Tourisme et hôtellerie – À la croisée des chemins : Sonnette d’alarme tirée sur la qualité en baisse du service

-         Le directeur de Vatel, Renaud Azema, parle de « désamour » des jeunes pour ce pilier de l’économie -         Témoignage poignant de Jean-Michel Pitot sur son parcours d’hôtelier

Une cérémonie de remise de diplômes s’est tenue à Vatel Mauritius, pour célébrer la réussite académique des étudiants. L’occasion pour le directeur de l’institution, Renaud Azema, de partager sa vision du secteur, de parler de ce qui va –  mais surtout de ce qui ne va pas. Cette année – et pour la première fois, il se dit inquiet de la situation globale dans le secteur.  Les raisons sont multiples, à commencer par la rareté de la main-d’oeuvre qualifiée au niveau mondial, mais aussi « le désamour des jeunes pour cette industrie. »

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Un autre sujet d’inquiétude se résume comme suit : « c’est de voir que ceux qui s’engagent dans cette voie ne sont pas plus encouragés, accompagnés et valorisés  – et que parfois, découragés, ils se réorientent en abandonnant leur rêve au profit d’un autre secteur d’activité. » Il s’inquiète aussi de voir le secteur « subir des changements d’ADN », et il constate « la baisse régulière de la qualité de service qui a fait la réputation de l’île Maurice. »  

Enfin, les tendances actuelles, comme la baisse de la démographie, la faillite des systèmes scolaires traditionnels, la crispation des communautés, et la « banalisation des fléaux comme l’incivisme, la drogue et la violence » sont des variables exogènes, nullement porteurs pour le tourisme, ce pilier économique post-Covid-19. « Car le bon fonctionnement harmonieux du secteur a besoin d’équilibre », dit le directeur de Vatel.

Stress hydrique

Renaud Azema a évoqué le changement climatique et le réchauffement de la planète, soulignant que les températures et le niveau de la mer à Maurice augmentent à un rythme plus rapide que les moyennes mondiales et que le pays est également confronté à l’érosion côtière accélérée et le blanchiment des coraux. Il fait état qu’un rapport de l’ONU sur les petits États insulaires en développement indique que Maurice deviendra un pays en situation de stress hydrique en 2025, soit dans moins de deux ans. Pour ne pas dire presque demain.

Après les mauvaises nouvelles, Renaud Azema a parlé des développements positifs pour relancer l’attractivité du secteur touristique, notamment sur le plan de l’emploi, à travers l’Employee Value Proposition. «Ainsi, les hôteliers ont revêtu leurs plus beaux atours pour vous séduire et vous avez la possibilité de débuter vos carrières dans des conditions qui sont bien meilleures que celles qui prévalaient avant, » dira-t-il sans ambages, tout en parlant d’esprit d’entrepreneuriat, d’agilité, de courage et de résilience.

Parrain de la promotion 2023, Jean-Michel Pitot, Chief Executive Officer du groupe Attitude, a partagé son parcours d’entrepreneur dans l’industrie touristique à travers un discours inspirant et empreint d’émotions. Il a créé son groupe hôtelier « from scratch » en apprenant de ses erreurs.

Le groupe Attitude voit le jour en 2008, et ce nom est choisi car « tout est dans l’attitude, la manière de faire, envers le client, mais aussi envers le personnel.» Au cours de sa carrière, des valeurs comme le respect et humilité l’ont guidé. Et ces valeurs sont devenues celles de Veranda, puis d’Attitude. «Les diplômes sont importants, mais l’attitude est encore plus importante », maintiendra avec force  Jean-Michel Pitot.

« Certains se sont moqués de nous »

« Nous avions deux hôtels, mais bien vite les investisseurs et partenaires sont venus frapper à la porte. Au fil du temps, avec les équipes, notre Business Model s’est mis en place. J’avais une confiance presque naïve à cette époque et je ne voyais pas les dangers et les risques. Mais 15 ans plus tard, nous avons 1 200 chambres et une aventure qui se dessine à Zanzibar, où nous allons exporter notre savoir-faire et notre marque. C’est vrai que nous n’avons pas les meilleurs spots de l’île, ni les plus belles plages. Certains tour-opérateurs se sont même moqués de nous. Mais, quand nous vendions notre produit, nous mettions en avant les expériences, » raconte-t-il.

« La créolité inexistante »

Jean-Michel Pitot dit qu’il y avait beaucoup d’hôtels cinq étoiles à l’époque, avec de sérieux concurrents comme les établissements des groupes Sun, Beachcomber et Constance, et comme il ne voulait pas faire du copier-coller, il a décidé de cibler les segments 3 et 4 étoiles. « Il fallait remettre les pendules à l’heure, il y avait de très beaux hôtels et des marques internationales, mais au fil du temps l’ADN mauricien s’était perdu ou n’était plus visible. La créolité était pratiquement inexistante et que c’était plus Trendy  dans les hôtels de faire les clients manger du foie gras de France qu’une bonne rougaille de saucisses… J’exagère un peu, mais j’ai dit à mes équipes, let’s go back to basics pour mettre en avant l’authenticité mauricienne », fera-t-il comprendre.

Et, pour l’anecdote, lorsque le groupe recrute un chef cuisinier en 2012 et lui demande de mettre en avant « sa » cuisine locale, il se met à pleurer car jamais on ne lui avait jamais demandé cela auparavant dans les grands restaurants où il avait étudié et travaillé.

« Étais-je fou ? Etais-je naïf ? »

Affirmer la créolité à travers l’offre hôtelière a été une véritable manne pour Zilwa Attitude, qui s’est révélé un succès commercial important dès sa création. «Nous nous sommes démarqués des autres et nous avons osé. Les murs des chambres de Zilwa ne sont pas crépis, les sols sont en ciment brut. Nous avons osé de manière très forte », avoue-t-il.

Pour la petite histoire, un tour opérateur allemand qui visite l’établissement avant l’ouverture,  déclare tout de go que « ce n’est pas possible, cela ressemble à mon garage ». Le CEO d’Attitude avoue avoir un peu paniqué, « mais nous sommes restés sur notre ligne de différenciation, la clientèle a adhéré et Zilwa a fonctionné d’une manière extraordinaire. Permettant au groupe de rebondir et d’être ce qu’il est aujourd’hui. Étais-je fou ? Etais-je naïf ? Je pense simplement que j’étais entouré d’une équipe formidable qui a cru en nous et nos valeurs. »

Enfin, il a rendu hommage à son bras droit, Vincent Desvaux, celui qui lui succédera bientôt à la tête du groupe : « Il apporte ses belles idées dans nos hôtels. » Il a eu un mot pour Ravi Venkanna, qui gère le Coin-de-Mire « comme un champion » bien qu’il n’ait pas de grand diplôme. « Mais il a l’attitude qu’il faut. Il a tout le temps accepté les défis, et sans parachute. C’est un message important pour les jeunes. Ne laissez pas les opportunités vous passer sous le nez. Laissez les expériences vous guider. Il ne  faut jamais se décourager. D’autre part, si vous avez de belles idées et que vous voulez entreprendre, l’argent va suivre, car les investisseurs sont partout », conseille-t-il.

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