels que ses buts et objectifs, le public ciblé, ses principales fonctions, son orientation, les services qui sont affectés, les types d’indicateurs, seront discutés. Il est prévu que la réunion des hauts officiels recommande à la conférence ministérielle la création de l’ORD et identifie l’institution régionale qui la piloterait. La conférence permettra également aux partenaires de s’engager à soutenir la mise en œuvre de l’ORD.

Quid de la lutte contre les drogues synthétiques ? Cette question sera-t-elle évoquée lors de la conférence ministérielle ?
Les drogues synthétiques fabriquées illégalement telles que le fentanyl, le tramadol, la méthamphétamine, le captagon, la MDMA et la kétamine menacent la santé, la sécurité et le bien-être des personnes dans le monde entier. Aucun pays ne pourra résoudre le problème que représentent les drogues de synthèse seul. Les menaces des drogues synthétiques touchent à la fois la santé publique et la justice pénale. Dans un pays, aucun organisme ne peut à lui seul apporter une solution : les entités chargées de l’application de la loi, de la réglementation, du commerce et de la santé publique doivent travailler ensemble à la fois au niveau national et international.
Les États-Unis qui dirigent une coalition mondiale cotre les drogues synthétiques appellent la communauté mondiale à se rassembler pour lutter collectivement contre ce défi commun. Le 7 juillet 2023, le secrétaire d’État américain, Antony Blinken, a organisé une réunion virtuelle au niveau ministériel pour lancer une coalition mondiale pour faire face aux menaces des drogues synthétiques.
À la suite de la création de la Coalition mondiale, les États-Unis ont entamé des consultations avec les pays participants afin d’établir des actions et des mesures prioritaires pour lutter contre les drogues synthétiques. La Coalition mondiale a l’intention de se réunir à nouveau au niveau politique en marge d’événements de haut niveau, tels que la 79e Assemblée générale des Nations unies et la Commission des stupéfiants (CND) des Nations unies de mars 2024. Ces réunions offriront les occasions pour partager le travail de la Coalition mondiale avec un public plus large et de soutenir l’avancement de la politique internationale en matière de drogues. La Coalition mondiale complétera, et non dupliquera ou supplantera le travail important mené par des principaux forums multilatéraux et régionaux en place.
La conférence ministérielle permettra un échange sur le sujet. Les participants engageront les discussions en vue de la 79e Assemblée générale des Nations unies. Elle permettra également d’identifier des mesures pour les actions collectives de l’OIO ainsi que le soutien des États-Unis.

- Publicité -
EN CONTINU

l'édition du jour

- Publicité -